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Ça y est, se dit-elle.

— Ils vont le regretter. Nous allons être sacrément occupés durant les mois à venir. Le CDC a annoncé la nouvelle ce matin. Ils ont confirmé l’existence du premier rétrovirus endogène humain viable. Ils ont établi qu’il pouvait se transmettre par contagion latérale. Ils l’ont appelé SHERVA, puis ils ont laissé tomber le R de rétro pour que ça sonne mieux. SHEVA. Joli nom pour un virus, tu ne trouves pas ?

Kaye le regarda fixement.

— Ce n’est pas une blague ? demanda-t-elle d’une voix tremblante. C’est confirmé ?

Saul eut un large sourire et écarta les bras tel Moïse.

— Absolument. La science marche vers la Terre promise.

— À quoi ressemble-t-il ? Il est gros ?

— C’est un rétrovirus, un véritable monstre, quatre-vingt-deux kilobases, trente gènes. Ses composants gag et pol sont sur le chromosome 14, le env sur le chromosome 17. Selon le CDC, il est peut-être légèrement pathogène et l’être humain ne lui oppose qu’une faible résistance, ce qui permet de conclure qu’il est resté en sommeil pendant très longtemps.

Il posa de nouveau sa main sur celle de Kaye et l’étreignit doucement.

— Tu l’avais prédit. Tu avais décrit ces gènes. C’est ton candidat favori, un HERV-DL3 brisé, qu’ils ont sélectionné comme cible, et ils mentionnent ton nom. Ils ont cité tes articles.

— Hou !

Kaye se sentit pâlir. Elle se pencha au-dessus de son plateau, les tempes battantes.

— Est-ce que ça va ?

— Oui, répliqua-t-elle, prise d’un léger vertige.

— Profitons de notre intimité tant que c’est possible, dit Saul d’une voix triomphale. Tous les journalistes scientifiques du pays vont nous téléphoner. Je leur donne deux minutes pour consulter leurs Rolodex et faire des recherches dans MedLine. Tu vas passer à la télé, sur CNN, à Good Morning America.

Kaye ne parvenait pas à croire ce qui lui arrivait.

— Quel type de maladie cause-t-il ? réussit-elle à demander.

— Personne ne l’a expliqué clairement.

Les possibilités se bousculaient dans son esprit. Si elle appelait Lado à l’institut, si elle apprenait la nouvelle à Tamara et à Zamphyra, peut-être qu’ils changeraient d’avis, qu’ils signeraient avec EcoBacter. Saul resterait le Bon Saul, heureux et productif.

— Mon Dieu, nous sommes célèbres, dit-elle, toujours un peu sonnée.

Elle agita les doigts – tra-la-lère.

— Tu es célèbre, ma chérie. C’est ton boulot, et c’est pas de la merde.

Le téléphone sonna dans la cuisine.

— Ça doit être l’Académie royale de Suède, dit Saul en hochant la tête avec sagesse.

Il tendit la médaille en chocolat à Kaye, qui en arracha une bouchée d’un coup de dents.

— Mon cul ! s’exclama-t-elle, ravie, et elle se leva pour aller répondre.

11.

Innsbruck, Autriche

La direction de l’hôpital transféra Mitch dans une chambre individuelle en signe de reconnaissance de sa nouvelle notoriété. Il était ravi de fuir les alpinistes… mais ses propres idées, ses propres sentiments n’avaient plus aucune importance à ses yeux.

En l’espace de deux jours, il avait peu à peu succombé à l’engourdissement mental. L’apparition de son visage aux infos, sur BBC, sur Sky World, et dans les journaux locaux confirmait ce qu’il savait déjà : tout était fini. Il était foutu.

