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Cet équipement, introduit en fraude dans l’Empire extérieur, provenait de diverses époques technologiques et de sources multiples, mais qui toutes visaient le même but : arpenter l’univers microscopique par le biais de la diffraction des rayons X, du bombardement d’électrons, ou du sondage direct à l’échelle nanométrique, puis synthétiser l’ensemble de ces informations en une unique vue tridimensionnelle.

Si Hackworth avait effectué cette manipulation sur son lieu de travail, il en aurait déjà terminé, mais l’antre du Dr X était une manière de démocratie à la polonaise requérant le consentement de tous les participants, un sous-système après l’autre. Le Dr X et ses assistants se réunissaient autour du sous-système réputé dériver, puis s’interpellaient durant quelques minutes dans un bruyant mélange de dialecte de Shanghai, de mandarin et d’anglais technique. Les thérapies administrées incluaient – liste non limitative : éteindre l’appareil incriminé puis le rallumer ; le soulever de quelques centimètres puis le relâcher ; éteindre des modules jugés non essentiels dans cette salle ou dans l’une des autres ; ôter les couvercles et tripoter des cartes électroniques ; extraire de petits éléments contaminants, tels que des insectes et leurs cocons, à l’aide de baguettes non conductrices ; secouer divers câbles ; brûler de l’encens ; glisser des bouts de papier pliés en quatre sous les pieds de table ; boire du thé et faire la tête ; invoquer des puissances invisibles ; envoyer des coursiers dans d’autres salles, bâtiments ou secteurs, munis de notes exquisément calligraphiées, puis attendre leur retour, munis de pièces de rechange rangées dans des cartons poussiéreux et jaunis ; plus un assortiment tout aussi varié de techniques de réparations analogues, appliquées celles-ci au domaine du logiciel. La plupart de ces efforts paraissaient sincères, les autres visaient surtout Hackworth, sans doute dans le but inavoué de renégocier leur marché.

Enfin, ils purent examiner leur tronçon de John Percival Hackworth, imprimé sur une feuille de papier médiatronique large d’un mètre que l’un des assistants venait, avec moult cérémonie, de dérouler sur une table basse en laque noire. Ils cherchaient un élément de bonne taille selon les critères nanotechnologiques, aussi le grossissement n’était-il pas très élevé – malgré tout, la surface de l’échantillon d’épiderme ressemblait à une table encombrée de journaux froissés. Si le Dr X partageait le malaise d’Hackworth, il n’en laissait rien paraître. On aurait dit qu’il était assis, les mains croisées dans les plis de sa robe de soie brodée, mais, en se penchant un peu, Hackworth put voir qu’en réalité ses ongles jaunis longs de trois centimètres effleuraient la croix suisse noire d’une antique manette de jeu Nintendo. Les doigts bougèrent et l’image du médiatron fit un zoom avant. Un objet d’aspect lisse, inorganique, se déplia au sommet du champ de l’image : une espèce de manipulateur télécommandé. Guidé par le Dr X, celui-ci se mit à passer au crible cet amoncellement de peau desséché.

Ils trouvèrent bien entendu quantité de mites, naturelles et artificielles. Les naturelles, qui ressemblaient à de petits crabes, étaient des acariens, hôtes discrets des couches externes du corps des autres créatures depuis des centaines de millions d’années. Les artificielles avaient toutes été développées au cours de ces dernières dizaines d’années. La plupart avaient la forme d’une coque sphérique ou elliptique munie d’excroissances diverses. La coque était une vacuole, minuscule fragment d’environnement eutactique chargé de dorloter les entrailles de la mite et leur fragile système à machine-phase. La structure diamantoïde de la coque était protégée de la lumière par une mince couche d’aluminium qui leur donnait l’aspect d’astronefs miniatures – sauf que l’air était à l’extérieur et le vide dedans.

Divers dispositifs étaient fixés à ces coques : manipulateurs, capteurs, systèmes de locomotion, antennes. Ces antennes étaient bien différentes de celles des insectes : surfaces plates et comme hérissées d’une espèce de duvet ras, c’étaient des systèmes à balayage de phase émettant des faisceaux de lumière visible. Par ailleurs, la plupart des mites portaient en évidence la marque de leur fabricant et leur numéro de série ; le Protocole l’exigeait. D’autres, plus rares, étaient anonymes. Celles-ci étaient illicites et avaient été inventées soit par le Dr X ou ses semblables, soit par des phyles illégaux qui bafouaient le Protocole, soit encore par des labos clandestins qu’on s’accordait en général à estimer aux mains des zaibatsus.

Sur la demi-heure passée à trifouiller la peau d’Hackworth sur une aire de guère plus d’un millimètre carré, ils eurent l’occasion d’observer une douzaine de mites artificielles, chiffre loin d’être inhabituel de nos jours. Presque toutes étaient cuites. La plupart n’avaient pas une longue durée de vie, car elles étaient petites mais compliquées, ce qui ne laissait guère de place pour installer des systèmes redondants. Dès qu’elles étaient touchées par un rayon cosmique, elles mouraient. Elles n’avaient pas non plus beaucoup de place pour stocker de l’énergie, de sorte que bon nombre se trouvait assez vite à court de jus. Leurs constructeurs compensaient ces handicaps par le nombre.

Presque toutes les mites étaient connectées, d’une manière ou de l’autre, au système immunitaire victorien, et, dans ce nombre, il y avait une majorité d’immunocules dont la tâche était de dériver dans les eaux troubles du littoral de New Chusan et de traquer avec leur lidar toute mite qui enfreindrait le protocole. Dès qu’elles l’avaient trouvée, elles tuaient l’intruse en s’y accrochant pour ne plus la lâcher. Le système victorien recourait aux méthodes darwiniennes pour créer des tueurs adaptés à leur proie, ce qui était élégant et efficace mais conduisait à la création de tueurs bien trop bizarres pour avoir été conçus par l’homme, tout comme l’homme, s’il avait créé le monde, n’aurait jamais imaginé une créature comme le rat-taupe. Le Dr X zooma posément sur un tueur particulièrement insolite, enserrant dans une étreinte mortelle une mite sans marque. Cela ne signifiait pas obligatoirement qu’Hackworth avait été infecté dans sa chair, mais plutôt que ces mites mortes, noyées dans la poussière d’une table quelconque, s’étaient encastrées dans sa peau lorsqu’il avait posé la main dessus.

À titre d’exemple du genre de bestiole qu’il recherchait effectivement, Hackworth avait apporté une teigne récupérée dans la chevelure de Fiona après une promenade dans le parc. Il l’avait montrée au Dr X qui avait saisi aussitôt, et fini par la trouver. Elle se différenciait complètement de toutes les autres mites, parce que, comme toute teigne qui se respecte, sa seule mission était de s’accrocher à tout ce qui passait à sa portée. Elle avait été générée quelques heures auparavant par un matri-compilateur de la Commande, lequel, selon les instructions d’Hackworth, en avait semé plusieurs millions d’exemplaires à la surface extérieure du Manuel illustré. Un bon nombre s’était ainsi trouvé enchâssé dans son épiderme lorsqu’il avait saisi le livre à sa sortie.

Beaucoup se trouvaient encore sur l’exemplaire resté à son bureau, mais Hackworth l’avait prévu. Ce qu’il fit bien comprendre, histoire d’empêcher le Dr X et ses sbires de se faire des idées : « La teigne est dotée d’une horloge interne, expliqua-t-il, qui provoque sa désintégration douze heures après sa sortie du compilateur. Il nous reste six heures pour extraire l’information. Qui est cryptée, évidemment. »