— Je suis Stella Nova. D’où viens-tu ?
Le petit garçon se contenta de sourire, et son visage s’anima d’une façon que Stella n’avait jamais vue. Elle s’aperçut que son propre visage réagissait. Elle sentit un afflux de sang sous sa peau et éclata de rire, produisant un délicieux petit cri suraigu. Ce garçon sentait tant de choses – sa famille, sa maison, la cuisine de sa mère, ses chats –, et, en se concentrant sur son visage, Stella parvenait à comprendre une partie de ce qu’il disait. Il était si riche, ce petit garçon. Leurs taches prirent des couleurs à toute vitesse. Elle vit les pupilles du garçon s’iriser, se frotta les doigts sur ses mains, sentant sa peau frissonner en réaction.
Le garçon s’exprimait à la fois en espagnol et en mauvais anglais. Ses lèvres bougeaient d’une façon que Stella connaissait bien, façonnant les sons qui passaient de chaque côté de sa langue dentée. Stella parlait assez bien l’espagnol, et elle tenta de lui répondre. Le garçon se mit à sauter de joie ; il la comprenait ! En général, Stella était frustrée quand elle essayait de parler aux gens, mais ça, c’était encore pire, car elle comprenait enfin ce que c’était que parler.
Puis elle se retourna et aperçut Kaye et Mitch.
Au même moment, Kaye vit une femme à la fenêtre d’une cuisine, un téléphone à la main. Elle ne semblait pas contente.
— Allons-y, dit Mitch, et Kaye ne chercha pas à protester.
— Où allons-nous, maintenant ? demanda Stella depuis son siège, attaché à l’arrière de la Chevy Lumina qui filait vers le sud.
— Au Mexique, peut-être, répondit Kaye.
— Je veux voir d’autres enfants comme le garçon, protesta Stella avec une moue butée.
Kaye ferma les yeux et revit la mère du garçon en question, terrifiée, l’agrippant pour l’arracher à Stella et jetant à Kaye un regard noir ; elle aimait et haïssait son fils. Inutile d’espérer une nouvelle rencontre entre les deux enfants. Et la femme à la fenêtre, trop effarée pour seulement sortir et lui parler.
— Tu en verras d’autres, dit Kaye d’une voix songeuse. Tu as été très belle avec ce garçon.
— Je sais. C’était l’un de moi.
Kaye se retourna pour regarder sa fille. Comme elle avait déjà longuement réfléchi à tout ça, elle avait maintenant les yeux secs, mais Mitch se frotta les siens du revers de la manche.
— Pourquoi on a dû partir ? demanda Stella.
— C’est cruel de l’empêcher de les voir, dit Kaye à Mitch.
— Que veux-tu que nous fassions, l’expédier dans l’Iowa ? J’aime ma fille, je veux être son père et je veux qu’elle reste dans la famille. Une famille normale.
— Je sais, fit Kaye d’un air distant. Je sais.
— Il y a beaucoup d’enfants comme ce garçon, Kaye ? demanda Stella.
— Environ cent mille. Nous te l’avons déjà raconté.
— J’aimerais leur parler à tous.
— Elle en serait sans doute capable, dit Kaye en lançant un sourire à Mitch.
— Le garçon m’a parlé de sa chatte. Elle a eu deux chatons. Et les enfants m’aimaient, Kaye, maman, ils m’aimaient vraiment.
— Je sais. Tu as été très belle avec eux.
Kaye était fière de sa fille, mais elle avait tant de chagrin pour elle.
— Allons dans l’Iowa, Mitch, suggéra Stella.
— Pas aujourd’hui, mon lapin.
L’autoroute traversait le désert en ligne droite, direction le sud.
— Pas de sirènes, remarqua Mitch d’une voix neutre.
— On s’en est encore tirés, Mitch ? demanda Stella.
Postface
Dans ce livre, je me suis efforcé d’être exact sur le plan scientifique et plausible sur le plan spéculatif. Toutefois, la révolution biologique actuelle est loin d’être achevée, et il est fort probable que nombre de mes spéculations se révéleront erronées.
À mesure que j’effectuais mes recherches et m’entretenais avec des scientifiques du monde entier, j’ai acquis la conviction que la biologie évolutionnaire était sur le point de connaître des bouleversements majeurs – pas durant les prochaines décennies mais au cours des prochaines années.
Alors même que je procède à mes ultimes révisions, les revues scientifiques publient des articles allant dans le sens de certaines de mes spéculations. Il semble que les mouches drosophiles soient capables de s’adapter aux changements de climat en l’espace de quelques générations. Le plus récent de ces articles, paru dans le numéro de New Scientist daté de décembre 1998-janvier 1999, souligne les probables contributions des rétrovirus endogènes humains au développement du VIH, le virus du sida ; Éric Towler, de la Science Applications International Corporation, affirme « avoir la preuve que les enzymes de HERV-K aident sans doute le VIH à résister aux produits les plus puissants ». Un tel mécanisme est similaire à l’échange de boîtes à outils virales qui terrifie Mark Augustine.
La résolution du mystère s’annonce comme absolument fascinante ; nous sommes bel et bien sur le point de découvrir les secrets de la vie.
Bref précis de biologie
Les êtres humains sont des organismes métazoaires, c’est-à-dire composés de nombreuses cellules. Dans la plupart de nos cellules se trouve un noyau contenant le « plan » de l’individu tout entier. Ce plan est stocké dans de l’ADN (acide désoxyribonucléique) ; l’ADN et ses compléments, protéines et organelles, composent l’ordinateur moléculaire contenant la mémoire nécessaire pour construire un organisme individuel.
Les protéines sont des machines moléculaires capables d’accomplir des fonctions incroyablement complexes. Ce sont les machines de la vie ; l’ADN est le schéma directeur qui guide la fabrication de ces machines.
Dans les cellules eucaryotes, l’ADN se présente sous la forme de deux brins entrelacés – la « double hélice » – et est stocké sous celle d’une structure complexe baptisée chromatine, laquelle est disposée en chromosomes dans chaque noyau de cellule. À quelques exceptions près, telles les cellules des globules rouges et les cellules immunitaires spécialisées, l’ADN de chaque cellule du corps humain est complet et uniforme. Les chercheurs estiment que le génome humain – la bibliothèque complète de nos instructions génétiques – se compose de soixante mille à cent mille gènes. Les gènes sont des traits transmissibles ; on a souvent défini un gène comme un segment d’ADN contenant le code d’une ou de plusieurs protéines. Ce code peut être transcrit pour donner un brin d’ARN (acide ribonucléique) ; les ribosomes utilisent alors l’ARN pour traduire les instructions de l’ADN originel et synthétiser des protéines. (Certains gènes accomplissent d’autres tâches, par exemple fabriquer les composants ARN des ribosomes.)
De nombreux scientifiques pensent que l’ARN était à l’origine la molécule codante de la vie et que l’ADN est un modèle apparu ultérieurement.
La plupart des cellules d’un organisme individuel sont porteuses du même ADN, mais, à mesure que la personne croît et se développe, cet ADN est exprimé de différentes façons à l’intérieur de chaque cellule. C’est ainsi que des cellules d’embryon identiques peuvent devenir des tissus différents.