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En bas, Marie Tatin versait du pétrole sur le feu qui ne voulait pas prendre. Elle avait les cheveux roulés sur des épingles et elle rougit en voyant surgir le commissaire.

— Il n’est pas encore sept heures… Le café n’est pas prêt…

Maigret avait une petite inquiétude. Dans son demi-sommeil, une demi-heure auparavant, il croyait avoir entendu passer une auto. Or, Saint-Fiacre n’est pas sur la grand-route. Il n’y a guère que l’autobus à traverser le village une fois par jour.

— L’autobus n’est pas parti, Marie ?

— Jamais avant huit heures et demie ! Et plus souvent neuf heures…

— C’est déjà la messe que l’on sonne ?

— Oui ! L’hiver, elle est à sept heures, l’été à six… Si vous voulez vous réchauffer…

Elle lui montrait le feu qui flambait enfin.

— Tu ne peux pas te décider à me tutoyer ?

Maigret s’en voulut en surprenant un sourire de coquetterie sur le visage de la pauvre fille.

— Le café sera fait dans cinq minutes…

Il ne ferait pas jour avant huit heures. Le froid était encore plus vif que la veille. Maigret, le col du pardessus relevé, le chapeau enfoncé jusqu’aux yeux, marcha lentement vers la tache lumineuse de l’église.

Ce n’était plus jour de fête. Il y avait en tout trois femmes dans la nef. Et la messe avait quelque chose de bâclé, de furtif. Le prêtre allait trop vite d’un coin de l’autel à l’autre. Trop vite il se retournait, bras étendus, pour murmurer en dévorant des syllabes :

— Dominus vobiscum !

L’enfant de chœur, qui avait peine à le suivre, disait Amen à contretemps, se précipitait sur sa sonnette.

Est-ce que la panique allait recommencer ? On entendait le murmure des prières liturgiques et parfois une aspiration de l’officiant qui, entre deux mots, reprenait haleine.

— Ité missa est…

Est-ce que cette messe-là avait duré douze minutes ? Les trois femmes se levaient. Le curé récitait le dernier évangile. Une auto s’arrêtait devant l’église et bientôt on entendait des pas hésitants sur le parvis.

Maigret était resté dans le fond de la nef, debout tout contre la porte. Aussi, quand celle-ci s’ouvrit, le nouveau venu se trouva-t-il littéralement nez à nez avec lui.

C’était Maurice de Saint-Fiacre. Il fut si surpris qu’il faillit battre en retraite en murmurant :

— Pardon… je…

Mais il fit un pas en avant, s’efforça de reprendre son aplomb.

— La messe est finie ?

Il était dans un état flagrant de nervosité. Ses yeux étaient cernés comme s’il n’eût pas dormi de la nuit. Et, en ouvrant la porte, il avait apporté du froid avec lui.

— Vous venez de Moulins ?

Les deux hommes parlaient du bout des lèvres, tandis que le prêtre récitait la prière après l’évangile et que les femmes fermaient leur livre de messe, reprenaient parapluie et sac à main.

— Comment le savez-vous ? Oui… je…

— Voulez-vous que nous sortions ?

Le prêtre et l’enfant de chœur étaient entrés dans la sacristie et le bedeau éteignait les deux cierges qui avaient suffi à la messe basse.

L’horizon, dehors, était un peu plus clair. Le blanc des maisons proches se détachait de la pénombre. L’auto jaune était là, entre les arbres de la place.

Le malaise de Saint-Fiacre était évident. Il regardait Maigret avec quelque surprise, étonné peut-être de le voir non rasé, sans faux col sous son manteau.

— Vous vous êtes levé bien tôt !… murmurait le commissaire.

— Le premier train, qui est un rapide, part de Moulins à 7 h 03 min…

— Je ne comprends pas ! Vous n’avez pas pris le train puisque…

— Vous oubliez Marie Vassilief…

C’était tout simple ! Et naturel ! La présence de la maîtresse de Maurice ne pouvait qu’être gênante au château ! Il la conduisait donc à Moulins en auto, la mettait dans le train de Paris, revenait et, en passant, pénétrait dans l’église éclairée.