À en croire la presse de Zurich, il était le « seul survivant de l’expédition montagnarde des profanateurs de sépulture ». Munich voyait en lui le « kidnappeur du bébé Hibernatus ». À Innsbruck, on se contentait de le qualifier de « scientifique et voleur ». Grâce à l’obligeance de la police locale, tous les articles mentionnaient sa ridicule histoire de momie neandertalienne. Tous précisaient qu’il avait volé les « os d’un Amérindien » dans le « nord-ouest des États-Unis ».

Bref, il n’était qu’un cinglé d’Américain, au bout du rouleau, capable de tout pour se faire de la publicité.

Le bébé Hibernatus avait été confié à l’université d’Innsbruck, pour y être étudié par Herr Doktor Professor Emiliano Luria et son équipe. Luria devait rendre visite à Mitch cet après-midi pour discuter de sa découverte.

Tant que Mitch posséderait des informations utiles, il resterait dans la course – ce serait encore un scientifique, un enquêteur, un anthropologue. Pas seulement un voleur. Dès qu’il cesserait d’être utile à quiconque, ce serait la plongée dans l’abîme.

Il contemplait fixement le mur lorsqu’une aide-soignante bénévole vint lui apporter son déjeuner sur une table roulante. C’était une septuagénaire joviale, mesurant environ un mètre cinquante, au visage ridé comme une vieille pomme, qui parlait dans un débit précipité et avec un doux accent viennois. Mitch ne comprenait quasiment rien à ses propos.

L’aide-soignante déplia une serviette de table et la lui passa autour du cou. Plissant les lèvres, elle se redressa pour le considérer.

— Mangez, lui conseilla-t-elle. (Plissant le front, elle ajouta :) Un sacré jeune Américain, nein ? Je me fiche de ce que vous êtes. Mangez, ou la maladie va venir.

Mitch attrapa la fourchette en plastique, la leva en guise de salut et attaqua son poulet accompagné de purée. Avant de sortir, l’aide-soignante alluma la télévision montée sur le mur en face de son lit.

— Foutrement trop calme, ici, dit-elle.

Elle agita la main de droite à gauche, comme pour lui envoyer une gifle. Puis elle repartit en poussant sa table roulante.

Le poste était réglé sur Sky News. Un reportage sur la destruction longtemps retardée et enfin accomplie d’un gros satellite militaire. De saisissantes images vidéo, tournées sur l’île de Sakhaline, montraient son agonie flamboyante. Mitch contempla le spectacle de cette boule de flammes étincelante. Dépassé, inutile, démoli.

Il s’empara de la télécommande, bien résolu à éteindre le poste, lorsque apparut en médaillon une séduisante jeune femme, aux courts cheveux châtains rehaussés de boucles, aux yeux immenses, dont le portrait illustrait l’annonce d’une importante découverte biologique effectuée aux États-Unis.

— Un provirus humain, tapi depuis des millions d’années dans notre ADN tel un passager clandestin, vient d’être associé à une nouvelle variété de grippe qui ne frappe que les femmes, commença le présentateur. Le docteur Kaye Lang, une biologiste moléculaire de Long Island, New York, avait prédit l’apparition de cet incroyable envahisseur surgi du passé de l’humanité. Voici Michael Hertz, notre envoyé spécial à Long Island.

Hertz, un homme qui respirait la sincérité et le respect, interviewait la jeune femme devant une grande maison vert et blanc à la dernière mode. Lang semblait se méfier de la caméra.

— Le Centre de contrôle des maladies et l’Institut national de la Santé ont déclaré que cette nouvelle variété de grippe avait été identifiée avec certitude à San Francisco et à Chicago, et que l’on attendait une confirmation de Los Angeles. Pensez-vous qu’il s’agisse de l’épidémie de grippe que le monde redoute depuis 1918 ?

Lang lança un regard inquiet à la caméra.

— Primo, il ne s’agit pas vraiment d’une grippe. Ce virus ne ressemble pas à celui de l’influenza, ni d’ailleurs à aucun virus associé au rhume ou à la grippe… Il est tout à fait différent. Tout d’abord, il ne semble causer de symptômes que chez les femmes.