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— Et je ne vois pas une telle implication. Mais bien des jeunes gens qui partagent vos sentiments ont trouvé leur voie dans des phyles au sein desquels prévaut un régime bien plus rigoureux, et où c’est nous que l’on considère comme des dégénérés.

— Je n’ai pas été sans connaître des périodes de discipline excessive, irraisonnée, en général imposée de manière capricieuse par ceux-là mêmes qui étaient les premiers responsables du laxisme. Cela combiné à ma formation d’historien m’a amené, comme bien d’autres, à conclure qu’on trouvait, au siècle dernier, bien peu d’exemples dignes de faire école et que, pour trouver des modèles sociaux stables, nous devrions plutôt aller chercher au dix-neuvième siècle.

— Bien vu, Hackworth ! Mais vous devez savoir que le modèle auquel vous faites allusion n’a pas survécu longtemps au règne de Victoria, première du nom.

— Nous avons surmonté une bonne partie de l’ignorance et résolu l’essentiel des contradictions internes qui caractérisaient cette époque.

— Pas possible ? Comme c’est rassurant. Et les avons-nous résolues d’une manière propre à garantir à ces jeunes enfants une existence intéressante ?

— Je dois confesser que je suis trop lent pour vous suivre.

— Vous avez dit vous-même que les ingénieurs de la Commande – la crème des services – avaient connu une vie intéressante au lieu de suivre la stricte filière de la voie étroite. Ce qui implique bien une corrélation, non ?

— Tout à fait.

— Ce qui implique, donc, qu’afin d’élever une génération d’enfants capables d’atteindre leur plein potentiel nous devons trouver le moyen de leur offrir une vie intéressante. Alors, la question que je vous pose, monsieur Hackworth, est celle-ci : Pensez-vous que nos écoles y parviennent ? Ou sont-elles similaires aux écoles dont se plaignait Wordsworth ?

— Ma fille est encore trop jeune pour aller à l’école – mais certes je redouterais que ce soit la dernière situation qui prévale.

— Je vous assure que tel est bien le cas, monsieur Hackworth. Mes trois enfants ont fréquenté ces établissements, je les connais donc bien. Et je suis bien décidé à ce qu’Elizabeth reçoive une éducation différente. »

Hackworth se sentit rougir. « Monsieur, puis-je vous rappeler que nous venons tout juste de faire connaissance – je ne me sens pas digne des confidences dont vous me gratifiez.

— Quand je vous dis tout cela, monsieur Hackworth, je cherche moins l’opinion d’un ami que l’avis du professionnel.

— Dans ce cas, je me dois de vous rappeler que je suis ingénieur, pas psychologue pour enfants.

— Et je ne l’ai pas oublié, monsieur Hackworth. Vous êtes certes ingénieur, qui plus est, excellent, dans une entreprise que j’ai la faiblesse de considérer encore mienne – même si, au titre de Lord actionnaire, je n’ai plus de rapport officiel avec celle-ci. Alors, maintenant que vous avez mené à une heureuse conclusion votre collaboration au projet, j’ai l’intention de vous en confier un nouveau pour lequel j’ai tout lieu de croire que vous ferez parfaitement l’affaire. »

Bud s’embarque dans une vie de crime ; une insulte à la tribu & à ses conséquences.

Bud roula sa première victime presque par accident. Il avait tourné par erreur dans une impasse et, par inadvertance, avait percuté un couple de Noirs et deux petits enfants qui s’étaient retrouvés au beau milieu de sa route. Ils avaient cet air terrorisé propre à bon nombre d’immigrés de fraîche date, et Bud nota que le regard de l’homme s’attardait sur ses Visis ; il se demanda même si leur réticule, pour lui invisible, était centré sur lui, son épouse ou son gosse.

Bud ne céda pas le passage. Il emballait, pas eux, c’était à eux de dégager. Mais non, ils se raidirent. « Vous avez un problème ? dit Bud.

— Qu’est-ce que vous voulez ? » demanda l’homme.