Et pourtant Maigret n’était pas satisfait. Il essayait de suivre les regards anxieux du comte qui semblait attendre ou craindre quelque chose.

— Elle n’a pas l’air commode ! insinua le commissaire.

— Elle a connu des jours meilleurs. Alors, elle est très susceptible… L’idée que je pourrais avoir envie de cacher notre liaison…

— Qui dure depuis longtemps ?

— Un peu moins d’un an… Marie n’est pas intéressée… Il y a eu des moments pénibles…

Son regard s’était enfin fixé sur un point. Maigret le suivit et aperçut, derrière lui, le curé qui venait de sortir de l’église.

Il eut l’impression que les deux regards se croisaient, que le prêtre se montrait aussi embarrassé que le comte de Saint-Fiacre.

Le commissaire allait l’interpeller. Mais déjà, avec une hâte maladroite, le curé lançait vers les deux hommes un salut assez bref et pénétrait dans le presbytère, comme s’il fuyait.

— Il n’a pas l’aspect d’un curé de campagne…

Maurice ne répondit pas. Par la fenêtre éclairée on voyait le prêtre attablé devant son petit déjeuner, la servante qui lui apportait une cafetière fumante.

Des gamins, sac au dos, commençaient à se diriger vers l’école. La surface de l’étang Notre-Dame devenait couleur de miroir.

— Quelles dispositions avez-vous prises pour… commença Maigret.

Et son interlocuteur, beaucoup trop vivement :

— Pour quoi ?

— Pour les obsèques… Est-ce que cette nuit quelqu’un a veillé dans la chambre mortuaire ?

— Non ! Il en a été question un moment… Gautier a prétendu que cela ne se faisait plus…

On entendit le roulement d’un moteur à deux temps, dans la cour du château. Quelques instants plus tard, une moto passait sur la route et se dirigeait vers Moulins ; Maigret reconnut le fils de Gautier, qu’il avait aperçu la veille. Il était vêtu d’un imperméable beige, coiffé d’une casquette à petits carreaux.

Maurice de Saint-Fiacre ne savait quelle contenance prendre. Il n’osait pas remonter dans sa voiture. Et il n’avait rien à dire au commissaire.

— Gautier a trouvé les quarante mille francs ?

— Non… Oui… c’est-à-dire…

Maigret le regarda curieusement, surpris de le voir se troubler à tel point.

— Les a-t-il trouvés, oui ou non ? J’ai eu l’impression, hier, qu’il y mettait de la mauvaise volonté. Car, malgré tout, malgré les hypothèques et les dettes, on réalisera beaucoup plus que cette somme…

Eh bien ! non ! Maurice ne répondait pas ! Il avait l’air affolé, sans raison apparente. Et la phrase qu’il prononça n’avait aucun lien avec la conversation précédente.

— Dites-moi franchement, commissaire… Est-ce que vous me soupçonnez ?

— De quoi ?

— Vous le savez bien… J’ai besoin de savoir…

— Je n’ai pas plus de raisons de vous soupçonner qu’un autre… répondit évasivement Maigret.

Et son compagnon sauta sur cette affirmation.

— Merci !… Eh bien ! c’est ce qu’il faut dire aux gens… Vous comprenez ?… Sinon, ma position n’est pas tenable…

— À quelle banque votre chèque doit-il être présenté ?

— Au Comptoir d’Escompte…

Une femme se dirigeait vers le lavoir, poussant une brouette qui supportait deux paniers de linge. Le prêtre, chez lui, marchait de long en large en lisant son bréviaire, mais le commissaire avait l’impression qu’il lançait des regards anxieux aux deux hommes.

— Je vais vous rejoindre au château.

— Maintenant ?

— Dans un instant, oui.

C’était net : Maurice de Saint-Fiacre n’y tenait pas du tout ! Il montait dans sa voiture comme un condamné ! Et, derrière les vitres du presbytère, on pouvait voir le prêtre qui le regardait partir.