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« Tournez voir un coup », dit le moduliste, et il fit pivoter le fauteuil – c’était un antique siège de coiffeur recouvert de skaï gaufré : Bud se retrouva devant un mannequin planqué dans l’angle de la pièce. Il n’avait ni cheveux ni visage, et son corps, comme le mur derrière, était moucheté d’impacts brûlés.

« Statut », lança Bud qui entendit le pistolet bourdonner doucement en guise de réponse.

« Paré. » Nouveau bourdonnement. Bud fixa délibérément le mannequin.

« Gicle », dit-il dans un souffle, presque sans bouger les lèvres. Mais l’arme l’avait entendu ; il sentit un léger recul chasser sa tête en arrière, en même temps qu’un brusque plop émis par le mannequin, accompagné d’un éclair qui illumina le mur derrière lui. Bud sentit s’amplifier sa migraine mais c’était le cadet de ses soucis.

« Celui-ci tire des projectiles plus rapides, alors faudra vous habituer à viser un poil plus bas », avertit le gars. Bud refit donc un essai, et cette fois, il dégomma le mannequin pile-poil dans le cou.

« Bien visé ! Ça l’aurait décapité, si vous aviez tiré des Infernales. M’avez l’air de savoir ce que vous faites – mais il y a quand même d’autres options. Et trois chargeurs disponibles, ce qui vous permet d’avoir une panoplie de munitions.

— Je sais, dit Bud, je me suis déjà renseigné. » Puis, pour l’arme : « Dispersion : dix. Répartition : moyenne. » Et de nouveau : « Gicle. » Sa tête eut un recul encore plus marqué, et, cette fois, dix plop partirent simultanément, arrosant le mannequin et le mur derrière lui. La pièce devenait enfumée et ça commençait à sentir le plastique brûlé.

« Vous pouvez en disperser jusqu’à cent, nota le gars, mais le recul vous romprait sans doute le cou.

— Je crois bien que je l’ai vidé, dit simplement Bud. Rechargez-moi. Premier magasin en balles électrostatiques. Le deuxième en Stropiantes. Le troisième en Infernales. Et ajoutez-y une putain d’aspirine. »

La source Victoria ; description de ses environs

Les bouches d’air de la source Victoria jaillissaient du sommet du Conservatoire écologique royal comme un bouquet de lis hauts de cent mètres. En dessous, l’analogie était complétée par l’arbre inversé de la tuyauterie qui étendait le réseau fractal de ses racines dans le bouclier de roche diamantifère de New Chusan pour aboutir dans les eaux chaudes de la mer de Chine méridionale, sous la forme d’innombrables capillaires ceinturant la falaise de corail intelligent, plusieurs dizaines de mètres sous la surface. Un énorme tube engloutissant l’eau de mer aurait en gros donné le même résultat, tout comme le bouquet de lis aurait pu être remplacé par une simple bouche béante, oiseaux et détritus venant se fracasser contre un grillage protecteur ensanglanté, avant qu’ils ne risquent d’aller engorger les entrailles du système.

Mais ça n’aurait pas été écologique. Les géotects de l’Impériale de Tectonique n’auraient pas été fichus de reconnaître un écosystème même s’ils avaient vécu en plein dedans. Ce qu’ils savaient en revanche, c’est que les écosystèmes pouvaient devenir extrêmement pénibles si l’on s’avisait d’y mettre le bordel, raison pour laquelle ils préservaient l’environnement avec la même obstination bornée, implacable, qu’ils mettaient à dessiner des passerelles ou des caniveaux. C’est pourquoi l’eau filtrait la source Victoria par des microtubes, un peu comme elle filtrait dans le sable d’une plage, tandis que l’air s’engouffrait en silence dans les pavillons exponentiels des lis : chaque corolle représentant dans l’espace des paramètres un point finalement bien proche d’une idée maîtresse. Elles étaient assez résistantes pour résister aux typhons mais assez souples pour bruire sous la brise. Les oiseaux venus divaguer à l’intérieur sentaient un gradient de pression qui les attirait vers le fond des ténèbres, et s’éloignaient aussitôt sans demander leur reste. Sans même être effrayés au point de déféquer.

