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— Je n’ai rien fait. Enfin, pas grand-chose.

— Tu as lu les sorties d’imprimante ?

— Oui. Elles étaient planquées sur le plan de travail.

— Je voulais que tu les lises demain matin, en buvant ton café, à l’heure où tu es en pleine possession de tes moyens. Je devrais en savoir plus à ce moment-là. Je serai sans doute de retour vers onze heures. Ne pars pas tout de suite pour le labo.

— Je t’attendrai.

— Tu as l’air vannée. Le vol a été pénible ?

— C’est l’air pressurisé. Il m’a fait saigner du nez.

— Pauvre Mädchen. Ne t’inquiète pas. Tout va bien maintenant que tu es rentrée. Est-ce que Lado… ?

Il laissa sa phrase inachevée.

— Aucune idée, mentit Kaye. J’ai fait de mon mieux.

— Je sais. Dors bien et attends-toi à une surprise. Demain, il va y avoir du sensationnel.

— Tu as eu d’autres nouvelles ? Raconte.

— Pas encore. L’anticipation est un plaisir qui se savoure pour lui-même.

Kaye détestait ce genre de petit jeu.

— Saul…

— N’insiste pas. De plus, je n’ai pas encore reçu toutes les confirmations nécessaires. Je t’aime. Tu me manques.

Il lui souhaita bonne nuit dans un bruit de baiser mouillé, et, après une nouvelle litanie d’adieux, ils raccrochèrent simultanément, comme ils en avaient l’habitude. Saul n’aimait pas se retrouver seul au bout du fil.

Kaye jeta un regard circulaire sur la cuisine, empoigna un chiffon et se mit à l’ouvrage. Elle n’avait pas envie d’attendre Caddy. Une fois satisfaite par son ménage, elle se doucha, se lava les cheveux, s’enveloppa la tête d’une serviette, enfila son pyjama en rayonne préféré et alluma un feu dans la cheminée de la chambre de l’étage. Puis elle s’assit au pied du lit, dans la position du lotus, laissant l’éclat des flammes et la douceur de la rayonne la rassurer peu à peu. Le vent se leva au-dehors, et elle aperçut un éclair derrière les rideaux de dentelle. Le temps se gâtait.

Kaye s’allongea et remonta l’édredon jusqu’à son menton.

— Au moins ne suis-je plus en train de m’apitoyer sur mon sort, dit-elle avec hardiesse.

Crickson vint la rejoindre, arpentant le lit en dressant sa queue orange tout ébouriffée. Temin fit à son tour son apparition, bien plus digne quoiqu’un peu mouillé. Il condescendit à ce qu’elle le frictionne avec la serviette de toilette.

Pour la première fois depuis le mont Kazbek, elle se sentit en sécurité, en équilibre. Pauvre petite fille, s’accusa-t-elle. Qui attend le retour de son mari. De son vrai mari.

9.

New York City

Campé devant la fenêtre de sa petite chambre d’hôtel, un verre de bourbon à l’eau on the rocks à la main, Mark Augustine écoutait le rapport de Dicken.

C’était un homme compact et efficient, aux yeux marron et rieurs, aux cheveux gris, drus et bien plantés, avec un nez petit mais proéminent et des lèvres expressives. Des années qu’il avait passées en Afrique équatoriale, il avait gardé un hâle permanent, de celles qu’il avait vécues à Atlanta une voix douce et mélodieuse. D’un tempérament ferme et plein de ressource, il était rompu aux jeux de la politique, comme il seyait à un directeur, et l’on murmurait au CDC que son poste actuel n’était qu’une préparation à celui de ministre de la Santé.

Il reposa son verre lorsque Dicken eut fini son exposé.

— Très intéressant, dit-il en forçant son accent du Sud. Vous avez fait de l’excellent boulot, Christopher.

Dicken sourit mais attendit un commentaire plus détaillé.

