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— Toi, tu causes comme un putain de Vicky, demanda Bud.

— Cher monsieur, j’ignore ce que vous qualifiez de Vicky, sinon je m’y serais rendu directement. Quoi qu’il en soit, je vous serais obligé d’avoir la courtoisie de modérer votre langage en la présence de mon épouse et de ma fille. »

Il fallut à Bud un certain laps de temps pour débrouiller cette phrase, un autre laps de temps pour arriver à croire que l’homme pût vraiment se formaliser de quelques termes crus énoncés à portée de voix de sa famille, et un laps de temps encore plus considérable pour croire qu’on ait pu manifester une telle insolence envers Bud, un mec salement baraqué et visiblement équipé d’un pistocrâne.

« Putain, je vais te le dire, moi, ce que je leur veux, à ta putain de grosse et à ta putain de chiarde », lança-t-il à tue-tête. Puis il ne put s’empêcher de sourire. Trois points de plus pour l’ami Bud.

L’homme parut plus impatienté que terrorisé, et il poussa un gros soupir. « Est-ce un vol à main armé ou quoi ? Êtes-vous sûr d’être bien conscient de ce dans quoi vous vous fourrez ? »

Bud répondit en grommelant « gicle » dans sa barbe : la stropiante alla se loger dans le biceps du mec. Le projectile s’enfonça profondément dans le muscle comme une balle de M-80, découpant un trou sombre dans la manche de son veston et laissant le bonhomme le bras raide et tendu. L’homme serra les dents, les yeux exorbités et, durant quelques secondes, il émit une série de gargouillis étranglés venus du fond de la poitrine, en s’efforçant de ne pas crier. Bud contemplait la blessure, fasciné. C’était comme de dégommer les gens dans un ractif.

Sauf que la salope ne hurlait pas, n’implorait pas miséricorde. Elle se retourna simplement, faisant un écran de son corps pour protéger le bébé et, très calme, regarda Bud par-dessus son épaule. Ce dernier nota qu’elle portait également une petite balafre à la joue.

« Le prochain coup, je vise ton œil, dit Bud, ensuite je m’occuperai de la pute. »

L’homme leva sa main valide, indiquant qu’il se rendait. Il vida ses poches et tendit les pièces d’Unités de compte universelles. Aussitôt, Bud tira sa révérence, car les moniteurs – des aérostats gros comme des amandes, munis d’yeux, d’oreilles et de radios – avaient sans doute détecté le bruit de l’explosion et devaient déjà converger vers le secteur. Il en vit un siffler dans sa direction au détour de la rue, suivi d’une petite antenne fouet qui interceptait la lumière telle une imperceptible fissure déchirant l’atmosphère.

Trois jours plus tard, Bud zonait autour de l’Aérodrome, en quête de proies faciles, quand un gros vaisseau arriva de Singapour. Immergé dans un flot de deux mille arrivants, il avisa un groupe compact de deux douzaines à la carrure imposante, la peau extrêmement foncée, avec des bandeaux d’étoffe drapés autour du cou et de petites balafres sur les pommettes.

Ce fut plus tard, ce soir-là dans un bar, que pour la première fois de sa vie Bud entendit le mot Ashanti. « Encore vingt-cinq Ashantis qui viennent de débarquer de Los Angeles ! » s’exclama un client. Puis : « Les Ashantis ont organisé une grande réunion dans la salle de conférences du Sheraton ! » annonça une femme dans la rue. Dans la file d’attente devant l’un des compilateurs de matière gratuits, il entendit un clochard remarquer : « Un d’ces Ashantis m’a r’filé cinq ucus. Sympas, les mecs. »

Alors, quand il tomba sur une de ses connaissances, un ancien copain des jours de leurre, Bud lui lança : « Hé, mec, ça grouille d’Ashantis, en ce moment, pas vrai ?

— Ouaip », répondit le gars. Il avait paru suprêmement scandalisé de reconnaître les traits de Bud en pleine rue, et voilà qu’il paraissait tout soudain prodigieusement distrait, tournant la tête comme une girouette pour regarder ailleurs.