Les lis jaillissaient d’un vase en cristal taillé grand comme un stade. Touristes, pratiquants d’aérobic et rangées d’écoliers en uniforme le traversaient à longueur d’année, lorgnant au travers des parois de verre (en réalité de diamant massif, qui revenait moins cher), la succession de phases de démontage moléculaire qui constituait la source Victoria. L’air et l’eau pollués qui entraient étaient stockés dans des cuves. Chacune était flanquée d’une autre contenant un air ou une eau légèrement plus propres. Et ainsi de suite une douzaine de fois. Les cuves du bout étaient remplies d’azote parfaitement épuré et d’eau parfaitement limpide.

Les ingénieurs avaient baptisé cascade les rangées de cuves, indice plutôt abstrait de leurs fantasmes, passant largement au-dessus de la tête des touristes qui ne voyaient là rien qui vaille d’être immortalisé sur la pellicule. L’essentiel se déroulait dans l’épaisseur des parois séparant les cuves ; parois qui n’en étaient pas vraiment, mais plutôt un réseau infini de roues à rayons submicroscopiques en perpétuelle rotation. Chaque rayon interceptait une molécule d’azote, côté pollué, et la relâchait, après l’avoir brassée, côté propre. Tout ce qui n’était pas eau ou azote échappait aux rayons, et donc, ne franchissait pas le barrage. Il y avait également d’autres rouages chargés de récupérer les traces d’éléments bien utiles comme le carbone, le soufre et le phosphore ; ceux-là étaient dérivés en parallèle sur d’autres cascades plus petites, d’où ils ressortaient parfaitement purifiés à leur tour. Les molécules immaculées atterrissaient dans des réservoirs. Certaines étaient combinées avec d’autres pour former des composés moléculaires simples mais fort utiles. En bout de chaîne, tous ces produits se retrouvaient sur une série de tapis roulants qui constituaient la Nourrice, dont la source Victoria, ainsi que la demi-douzaine d’autres sources d’Atlantis/Shanghai étaient les déversoirs.

Les complications financières du mode de vie de Bud ; une visite chez un banquier

Bud se surprit du temps qu’il lui fallut pour que la colère l’amène à faire usage de son pistocrâne. La seule présence de l’engin lui donnait une telle confiance qu’aucun individu sensé n’aurait songé à venir lui chercher noise, surtout après avoir avisé le cuir noir et les Visis. Son œil torve suffisait à lui ouvrir un passage.

Il était temps de franchir une nouvelle étape. Il cherchait un boulot de vigie. Pas facile. L’industrie pharmaceutique parallèle livrait à la demande, gardant des stocks si bas que les flics étaient privés de pièces à conviction en cas de saisie. La came était cultivée dans des compilateurs de matière illicites, puis entreposée discrètement dans des HLM vides. Les coursiers se chargeaient ensuite de la livrer aux dealers proprement dits. Pendant ce temps-là, tout un nuage de vigies et de leurres s’agitait en mouvement brownien aux alentours, s’arrêtant le moins possible pour ne pas se faire repérer, et surveillant l’approche des flics (ou de leurs moniteurs de surveillance), bien planqués derrière leurs lunettes noires.

Quand Bud avait envoyé balader son dernier employeur, il était à peu près certain de décrocher un job de coursier. Mais ça n’avait pas débouché, et, dans l’intervalle, deux gros aéronefs avaient encore débarqué d’Amérique du Nord, dégorgeant sur le marché du travail des milliers de pouilleux blancs ou noirs. Il se retrouvait sans un sou vaillant et commençait à se lasser des repas gratuits délivrés par les compilateurs publics.