— Ça colle en grande partie avec ce que nous savons déjà. J’ai parlé à la ministre de la Santé, reprit Augustine. Elle pense que nous allons devoir révéler la vérité sans tarder, mais de façon progressive. Je suis d’accord. On laissera d’abord les scientifiques s’amuser un peu, entretenir le mystère. De minuscules envahisseurs tapis dans notre corps, bon sang, c’est fascinant, on ne sait pas encore de quoi ils sont capables. Ce genre de truc. Doel et Davison, en Californie, peuvent exposer leur découverte et faire le boulot à notre place. Ils ont bien bossé et méritent leur parcelle de gloire. (Il reprit son verre de bourbon et fit tinter les glaçons.) Le docteur Mahy vous a-t-il dit quand vos prélèvements pourront être analysés ?

— Non.

Augustine se fendit d’un sourire compatissant.

— Vous auriez préféré les suivre à Atlanta ?

— J’aurais préféré aller là-bas et les analyser moi-même.

— Je me rends à Washington jeudi prochain – pour soutenir la ministre devant le Congrès. Le NIH y sera peut-être. Nous n’avons pas encore demandé l’intervention du secrétaire du HHS. Je veux que vous m’accompagniez. Je vais demander à Francis et à Jon de publier leur communiqué demain matin. Ça fait une semaine qu’il est prêt.

Dicken exprima son admiration avec un petit sourire ironique. Le HHS – Health and Human Services[8] – était la gigantesque agence gouvernementale supervisant le NIH – National Institute of Health[9] – et le CDC basé à Atlanta, en Géorgie.

— Une machine bien huilée, dit-il.

Augustine interpréta cette remarque comme un compliment.

— On a encore la tête dans le cul. Notre position sur le tabac et les armes à feu a irrité le Congrès. Ces salauds à Washington ont décidé de nous prendre pour cible. Ils ont diminué nos subventions d’un tiers pour aider à financer une nouvelle baisse des impôts. Et maintenant un danger apparaît et, cette fois-ci, il ne vient ni d’Afrique ni de la forêt amazonienne. Rien à voir avec les sévices que nous infligeons à mère Nature. Un coup du sort né au sein même de nos petits corps bénis. (Le sourire d’Augustine se fit carnassier.) Ça me donne des frissons, Christopher. C’est un don du Ciel. Nous devons présenter cette histoire dans les règles de l’art, comme un spectacle. Si nous nous plantons, il y a de grandes chances pour que Washington ne réagisse que lorsque nous aurons perdu toute une génération de bébés.

Dicken se demanda comment il pourrait contribuer à cette présentation. Il existait sûrement un moyen de mettre en avant son propre travail, les années qu’il avait passées à traquer les rumeurs.

— J’ai envisagé la possibilité d’une mutation, dit-il, la bouche sèche.

Il rapporta les histoires de bébés mutants qu’il avait entendues en Ukraine et résuma en partie sa théorie relative à l’origine radioactive des apparitions de HERV.

Augustine plissa les yeux et secoua la tête.

— Nous connaissons déjà les ravages génétiques de Tchernobyl. Ce n’est pas nouveau, murmura-t-il. Mais cette histoire n’a rien à voir avec la radioactivité. Ça ne colle pas, Christopher.

Il ouvrit la fenêtre, et la rumeur de la circulation monta jusqu’au dixième étage. La brise gonfla les voilages blancs.

Dicken insista, s’efforça de défendre son hypothèse, conscient toutefois de la faiblesse des preuves susceptibles de l’étayer.

— Il y a une forte possibilité pour que la grippe d’Hérode ne se contente pas de causer des fausses couches. Elle semble se manifester dans des populations relativement isolées. Elle est active au moins depuis les années 60. La réaction des politiques a souvent été de nature extrême. Personne n’aurait l’idée de rayer un village de la carte, de tuer des douzaines de parents et d’enfants à naître rien que pour éliminer une épidémie locale de fausses couches.

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8

Service sanitaire et humanitaire (N.d.T.)

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9

Institut national de la Santé. (N.d.T.)