« Ils doivent tenir un congrès ou je ne sais quoi, théorisa Bud. Je suis tombé sur l’un d’eux, l’autre soir.

— Ouais, je sais, dit l’ami.

— Hein ? comment ça ?

— Ils sont pas venus pour assister à un congrès, Bud. Tous ces Ashantis – excepté le premier – ont débarqué ici pour te traquer. »

La paralysie frappa les cordes vocales de Bud, qui se sentit pris de vertige, incapable de se concentrer.

« Faut que j’y aille », dit le copain qui s’éclipsa vite fait.

Au cours des heures suivantes, Bud eut l’impression d’être le point focal de tous les regards. En tout cas, lui aussi, il scrutait tous les passants pour repérer ces complets sombres et ces foulards colorés. Or, voilà qu’il aperçut un homme en short et maillot – c’était un Noir, aux pommettes hautes – dont l’une était marquée d’une minuscule cicatrice – et aux yeux presque asiatiques qui dénotaient une attention extrême. Donc, plus question de compter que les Ashantis portent en permanence leur tenue stéréotypée.

Il ne lui fallut pas longtemps pour gagner la plage et troquer ses habits contre ceux d’un indigent – abandonnant son cuir noir pour revenir à son tour vêtu d’un maillot et d’un short. Le maillot était bien trop petit : il le gênait aux entournures et collait à tel point aux muscles qu’il en ressentait d’autant plus ses sempiternelles démangeaisons. Il aurait bien voulu pouvoir couper les stimulateurs, se relaxer, même rien qu’une nuit, mais cela aurait nécessité de se rendre au salon de mod, et il devait bien envisager que les Ashantis les surveillaient tous.

Il aurait pu aller se réfugier dans un bordel, mais il ignorait la nature des connexions entretenues par ces fameux Ashantis – déjà qu’il ignorait même ce qu’était au juste un Ashanti – et, du reste, il n’était pas certain de pouvoir y trouver une planque, compte tenu des circonstances.

Tout en zonant dans les rues des Territoires concédés, enclin à braquer ses Visis sur tout individu à peau noire qui lui couperait la route, il réfléchissait à l’injustice de son destin. Comment aurait-il pu deviner que ce gars appartenait à une tribu ?

À vrai dire, il aurait quand même dû s’en douter, ne serait-ce que parce qu’il avait une mise élégante et se démarquait du commun des mortels. Le caractère à part de ces individus aurait dû être un indice flagrant. Et la témérité de cet homme aurait dû lui mettre la puce à l’oreille. Comme s’il n’arrivait pas à croire qu’on puisse être assez stupide pour le braquer.

Seulement voilà, Bud l’avait été, stupide, et Bud n’avait pas son phyle à lui pour le défendre, alors Bud n’était pas qu’un peu dans la merde. Bud avait plus qu’à se tirer vite fait, maintenant.

Il avait déjà essayé d’intégrer les Boers, quelques années auparavant. Vis-à-vis des loubards blancs comme Bud, les Boers étaient l’équivalent des Ashantis pour la majorité de la communauté noire. Des blonds musclés en costard, avec des nanas sapées ultra-classique, en général suivis d’une demi-douzaine de mioches, et putain, c’est qu’ils restaient toujours collés ensemble. Bud avait fait une ou deux virées au laager local, étudié chez lui sur son médiatron quelques-uns de leurs ractifs de propagande, fait quelques heures sup en salle de gym pour essayer de répondre à leurs critères de mensurations, et même assisté à une ou deux épouvantables séances d’études bibliques. Mais au bout du compte, Bud et les Boers n’étaient pas franchement assortis. Le temps qu’ils consacraient à la foi était proprement ahurissant : c’était comme de vivre à l’église en permanence. Et il avait étudié leur histoire, mais la quantité d’escarmouches entre Boers et Zoulous avait rapidement épuisé ses capacités d’assimilation. Donc, c’était exclu : pas de visite à un laager ce soir.