— Pourriez-vous nous décrire ce nouveau virus, ou plutôt ce virus très ancien ? demanda Hertz.
— Il est gros, environ quatre-vingt mille bases, c’est-à-dire…
— Plus précisément, quel type de symptômes provoque-t-il ?
— Il s’agit d’un rétrovirus, un virus qui se reproduit en transcrivant le matériel génétique de son ARN sous la forme d’ADN, qu’il insère ensuite dans l’ADN de son hôte. Comme le VIH. Il ne frappe apparemment que les êtres humains…
Le journaliste haussa vivement les sourcils.
— Est-il aussi dangereux que le virus du sida ?
— Je n’ai rien entendu qui me porte à croire que ce virus est dangereux. Cela fait des millions d’années qu’il est présent dans notre ADN ; à cet égard, donc, il n’a rien de commun avec le rétrovirus VIH.
— Comment nos spectatrices peuvent-elles savoir si elles ont attrapé cette grippe ?
— Les symptômes ont été décrits par le CDC, et je ne sais rien de plus que ce qui a été annoncé. Une légère fièvre, des douleurs à la gorge, des quintes de toux.
— Cela pourrait s’appliquer à une centaine de virus.
— Exact, dit Lang en souriant.
Mitch examina son visage, son sourire avec un pincement au cœur.
— Je vous conseille de suivre les nouvelles, ajouta-t-elle.
— Si ce virus n’est pas mortel, et si ses symptômes sont relativement bénins, pourquoi est-il aussi important ?
— C’est le premier HERV – le premier rétrovirus endogène humain – qui ait été activé, le premier à sortir des chromosomes humains et à être transmis latéralement.
— Qu’entendez-vous par transmis latéralement ?
— Cela signifie qu’il est infectieux. Il peut passer d’une personne à l’autre. Pendant des millions d’années, il n’a été transmis que verticalement – des parents aux enfants, par le biais de leur patrimoine génétique.
— Existe-t-il d’autres virus anciens dans nos cellules ?
— Selon la dernière estimation, il est possible qu’un tiers de notre génome soit composé de rétrovirus endogènes. Il leur arrive parfois de produire des particules dans les cellules, comme s’ils cherchaient de nouveau à sortir, mais aucune de ces particules ne s’est montrée efficace… jusqu’à aujourd’hui.
— Peut-on dire sans risque de se tromper que ces virus survivants ont été jadis brisés ou réduits à l’impuissance ?
— C’est plus compliqué que ça, mais, en gros, oui.
— Comment se sont-ils introduits dans nos gènes ?
— À un moment donné, un rétrovirus a infecté des cellules germinales, des cellules sexuelles telles que les ovules ou les spermatozoïdes. Nous ignorons les symptômes que la maladie a pu causer à cette époque. Au fil du temps, d’une façon qui reste à élucider, le provirus, le patron viral enfoui dans notre ADN, a subi une rupture, une mutation ou une neutralisation pure et simple. On peut supposer que ces séquences d’ADN rétroviral ne sont plus que des déchets. Mais, il y a trois ans, j’ai émis l’hypothèse que des fragments de provirus attachés à différents chromosomes humains pourraient exprimer toutes les parties d’un rétrovirus actif. À l’intérieur de la cellule se trouvent l’ARN et les protéines nécessaires à l’assemblage d’une particule complète et infectieuse.
— Et c’est bien ce qui s’est produit. La science spéculative anticipant hardiment la réalité…
Mitch entendit à peine la suite du commentaire, tant il se concentrait sur les yeux de Lang : toujours aussi immenses, toujours aussi méfiants, mais suprêmement attentifs. Pleins de courage. Les yeux d’une survivante.
Il éteignit la télé et s’allongea pour faire une sieste, pour oublier. Sa jambe lui faisait mal à l’intérieur du plâtre.
Kaye Lang était sur le point de décrocher le gros lot, de remporter un round crucial sur le ring de la science. Mitch, quant à lui, s’était vu livrer une médaille d’or… Et elle lui avait échappé, il l’avait laissée choir dans la glace, elle était perdue pour toujours.
Une heure plus tard, il était réveillé par un coup frappé à la porte.
— Entrez, dit-il, et il s’éclaircit la gorge.
Apparut un infirmier vêtu d’une blouse verte, accompagnant trois hommes et une femme, tous d’âge mûr et vêtus avec sobriété. Ils parcoururent la chambre du regard, comme en quête d’une issue de secours. Le plus petit des trois hommes s’avança vers Mitch et se présenta en lui tendant la main.
— Emiliano Luria, de l’Institut des études humaines, dit-il. Voici mes collègues de l’université d’Innsbruck, Herr Professor Friedrich Brock…
Mitch oublia aussitôt les noms de ses visiteurs. L’infirmier alla chercher deux chaises supplémentaires dans le couloir, puis se planta devant la porte en position de repos, les bras croisés et le nez levé comme un garde du palais.
Luria fit pivoter sa chaise pour s’asseoir à califourchon. Les épais verres de ses lunettes luisaient à la lumière grise filtrée par les rideaux. Il observa Mitch, émit un petit grognement, puis décocha un regard noir à l’infirmier.
— Tout ira bien, déclara-t-il. Veuillez nous laisser seuls. Pas de fuites dans la presse et pas d’expéditions stupides pour aller chercher des cadavres dans les glaciers !
L’infirmier acquiesça d’un air affable et s’en fut.
Luria pria ensuite la femme, une quinquagénaire mince, au visage sévère et à l’abondante chevelure grise réunie en chignon, de s’assurer que l’infirmier n’écoutait pas à la porte. Elle alla ouvrir celle-ci pour jeter un coup d’œil dans le couloir.
— L’inspecteur Haas, de Vienne, m’a confirmé que la police ne s’intéressait plus à cette histoire, dit Luria à Mitch une fois ces formalités accomplies. Tout cela reste entre nous, et je travaillerai en liaison avec les Italiens et les Suisses si nous devons franchir une frontière.
Il attrapa une carte pliante dans sa poche, et le docteur Brock – ou Block, peu importait – produisit un carton contenant des albums illustrés sur les Alpes.
— Très bien, jeune homme, dit Luria, dont les yeux nageaient derrière ses verres épais. Aidez-nous à réparer les dégâts que vous avez infligés au tissu de la science. Les montagnes où on vous a retrouvé nous sont familières. C’est dans la chaîne voisine qu’on a découvert le véritable Hibernatus. Elles ont été très fréquentées durant des millénaires, de sorte que vous êtes peut-être tombé sur une route commerçante ou sur des sentiers tracés par les chasseurs.
— Je ne pense pas qu’ils suivaient une route, dit Mitch. Je pense qu’ils fuyaient.
Luria consulta ses notes. La femme se rapprocha du lit.
— Deux adultes, en excellente condition, sauf la femme, qui présentait une blessure à l’abdomen.
— Un coup de lance, dit Mitch.
Le silence se fit dans la chambre.
— J’ai passé quelques coups de fil et parlé à des gens qui vous connaissent, reprit Luria au bout d’un moment. On m’a dit que votre père allait venir ici pour vous faire sortir de l’hôpital, et j’ai pu parler à votre mère…
— S’il vous plaît, venez-en au fait, professeur, le coupa Mitch.
Luria arqua les sourcils et agita ses papiers.
— On m’a dit que vous étiez un excellent scientifique, un homme consciencieux, un expert en matière d’organisation de fouilles méticuleuses. Vous avez découvert le squelette baptisé homme de Pasco. Lorsque les Amérindiens ont protesté, affirmant que l’homme de Pasco était l’un de leurs ancêtres, vous avez extrait les os de leur site.