Выбрать главу

Les chiens de l’Usurpateur. « Oui. » Les yeux perdus sur les clignotements multicolores, elle se laissa caresser par la fraîcheur saline de la brise. « Vous parlez de villes mises à sac. Eclairez-moi sur ce détail, ser – pourquoi les Dothrakis n’ont-ils jamais saccagé cette ville-ci ? » Elle brandit l’index. « Regardez ces murs. Il suffit d’un coup d’œil pour repérer les points où ils menacent ruine. Là, et là. Distinguez-vous le moindre garde en haut de ces tours ? Moi pas. Se cacheraient-ils, ser ? J’ai vu ce matin ces fameux fils de la harpie, tous ces guerriers si fiers et si bien nés. Ils étaient vêtus de jupettes en lin, et ce qu’ils avaient de plus terrifiant, c’étaient leurs cheveux. Même un modeste khalasar suffirait à casser comme une noix cet Astapor et à en éparpiller la chair corrompue. D’où vient donc, je vous prie, que cette hideuse harpie ne se trouve pas à Vaes Dothrak plantée sur un bas-côté de la voie sacrée, dans la cohue des dieux volés ?

— Vous avez un œil de dragon, Khaleesi, manifestement.

— Je désirais une réponse, pas un compliment.

— Il y a deux raisons à cela. Les braves défenseurs d’Astapor ne sont que des épouvantails, c’est un fait. De vieux patronymes et des goussets gras qui s’affublent en fléaux de Ghis pour faire accroire qu’ils gouvernent encore un empire immense. Ils sont tous officiers supérieurs. Les jours de fête, ils se battent aux arènes dans des simulacres de guerre pour démontrer quels brillants capitaines ils font, mais c’est aux eunuques qu’ils laissent l’heur de crever. Il n’empêche que quiconque aurait la fantaisie de prendre Astapor doit s’attendre à devoir d’abord affronter les Immaculés. Les négriers ne manqueraient pas de consacrer l’intégralité du cheptel à la défense de la ville. Les Dothrakis ne se sont plus frottés aux Immaculés depuis que ça leur a coûté leur tresse aux portes de Qohor.

— Et la seconde raison ? demanda-t-elle.

— Qui voudrait attaquer Astapor ? répliqua-t-il. Meeren et Yunkaï sont ses concurrents, non ses ennemis, le Fléau a détruit Valyria, les populations de l’intérieur, à l’est, sont toutes ghiscari, et quel mal lui ferait Lhazar, au-delà des monts, avec son peuple entre tous placide, ses Agnelets, comme les surnomment vos Dothrakis ?

— Soit, convint-elle, mais au nord des cités esclaves s’étend la mer Dothrak, hantée par deux bonnes douzaines de khals puissants qui n’apprécient rien tant que saccager les villes et emmener en esclavage leurs habitants.

— Les emmener  ? De quel profit vous seraient des esclaves une fois que vous auriez tué ceux qui en trafiquent ? Valyria n’est plus, vous ne pouvez vous rendre à Qarth qu’en traversant le désert rouge, et les neuf cités libres se trouvent à des milliers de lieues à l’ouest. Et, rassurez-vous, les fils de la harpie se montrent on ne peut plus généreux vis-à-vis de chaque khal qui passe, exactement comme le font de leur côté les bons patrices de Pentos, de Norvos, de Myr. Ils savent pertinemment qu’à condition de les festoyer, les couvrir de présents, ils verront bientôt décamper les seigneurs du cheval. Ça leur coûte moins cher que se battre, et c’est d’un rapport plus peinard. »

Moins cher que se battre, songea-t-elle. Oui, c’est possible. Que n’était-ce aussi facile pour elle. De quel agrément ce serait que de faire voile avec ses dragons droit sur Port-Réal et d’y obtenir contre un coffre d’or que le petit Joffrey décampe…

« Khaleesi ? » souffla ser Jorah. Alarmé par son long silence, il lui effleura le coude.

Elle se dégagea brusquement. « Viserys aurait acheté autant d’Immaculés que ses fonds le lui auraient permis. Mais vous avez dit un jour que je ressemblais à Rhaegar…

— Je me rappelle, Daenerys.

— Votre Grâce, rectifia-t-elle. Le prince Rhaegar menait au combat des hommes libres et non des esclaves. Selon Barbe-Blanche, il adoubait en personne ses écuyers et fît de même nombre de chevaliers.

— Il n’était point d’honneur plus grand que de recevoir sa chevalerie des mains du prince de Peyredragon.

— Alors, dites-moi, quels mots prononçait-il quand son épée touchait l’épaule d’un impétrant : “Deviens dorénavant l’assassin des faibles”, ou “Deviens dorénavant le défenseur des faibles” ? Au Trident, ces preux dont parlait Viserys qui périrent sous nos bannières au dragon, pourquoi se sacrifièrent-ils, parce qu’ils croyaient en la cause de Rhaegar ou parce qu’il les avait achetés et payés pour cela ? » Elle se retourna vers Mormont et lui signifia en croisant les bras qu’elle attendait une réponse.

« Ma reine, dit le grand diable en détachant ses mots, tout ce que vous dites est exact. Mais Rhaegar perdit, au Trident. Il perdit la bataille, il perdit la guerre, il perdit le royaume, il perdit la vie. Son sang fut emporté par les remous de la rivière avec les rubis de son pectoral, et Robert l’Usurpateur n’eut qu’à faire fouler son cadavre par son cheval pour dérober le Trône de Fer. Rhaegar se battit vaillamment, Rhaegar se battit noblement, Rhaegar se battit en homme d’honneur. Et Rhaegar périt. »

BRAN

Aucune route n’était désormais tracée dans le fond des vallées sinueuses que l’on remontait. Nichés parmi les massifs aigus de rochers gris dans l’ombre glauque de pinèdes interminables reposaient tout du long de minces lacs bleus d’aspect vertigineux. Les ors et les roux de l’automne se raréfièrent lorsque, délaissant le Bois-aux-Loups, on entreprit de gravir les pentes ravinées par de vieilles coulées de silex, et ils disparurent entièrement sitôt qu’aux collines eurent succédé les montagnes. On progressait à présent dominés par de gigantesques vigiers gris-vert, et dans une jungle inouïe d’épicéas, de sapins et de pins plantons qui semblait s’étendre jusqu’à l’infini. Végétation clairsemée là-dessous, tapis épais d’aiguilles vertes.

Si d’aventure on s’égarait, ce qui advint deux ou trois fois, il suffisait d’attendre une de ces nuits limpides et glacées qui rebutent tous les nuages et de chercher au firmament le Dragon de Glace. L’étoile bleue qui scintillait au fond de son œil désignait le nord, avait un jour affirmé Osha. L’évocation d’Osha conduisit Bran à se demander où elle pouvait se trouver. Il se la figura saine et sauve à Blancport avec Rickon et Broussaille, attablée devant des monceaux fumants d’anguilles, de poisson, de crabe en compagnie de l’énorme lord Manderly. Ou en train de se chauffer au coin du feu d’Atre-lès-Confins, chez le Lard-Jon Omble. Cependant que son existence à lui ne consistait plus qu’en longues longues journées grelottantes sur le dos d’Hodor, à chevaucher sa hotte et dévaler, grimper, dévaler des versants abrupts.

« Monter, descendre et ne remonter, soupirait volontiers Meera durant la marche, que pour redescendre et puis remonter puis redescendre et ainsi de suite… Je déteste ces montagnes idiotes que vous avez là, mon prince.