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C’était une inquiète, une malade ! Et pourquoi, dans le secret du confessionnal, n’eût-elle pas dit un jour :

— J’ai peur de mon fils…

Car elle devait avoir peur. L’argent qui passait à Jean Métayer était de l’argent des Saint-Fiacre qui revenait à Maurice. Est-ce qu’il ne viendrait pas demander des comptes ? Est-ce que…

Et Maigret sentait que ces idées naissaient dans le cerveau du jeune homme, encore confuses. Il aidait à les préciser.

— M. le curé ne peut rien dire si la comtesse a parlé sous le secret de la confession…

Ce fut net. Maurice de Saint-Fiacre coupa court à la conversation.

— Vous m’excuserez, monsieur le curé… J’oubliais votre catéchisme… Ne m’en veuillez pas de…

Il tourna la clé dans la serrure, ouvrit la porte.

— Je vous remercie… Dès que… dès que ce sera possible, je vous remettrai les quarante mille francs… Car je suppose qu’ils ne vous appartiennent pas…

— Je les ai demandés à Mme Ruinard, la veuve de l’ancien notaire…

— Merci… Au revoir…

Il faillit refermer la porte d’une poussée brusque, mais il se contint, regarda Maigret dans les yeux en martelant :

— Saloperie !

— Il a voulu…

— Il a voulu me sauver, je sais !… Il a tenté d’éviter le scandale, de recoller tant bien que mal les morceaux du château de Saint-Fiacre… Ce n’est pas cela !…

Et il se versa du whisky.

— C’est à cette pauvre femme que je pense !… Tenez ! vous avez vu Marie Vassilief… Et toutes les autres, à Paris… Celles-là n’ont pas de crises de conscience… Mais elle !… Et remarquez que ce qu’elle cherchait avant tout, auprès de ce Métayer, c’était de l’affection à dépenser… Puis elle se précipitait vers le confessionnal… Elle devait se considérer comme un monstre… De là à craindre ma vengeance… Ha ! Ha !…

Ce rire-là était terrible !

— Vous me voyez, indigné, attaquant ma mère pour… Et ce curé qui n’a pas compris !… Il voit la vie selon des textes !… Du vivant de ma mère, il a dû essayer de la sauver d’elle-même… Ma mère morte, il a cru de son devoir de me sauver… Mais, à l’heure qu’il est, je parie qu’il est persuadé que c’est moi qui…

Il regarda fixement le commissaire dans les yeux, articula :

— Et vous ?

Et, comme Maigret ne répondait pas :

— Car il y a un crime… Un crime que seule une crapule de la pire espèce a pu commettre… Un sale petit lâche !… C’est vrai que la justice ne peut rien contre lui ?… J’ai entendu parler de cela ce matin… Mais je vais vous dire une chose, commissaire, et je vous permets de la retenir contre moi… Cette petite crapule, quand je la tiendrai, eh bien ! c’est à moi, à moi tout seul qu’elle aura affaire… Et je n’aurai pas besoin de revolver ! Non, pas d’arme… Rien que ces mains-là…

L’alcool devait exagérer son exaltation. Il s’en aperçut, car il se passa la main sur le front, se regarda dans le miroir et s’adressa à lui-même une grimace moqueuse.

— N’empêche que, sans le curé, on me bouclait avant même les obsèques ! Je n’ai pas été très gentil avec lui… La femme de l’ancien notaire qui paie mes dettes… Qui est-ce ?… Je ne me souviens pas d’elle…

— La dame qui s’habille toujours en blanc… La maison qui a une grille à flèches dorées, sur le chemin de Matignon…

Maurice de Saint-Fiacre se calmait. Sa fièvre n’avait été qu’un feu de paille. Il commença à se verser à boire, hésita, avala le contenu de son verre d’un trait, avec une moue de dégoût.

— Vous entendez ?

— Quoi ?

— Les gens du pays qui défilent, là-haut ! Je devrais être là, en grand deuil, les yeux rouges, à serrer les mains d’un air accablé ! Une fois dehors, ils se mettent à discuter…

Et, soupçonneux :

— Mais, au fait, pourquoi, si, comme vous dites, la justice n’est pas saisie de l’affaire, restez-vous dans le pays ?

