Выбрать главу

Il possédait toujours l’exploitation familiale dans le nord-ouest de l’Iowa, de même que quelques centaines de milliers d’arpents de terrains aux alentours, terrains qu’il avait rendus à l’état de prairie, avec troupeaux de bisons et Indiens authentiques, ces derniers ayant découvert que chasser le gibier à cheval était une activité plus gratifiante que traîner sa crasse dans les caniveaux de Minneapolis ou Seattle. Mais la plupart du temps, il demeurait à New Chusan, qui représentait en définitive son duché.

« Relations publiques ? demanda Finkle-McGraw.

— Pardon ? » L’étiquette moderne était dépoussiérée ; les « Votre Grâce » ou autres titres honorifiques n’étaient plus obligatoires en de telles circonstances.

« Votre branche, mon ami. »

Hackworth lui avait donné sa carte de visite, ce qui était approprié en l’occurrence, mais ne révélait pas grand-chose. « Ingénierie. À façon.

— Oh ! vraiment. J’aurais cru qu’un homme capable de reconnaître Wordsworth serait plutôt un de ces artistes des relations publiques.

— Eh bien non, monsieur. Je suis ingénieur. Récemment promu au service de la Commande. Il se trouve d’ailleurs que j’ai travaillé sur ce projet.

— Travaillé ? À quel titre, au juste ?

— Oh, des trucs de PI pour l’essentiel », répondit Hackworth. Il supposa que Finkle-McGraw se tenait au courant et qu’il reconnaîtrait sans peine l’acronyme de pseudo-intelligence, voire apprécierait même que son interlocuteur ait fait une telle supposition.

Finkle-McGraw s’anima quelque peu. « Vous savez, quand j’étais gosse, on appelait ça l’IA, l’Intelligence artificielle. »

Hackworth se permit un bref sourire, un peu crispé. « Ma foi, il faut sans doute mettre ça sur le compte du culot, je suppose.

— Dans quel domaine la pseudo-intelligence a-t-elle servi ici ?

— Strictement sur la partie du projet dépendant de la MPS, monsieur. » L’Imperial Tectonics s’était chargée de développer l’île, les immeubles et la végétation. Machine-Phase Systems – l’employeur d’Hackworth – s’occupait de tout ce qui était mobile. Il poursuivit : « Les comportements stéréotypés étaient parfaits pour les oiseaux, les dinosaures et ainsi de suite, mais pour les centaures et les faunes, nous voulions plus d’interactivité, quelque chose qui donne une illusion d’intelligence.

— Bien joué, monsieur Hackworth, oui, bien joué.

— Merci, monsieur.

— Cela dit, je sais parfaitement que seule la crème des ingénieurs atteint le niveau de la Commande. Mais si vous me racontiez plutôt comment un aficionado de la poésie romantique est parvenu à un tel poste. »

Hackworth fut pris de court et chercha à répondre sans affectation. « Je ne doute pas qu’un homme ayant vos fonctions ne voie aucune contradiction à ce que…

— Mais ce n’est pas à un homme ayant mes fonctions que vous devez votre promotion à la Commande. C’est à un homme ayant de tout autres attributions. Et j’ai bien peur que ces gens-là aient, eux, tendance à y voir une contradiction.

— Certes, je vois. Eh bien, monsieur, j’ai étudié l’anglais à la faculté.

— Ah ! vous n’êtes donc pas de ces jeunes gens qui ont suivi la voie étroite et toute tracée vers la carrière d’ingénieur.

— Je suppose que non, monsieur.

— Et vos collègues, à la Commande ?

— Ma foi, si je devine votre question, monsieur, je reconnais que, en comparaison des autres services, une assez notable proportion d’ingénieurs de la Commande ont connu… eh bien, faute d’un terme plus adéquat, je dirais, une vie intéressante.

— Et qu’est-ce qui rend la vie d’un homme plus intéressante que celle de son voisin ?

— En général, je dirais qu’on trouve toujours plus intéressant tout ce qui est imprévisible ou inédit.

— C’est presque une tautologie. » Mais même si Lord Finkle-McGraw n’était pas du genre à exprimer ses sentiments avec exubérance, il parut se montrer presque satisfait du tour pris par la conversation. Il se retourna pour contempler à nouveau le paysage et regarda les enfants pendant une minute ou deux, sans cesser de creuser le sol du bout de sa canne de marche, comme si l’intégrité de l’île le laissait encore sceptique. Puis il lui fit décrire un arc de cercle qui embrassa la moitié de celle-ci. « Combien de ces enfants sont promis, selon vous, à une vie intéressante ?

— Eh bien, j’en vois au moins deux, monsieur – la princesse Charlotte et votre petite-fille.

— Vous êtes vif, Hackworth, et je vous soupçonne d’être capable de vous montrer sournois si vous n’aviez pas cette force morale », remarqua Finkle-McGraw, non sans malice. « Dites-moi, vos parents étaient-ils sujets ou bien avez-vous prêté Serment ?

— Dès que j’ai eu fêté mes vingt et un ans, monsieur. Sa Majesté – à l’époque, en fait, c’était encore Son Altesse Royale – visitait l’Amérique du Nord, avant son entrée à Stanford, et j’ai prêté Serment en l’église de la Trinité, à Boston.

— Pourquoi ? Vous êtes un garçon dégourdi, pas obtus en matière de culture, comme le sont tant d’ingénieurs. Vous auriez pu rejoindre la Première République distribuée ou n’importe quel phyle parmi la centaine qui existe sur la côte Ouest. Vous auriez eu de belles perspectives de carrière, et vous auriez été libéré (Finkle brandit sa canne vers les deux gros aéronefs) de cette discipline du comportement à laquelle nous avons choisi de nous soumettre. Pourquoi vous l’êtes-vous donc imposée, monsieur Hackworth ?

— Sans vouloir dériver vers des affaires qui sont, par nature, strictement personnelles, répondit prudemment Hackworth, j’ai connu deux formes de discipline, étant enfant : pas de discipline du tout, ou trop de discipline. La première méthode conduit à un comportement dégénéré. Et quand je parle de dégénérescence, je ne suis pas moralisateur, monsieur – je fais allusion à des événements que j’ai bien connus et qui ont rendu mon enfance tout sauf idyllique.

Finkle-McGraw, sans doute conscient d’avoir franchi les bornes, hocha vigoureusement la tête. « C’est un argument qui m’est familier, bien sûr.

— Bien sûr, monsieur. Loin de moi l’idée de sous-entendre que j’aie pu être le seul adolescent gâché par ce qu’est devenue ma culture natale.