Выбрать главу

Gwen hocha la tête.

« Très bien. Mais parlons un peu de Garse. Je n’ai guère eu l’occasion de discuter avec lui. C’est lui aussi un esprit éclairé, je suppose ? »

Gwen resta interdite. « Garse… » Elle hésita, puis haussa les épaules. « Eh bien, disons que Garse est bien plus conservateur. »

Toutes les pièces du puzzle semblaient soudain se mettre en place. « Oui. Oui, c’est bien ce que j’avais cru comprendre, et c’est là que réside le fond de ton problème. Les couples ne se composent pas d’un homme et d’une femme, sur Haut Kavalaan, mais de deux hommes – et accessoirement d’une femme, qui ne compte d’ailleurs pas pour grand-chose. Peut-être aimes-tu réellement Jaan, mais tu sembles tenir beaucoup moins à Garse Janacek.

— J’ai beaucoup d’affection pour…

— Vraiment ?

— Arrête ! » Les traits de la jeune femme s’étaient durcis d’un coup.

T’Larien recula aussitôt. Il venait brusquement de prendre conscience de la façon dont il se tenait à présent penché vers elle, pour la presser de questions, la pousser dans ses derniers retranchements, l’accabler de sarcasmes. Lui qui était venu sur cette planète pour la protéger, lui apporter son aide. « Pardon », marmonna-t-il.

Le silence. Gwen le fixa, sa lèvre inférieure tremblante, le temps qu’elle se reprenne. « Tu as raison, finit-elle par admettre. En partie, tout au moins. Je ne suis pas… eh bien… entièrement satisfaite de mon sort. » Elle fit un effort pour sourire. « J’ai dû me bercer d’illusions, je suppose. Se mener soi-même en bateau a vraiment quelque chose d’absurde. Et pourtant tout le monde le fait, tout le monde. Je porte le jade et l’argent, j’essaie de me convaincre que je suis davantage qu’une simple femme liée, davantage qu’une betheyn de plus. Pourquoi ? Uniquement parce que Jaan le dit. Crois-moi, Dirk, Jaan Vikary est un homme bon, sans doute le meilleur que j’aie jamais connu. Je l’ai sincèrement aimé, et je l’aime peut-être encore. Je ne sais pas. Tout est tellement embrouillé à présent. Mais que je l’aime ou non, je n’en reste pas moins liée à lui. Dettes et obligations, tels sont les liens kavalars. L’amour n’est qu’une chose accessoire que Jaan a découverte par hasard, sur Avalon, et je ne suis toujours pas entièrement convaincue qu’il soit parvenu à la maîtriser. Je serais devenue son teyn, pour peu que cela ait été possible. Mais il en avait déjà un, et moi j’étais une femme. Même Jaan n’oserait pas transgresser à ce point les coutumes de son monde. Tu as entendu ce qu’il a dit à propos des duels ; ils ont tous eu lieu uniquement parce qu’il avait découvert dans les vieilles banques de données d’un ordinateur quelconque qu’un de leurs héros planétaires avait des seins. » Elle eut un sourire sardonique. « Imagine ce qui se passerait s’il me prenait pour teyn ! Il perdrait tout, absolument tout. Le Rassemblement de Jadefer est un étau relativement tolérant, certes, mais il s’écoulera des siècles avant que son conseil n’accepte une chose pareille. Aucune femme n’a jamais porté le fer et la pierrelueur.

— Ça me dépasse toujours autant. Vous m’avez tous parlé des femmes reproductrices, des femmes liées, de ces femmes qui se terraient dans les grottes par peur de sortir. Et je n’arrive toujours pas à y croire. Et d’abord, comment l’esprit de Haut Kavalaan a-t-il pu se pervertir à ce point ? Qu’ont-ils donc à reprocher aux femmes ? Pourquoi serait-ce si grave, que le fondateur de Jadefer soit de sexe féminin ? C’est le cas de la moitié de l’humanité, tu sais. »

Gwen lui adressa un sourire triste en se massant doucement les tempes du bout des doigts, comme si elle espérait ainsi en chasser quelque migraine. « Tu en saurais autant que nous si tu avais laissé Jaan finir de t’expliquer. Bon, chaque fois qu’il aborde ce sujet, il a un peu tendance à s’exalter, je te le concède. Mais il n’avait pas encore parlé de la Peste dévastatrice. C’est une très longue histoire, Dirk, et je ne me sens pas pour l’instant la force de te la raconter. À notre retour à Larteyn, je te passerai une copie de la thèse de Jaan.