— Il pourrait y avoir du nouveau…

— Est-ce que, si je découvrais le coupable, vous m’empêcheriez de…

Les doigts crispés étaient plus éloquents qu’un discours.

— Je vous laisse, trancha Maigret. Il faut que j’aille surveiller le deuxième camp…

— Le deuxième camp ?

— Celui de l’auberge ! Jean Métayer et son avocat, qui est arrivé ce matin…

— Il a pris un avocat ?

— C’est un garçon prévoyant… Ce matin, les personnages se situaient ainsi : au château, vous et le curé ; à l’auberge, le jeune homme et son conseiller…

— Vous croyez qu’il a été capable ?…

— Vous m’excusez si je me sers ?

Et Maigret but un verre d’alcool, essuya ses lèvres, bourra une dernière pipe avant de partir.

— Bien entendu, vous ne savez pas vous servir d’une linotype ?

Un haussement d’épaules.

— Je ne sais me servir de rien… C’est bien le malheur !…

— Dans aucun cas vous ne quitterez le village sans me prévenir, n’est-ce pas ?

Un regard grave, profond. Et une voix grave et profonde :

— Je vous le promets !

Maigret sortait. Il allait descendre le perron quand un homme se trouva à côté de lui sans qu’il eût pu deviner d’où il venait.

— Excusez-moi, monsieur le commissaire… Je voudrais que vous m’accordiez quelques instants d’entretien… J’ai entendu dire…

— Quoi ?

— Que vous étiez presque de la maison… Votre père était du métier… Voulez-vous me faire l’honneur de prendre un verre chez moi…

Et le régisseur à barbiche grise entraînait son compagnon à travers les cours. Tout était préparé, chez lui. Une bouteille de marc dont l’étiquette annonçait l’âge vénérable. Des gâteaux secs. Une odeur de choux au lard venait de la cuisine.

— D’après ce que j’ai entendu dire, vous avez connu le château dans de tout autres conditions… Quand j’y suis arrivé, moi, le désordre commençait… Il y avait un jeune homme de Paris qui… C’est du marc qui date de l’ancien comte… Sans sucre, je suppose ?

Maigret fixait la table aux lions sculptés qui tenaient dans leur gueule des anneaux de cuivre. Et une fois encore il ressentit sa fatigue physique et morale. Jadis, il n’avait le droit d’entrer dans cette pièce qu’en pantoufles, à cause du parquet ciré.

— Je suis très embarrassé… Et c’est à vous que je veux demander conseil… Nous sommes de pauvres gens… Vous connaissez le métier de régisseur, qui n’enrichit pas son homme…

« Certains samedis qu’il n’y avait pas d’argent dans la caisse, j’ai payé moi-même les ouvriers agricoles…

« D’autres fois, j’ai avancé de l’argent pour des achats de bestiaux que les métayers réclamaient…

— Autrement dit, en deux mots, la comtesse vous devait de l’argent !

— Mme la comtesse n’entendait rien aux affaires… L’argent filait de tous les côtés… Il n’y a que pour les choses indispensables qu’on n’en trouvait pas…

— Et c’est vous qui…

— Votre père aurait fait comme moi, n’est-ce pas ? Il y a des moments où il ne faut pas laisser voir aux gens du pays que la caisse est vide… J’ai pris sur mes économies…

— Combien ?

— Encore un petit verre ?… Je n’ai pas fait le compte… Au moins soixante-dix mille… Et maintenant encore, pour l’enterrement, c’est moi qui…

Une image s’imposa à Maigret : le petit bureau de son père, près des écuries, le samedi à cinq heures. Toutes les personnes occupées au château, depuis les lingères jusqu’aux journaliers, attendaient dehors. Et le vieux Maigret, installé dans le bureau couvert de percale verte, faisait des petits tas avec des pièces d’argent. Chacun passait à son tour, traçait sa signature ou une croix sur le registre…