Cela faisait un bail que quiconque avait manifesté une sollicitude aussi sincère pour les desiderata de Bud et, quelque part, cela lui plut.

Il réalisa que ces gens se croyaient victimes d’un braquage. « Oh ! comme tout le monde. Du fric et de la came », lança-t-il, et aussitôt, l’homme sortit de sa poche quelques pièces qu’il lui tendit – puis il alla même jusqu’à le remercier alors qu’il battait en retraite.

Bud goûta de recevoir cette marque de respect de la part de membres de la communauté noire – cela lui rappela sa noble hérédité dans un camping résidentiel du nord de la Floride – et il ne crachait pas non plus sur le fric. De ce jour, il se mit à rechercher les Noirs qui arboraient le même air incertain et terrorisé. Ces gars faisaient le commerce d’archives, et ils avaient toujours sur eux du liquide. Cela lui réussit plutôt pendant un mois ou deux. De temps en temps, il passait à l’appartement où vivait sa poule Tequila, il lui refilait de la lingerie et donnait éventuellement du chocolat au petit Harv.

Bud et Tequila supposaient qu’Harv était le fils de Bud. Il avait cinq ans, ce qui signifiait qu’il avait été conçu lors d’un cycle bien antérieur dans la succession de ruptures et de raccommodages du couple. La salope était de nouveau enceinte, ce qui voulait dire que Bud allait devoir rapporter un surcroît de cadeaux quand il repasserait. Ah, les charges de la paternité !

Un jour, Bud repéra une famille particulièrement bien mise, justement à cause de leur tenue excentrique. L’homme était vêtu d’un complet, la femme d’une jolie robe stricte, ils portaient un bébé tout engoncé dans un machin de dentelle blanche, et ils avaient loué les services d’un porteur pour les aider à trimbaler leurs bagages depuis l’Aérodrome. Le porteur était un Blanc et Bud crut reconnaître en lui son propre portrait, ce qui le rendit furieux de le voir se comporter comme une bête de trait pour des nègres. Aussi, à peine eurent-ils quitté la cohue de l’Aérodrome et gagné un quartier plus isolé que Bud s’approcha d’eux, de cette démarche chaloupée longuement répétée devant sa glace, remontant d’un index négligent ses Visis sur l’arête du nez.

Le type en costard était différent de la majorité des autres. Il n’essaya pas de faire comme s’il n’avait pas vu Bud, ne chercha pas à se défiler, ne se fit pas tout petit en rentrant les épaules : non, il s’arrêta, bien campé sur ses pieds, et lança, d’un ton fort enjoué : « Oui, monsieur ? Puis-je vous être utile ? » Il ne s’exprimait pas comme un Noir américain – l’accent était presque britannique, en plus sec. Maintenant que Bud était plus près, il vit que l’homme portait autour du cou un ruban d’étoffe colorée qui retombait sur ses revers, comme un foulard. Il avait apparemment bonne mine, si l’on exceptait une petite cicatrice, en haut de la pommette.

Bud continua d’avancer et finit par se retrouver un peu trop près du type. Jusqu’à la toute dernière minute, il garda la tête rejetée en arrière, comme s’il s’éclatait à l’écoute, volume à fond, d’un morceau de musique (ce qui était le cas), puis il ramena brutalement la tête en avant pour fixer le mec droit dans les yeux. C’était une autre façon de souligner le fait qu’il était en train d’emballer, et d’habitude, ça marchait. Mais ce coup-ci, le bonhomme ne manifesta pas ce léger tressaillement que Bud avait fini par escompter et goûtait toujours avec plaisir. Peut-être qu’il venait de quelque trou perdu où l’on n’avait jamais entendu parler de pistocrânes.

« Monsieur, commença l’homme, ma famille et moi nous rendons à notre hôtel. Le voyage a été long, et nous sommes fatigués ; ma fille souffre d’une otite. Alors, si vous voulez bien m’exposer votre problème le plus rapidement possible, je vous en saurai gré.