— D’accord. Mais je doute fort de pouvoir trouver toutes les réponses à mes questions dans sa thèse. Il y a à peine quelques minutes, tu m’as dit que tu n’étais plus certaine d’aimer encore Jaan. Je suis persuadé que tu détestes Haut Kavalaan, de même que Garse. Alors, pourquoi acceptes-tu tout cela ?

— Tu as décidément l’art de poser des questions brutales, Dirk. Mais avant de te répondre, je tiens à mettre quelque chose au point. Il est bien possible que je haïsse Garse, comme tu me l’as dit. J’en suis même parfois totalement convaincue – je sais que cela tuerait Jaan s’il m’entendait. D’autres fois, cependant… Je ne mentais pas en te disant que j’éprouvais pour lui une profonde affection. À mon arrivée sur Haut Kavalaan, j’étais innocente, vulnérable. Bien sûr, Jaan m’avait patiemment tout expliqué avant, sans rien omettre, et j’avais accepté de vivre selon ses us et coutumes. J’étais originaire d’Avalon, et on ne peut guère imaginer monde plus sophistiqué, à l’exception de Vieille Terre. J’avais étudié l’incroyable variété de cultures que l’humanité a disséminées parmi les étoiles, je savais donc que quiconque met le pied dans un vaisseau spatial doit s’attendre à devoir s’adapter à des systèmes sociaux entièrement différents du sien, à des éthiques qui ne le sont pas moins. Que les coutumes sexuelles et familiales varient d’un monde à l’autre – et qu’on n’est pas nécessairement plus sage sur Avalon que sur Haut Kavalaan dans ce domaine.

« Mais je n’étais pas prête à vivre au sein d’une culture aussi différente que celle des Kavalars. Ça non ! Je n’oublierai jamais le sentiment de peur qui m’a constamment accompagnée lors de mon premier jour sur Haut Kavalaan, dans l’étau du Rassemblement de Jadefer, en tant que betheyn de Jaan Vikary. Et le pire, ce fut la première nuit. » Elle rit. « Jaan m’avait pourtant mise en garde, mais… merde, je n’étais tout simplement pas prête à être “partagée”. Que dire de plus ? C’était horrible, mais il fallait que j’assume jusqu’au bout les conséquences de mes choix. Garse m’a aidée, à sa façon. Il s’inquiétait sincèrement pour moi, presque autant que pour son teyn. On pourrait dire qu’il a fait preuve de… tendresse à mon égard. Il m’a écoutée quand je me suis confiée à lui, il s’est montré attentif. En fait, ses saillies verbales n’ont commencé que le lendemain matin. Elles m’ont totalement prise de court – et je te laisse imaginer comment Jaan a réagi. La première fois que son teyn m’a traitée de betheyn-catin, il l’a projeté à l’autre extrémité de la pièce où nous nous trouvions. Ça a… convaincu Garse de tenir sa langue pendant quelque temps. Et il s’y tient encore, le plus souvent ; mais il n’a jamais totalement cessé de me chercher des noises. Il est vraiment singulier, d’un certain point de vue : il défierait et tuerait n’importe quel Kavalar qui se permettrait de m’en dire ne serait-ce que la moitié. Et il sait pertinemment que ses plaisanteries rendent Jaan fou de rage, qu’elles font naître de violentes disputes entre nous. C’était du moins le cas à une époque. Jaan n’y accorde plus grande importance désormais, mais ça n’empêche pas Garse de continuer. Peut-être ne peut-il pas s’en empêcher, ou peut-être me hait-il vraiment. À moins qu’il ne prenne plaisir à tourmenter les autres. Auquel cas je ne lui ai guère procuré de satisfactions au cours de ces dernières années. Je me suis promis, dès le début, de ne plus jamais pleurer à cause de lui – et ça ne s’est jamais reproduit. Même quand il me bombarde de paroles qui me donnent envie de lui fendre le crâne avec une hache, je me contente de le gratifier de mon plus beau rictus et de trouver quelque réplique déplaisante. J’ai même réussi une ou deux fois à le faire sortir de ses gonds. En général, il me donne l’impression de n’être plus qu’une punaise écrasée, lorsqu’il me quitte.