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L’aube la trouva au cœur d’une grande forêt. Le château du roi Coyote était bâti sur un haut plateau cerné de montagnes ; elle estima qu’elle avait encore plusieurs heures de trajet. Passant au large de la grande route empruntée par les messagers du Marché aux Chiffreurs, elle bivouaqua sous un surplomb rocheux au bord d’une rivière, abritée de la bise humide et protégée des regards inquisiteurs des corbeaux sentinelles, et là, elle alluma un tout petit feu sur lequel elle se prépara du thé et des flocons d’avoine.

Elle fit un somme jusqu’au milieu de l’après-midi, puis se leva, se baigna dans l’eau glaciale du torrent et ouvrit le paquet emballé dans une toile cirée qu’elle avait pris avec elle. Il contenait l’un des costumes portés par les messagers à cheval qui faisaient la navette avec le Marché aux Chiffreurs. Il contenait également plusieurs livres remplis de messages chiffrés – des messages authentiques émanant de divers stands du marché et adressés au château du roi Coyote.

Alors qu’elle sortait des bois pour rejoindre la grand-route, elle entendit passer une bruyante cavalcade et comprit que le premier contingent de messagers venait de franchir le col après avoir attendu la fin de la tempête. Elle attendit quelques minutes, puis elle les suivit. Dès qu’elle eut quitté les bois touffus et rejoint la grand-route, elle serra la bride de sa jument et s’arrêta, interdite, en contemplant pour la première fois le château du roi Coyote.

Elle n’avait jamais rien vu de semblable dans tous ses voyages au Pays d’Au-delà. Sa base était large comme une montagne, et ses murailles s’élevaient, lisses et verticales, pour se perdre dans les nuages. Une nuée galactique de lumière scintillait de sa myriade de fenêtres. L’édifice était défendu par d’imposantes fortifications, équivalentes chacune à un château de bonne taille, quoique pas édifiées sur des fondations de pierre mais à même les nuages ; car le roi Coyote, dans sa grande ingéniosité, avait conçu le moyen de bâtir des édifices qui flottaient dans les airs.

La princesse Nell piqua des fers, car, nonobstant sa torpeur, elle pressentait qu’on pouvait fort bien surveiller la grand-route depuis l’une des fenêtres sous auvent scintillant au sommet des tours. Tout en fonçant au galop vers le château, elle était partagée entre la conscience de sa stupidité à oser s’attaquer à une aussi puissante forteresse et son admiration pour l’œuvre du roi Coyote. De minces nuages de ténèbres diaphanes suintaient entre tours et palissades et, lorsqu’elle fut plus près, la princesse vit qu’il s’agissait en réalité de régiments de corbeaux pratiquant leurs exercices militaires. Ils étaient ce qui chez le roi Coyote se rapprochait le plus d’une armée ; car, comme le lui avait expliqué un de ces volatiles, après qu’il lui eut dérobé la onzième clef suspendue à son cou:

Châteaux, jardins, or et joyaux : Satisfaction, pour les idiots Comme la princesse Nell ; mais ceux qui Cultivent leur esprit, Tels que le roi Coyote et ses corbeaux Compilent leur pouvoir, morceau après morceau, Le cachant en des lieux secrets Que personne ne connaît.

Le roi Coyote ne maintenait pas son pouvoir par la force armée, mais par l’ingéniosité, et les sentinelles étaient la seule armée dont il ait besoin, et l’information sa seule arme.

Alors qu’elle galopait pour franchir les derniers kilomètres menant à la grille, en se demandant si ses jambes et son dos allaient tenir le coup, un mince panache noir jaillit d’un étroit portail tout en haut de l’une des courtines flottantes, puis grossit pour former une boule transparente avant de plonger vers elle comme une comète en piqué. Elle ne put s’empêcher de rentrer la tête dans les épaules devant cette illusion de masse et de vitesse, mais, parvenu à un jet de pierre de son crâne, le vol de corbeaux se divisa en plusieurs contingents qui se mirent à tournoyer et à converger sur elle de plusieurs directions à la fois, la frôlant de si près que leurs battements d’ailes lui soulevaient les cheveux, avant finalement de se regrouper en formation bien disciplinée qui regagna sa courtine sans demander son reste. Apparemment, elle avait réussi l’inspection. Quand elle parvint à l’imposant portail, on l’avait ouvert pour elle et personne ne le gardait. La princesse Nell s’avança dans les larges rues du château du roi Coyote.

C’était la plus belle cité qu’elle ait jamais vue : ici, l’or et le cristal n’étaient pas dissimulés au fond du trésor royal, mais servaient de matériaux de construction. Plantes et verdure étaient omniprésentes, car le roi Coyote était fasciné par les secrets de la nature, et il avait dépêché ses agents jusqu’aux confins du monde pour qu’ils lui ramènent des semences exotiques. Les larges boulevards de la cité du roi Coyote étaient bordés d’arbres dont les branches maîtresses s’incurvaient au-dessus des parements en pierre de taille pour former de hautes voûtes bruissantes. Le dessous des feuilles était argenté et semblait émettre une douce lumière, et les branches étaient chargées de broméliacées violettes et magenta, vastes comme des chaudrons, d’où émanait une suave odeur épicée, aux corolles recouvertes de nuées de colibris à gorge rouge et remplies d’eau où vivaient des scarabées et de minuscules rainettes fluorescentes.

La Route des Messagers était jalonnée de plaques de laiton poli encastrées entre les pavés. Son itinéraire empruntait un grand boulevard qui menait dans un parc encerclant la ville, puis une rue qui grimpait en spirale autour du promontoire central. Plus sa monture se rapprochait de la couche de nuages, plus la princesse Nell sentait ses oreilles claquer, et chaque coude de la route lui offrait un nouveau panorama sur la cité en contrebas et sur la constellation de courtines flottantes d’où s’envolaient toujours les corbeaux sentinelles, allant et venant par compagnies et par escadrons pour rapporter des nouvelles des quatre coins de l’empire.

Elle passa devant un site où le roi Coyote faisait procéder à des agrandissements ; mais, au lieu d’une armée de maçons et de charpentiers, elle ne vit qu’un seul ouvrier, un gros bonhomme à barbe grise, qui tirait sur une longue pipe fine, un sac en cuir accroché à la ceinture. Arrivé au centre du chantier de construction, il plongea la main dans son sac et en ressortit une graine de la taille d’une pomme qu’il planta dans le sol. Le temps de rejoindre le bord de la route en spirale, une grande hampe de cristal scintillant avait jailli du sol et montait déjà loin au-dessus de leur tête, étincelante au soleil, pour se diviser en branches comme un arbre. Lorsque la princesse Nell le perdit de vue au coin de la route, le bâtisseur tirait sur sa pipe d’un air satisfait en contemplant une voûte cristalline qui recouvrait à présent presque entièrement la parcelle.

La princesse Nell contempla tout cela, et bien d’autres prodiges, durant sa longue ascension sur la route en spirale. Les nuages se dissipèrent et Nell découvrit que la vue portait jusque fort loin dans toutes les directions. Le domaine du roi Coyote était situé au cœur même du Pays d’Au-delà, et son château était bâti sur un haut plateau au centre de son domaine de sorte que, depuis ses fenêtres, il pouvait voir jusqu’aux rives scintillantes de l’océan ceignant l’île. Nell ne cessait de scruter l’horizon tandis qu’elle grimpait vers le donjon intérieur du Roi, espérant toujours apercevoir l’île lointaine où Harv se languissait, prisonnier du Château noir : mais il y avait quantité d’îles sur la mer au loin, et il était difficile de distinguer les tours du Château noir des escarpements rocheux.