Personne ne pipa mot. Larteyn rougeoyait autour d’eux, le vent était très froid. « Je n’entendais aucunement vous offenser, fit t’Larien, qui se souvenait vaguement des paroles que les Jadefer avaient prononcées dans une occasion plus ou moins semblable. Puis-je vous présenter mes excuses ? » Il tendit ses paumes ouvertes en direction de Bretan Braith.
Le visage balafré se tordit. « J’ai été insulté.
— Vous devez vous battre en duel avec lui », expliqua Janacek.
Dirk baissa lentement ses mains, qui se serrèrent en poings à la hauteur de ses hanches. Il ne savait que dire.
Jaan Vikary fixait lugubrement le sol ; Janacek, quant à lui, ne dissimulait rien de son excitation. « Dirk t’Larien ignore tout de nos coutumes de duel, dit-il aux deux Braiths. De telles rencontres n’ont pas cours sur Avalon. Me permettez-vous de le conseiller ? »
Bretan Braith lui répondit par un signe de tête, le même mouvement étrangement maladroit du cou et des épaules que Dirk avait remarqué l’après-midi même, dans le garage souterrain. Chell ne semblait même pas entendre. Le vieux Braith faisait toujours face à Vikary. Il lui adressait des regards emplis de haine sans cesser de marmonner.
« Il faut faire quatre choix, t’Larien, lui expliqua Janacek. Vous êtes le défié, il vous revient donc d’effectuer le premier. Je vous conseille celui des armes – et d’opter pour l’arme blanche.
— L’arme blanche, répéta doucement Dirk.
— Je choisis le mode, crissa Bretan. Le carré de la mort. »
Janacek hocha la tête. « C’est à vous que revient le troisième choix, t’Larien. Étant donné que vous n’avez pas de teyn, le choix du nombre va s’imposer de lui-même. Ce sera un duel singulier. Vous pouvez donc si vous le souhaitez désigner le lieu de la rencontre.
— Vieille Terre ? » suggéra Dirk avec espoir.
Janacek ne put s’empêcher de sourire. « Non, t’Larien. Il faut que le combat ait lieu sur cette planète, je le crains. Tout autre choix serait illégal. »
Dirk haussa les épaules. « Alors, ici.
— Je choisis le nombre, dit Bretan. Ce sera un duel singulier, ainsi que l’imposent les circonstances. » La nuit était entièrement tombée, seules de rares étoiles lointaines éclairaient désormais le ciel. L’œil du Braith s’était enflammé d’étranges lueurs qui se réfléchissaient sur ses cicatrices.
« Tout est réglé, conclut Janacek. Ne vous reste plus qu’à vous accorder sur l’identité d’un arbitre, et à… » Jaan Vikary releva la tête. Son visage était plongé dans l’ombre, seule la pâle clarté de la pierrelueur se reflétait sur lui. Sa mâchoire enflée lui donnait un étrange profil.
« Chell, dit-il d’une voix égale, posée.
— Oui ?
— Vous faites preuve d’une stupidité sans bornes en admettant l’existence des simulacres. Tous ceux qui croient encore en de pareilles sornettes ne sont que de fieffés imbéciles. »
Dirk avait les yeux fixés sur Bretan Braith quand Vikary avait craché ces mots. Il put donc voir le visage balafré se tordre à plusieurs reprises.
Chell semblait comme en transe. « Je m’estime offensé, Jaantony noble de Jadefer, faux Kavalar simulacre. Je vous défie. »
Bretan pivota sur lui-même et essaya de crier. Au lieu de quoi il se mit à tousser. « Maudit briseur de duel ! Jadefer… Je…
— Cela est prévu par le code, répliqua Vikary sans grand enthousiasme. Cependant, si Bretan Braith pouvait oublier le petit manquement à l’étiquette de cet étranger, qui ignore tout de nos coutumes, je pourrais présenter mes excuses à Chell lib de Braith.
— Non, intervint Janacek. Le code de l’honneur interdit de s’abaisser à présenter des excuses.
— Non », répéta Bretan, dont le visage revêtait à présent l’aspect d’un crâne. Son œil-joyau luisait, sa joue se tordait de fureur. « Je me suis incliné aussi bas qu’il me l’était possible, faux Kavalar. Je ne ferai plus fi de la sagesse de mon étau. Mon teyn s’est montré plus scrupuleux que moi. En vérité, j’ai commis une lourde faute en essayant d’éviter un duel avec vous, simulacre menteur. Cela mérite l’opprobre. Mais je vais laver ma honte. Nous vous tuerons, Chell et moi. Oui, nous vous tuerons tous les trois.
— Possible, fit Vikary. Mais nous allons bientôt nous rencontrer, et nous saurons alors si vous n’avez pas présumé de votre habileté et de vos forces.
— Et nous tuerons également votre betheyn-catin », ajouta Bretan. Il ne pouvait crier, sa voix se brisait chaque fois qu’il s’y essayait. Aussi parlait-il d’une voix aussi basse qu’à l’accoutumée, ce qui semblait déjà lui écorcher la gorge. « Quand nous en aurons fini avec vous, nous irons chercher nos chiens, puis nous traquerons cette betheyn et son Kimdissi adipeux à travers les forêts qu’ils prétendent si bien connaître. »
Ignorant Bretan, Jaan Vikary s’adressa directement à Chell lib de Braith : « J’ai été défié. Par conséquent, c’est à moi que revient le premier des quatre choix. Je choisis le nombre. Nous nous battrons avec nos teyn.
— Je fais le choix des armes, répliqua Chell. Je prends le pistolet.
— Je choisis le mode, dit Vikary. Je désire combattre dans le carré de la mort.
— Il reste le lieu. Le duel se déroulera ici.
— L’arbitre ne tracera qu’un carré à la craie », précisa Janacek. Des cinq hommes présents, il était le seul à sourire. « Bien, il nous manque encore un arbitre. Le même pour les deux duels ?
— Oui, un seul homme fera l’affaire, répondit Chell. Je propose Lorimaar noble de Braith.
— Non, intervint Janacek. Il nous a rendu visite hier, habité par une profonde colère. Kirak Acierrouge Cavis.
— Non ! s’exclama Bretan. Il écrit de fort beaux poèmes, mais je ne vois pas à quoi d’autre il pourrait être utile.
— Il y a deux membres de l’Union Shanagate à Larteyn, leur rappela Janacek. Je ne me souviens pas de leurs noms. »
Le visage de Bretan était à nouveau agité de tics.
« Nous préférons un Braith, déclara-t-il. Aucun arbitre ne leur arrive à la cheville. Il ferait respecter notre code. »
Janacek se tourna vers Vikary, qui haussa les épaules.
« Entendu. Ce sera donc un Braith : Pyr Braith Oryan.
— Pas Pyr Braith, rétorqua Bretan.
— Vous n’êtes guère commodes à satisfaire, dit sèchement Janacek. C’est pourtant l’un de vos kethi.
— Nous avons eu des mots avec lui, expliqua Bretan.
— Un noble constituerait de toute façon un choix plus judicieux, fit remarquer le vieux Chell. Il nous faut un homme de poids et de sagesse : Roseph Lant Banshee noble de Braith Kelcek. »
Janacek haussa les épaules. « Entendu.
— Je lui demanderai de nous servir d’arbitre », fit Chell. Tous hochèrent lentement la tête.
« À demain, alors, leur dit Janacek.
— Oui, conclut Chell, tout a été décidé. »
Devant un Dirk complètement dépassé par les événements, les quatre hommes se dirent adieu. À son grand étonnement, chacun d’eux déposa un léger baiser sur les lèvres de son adversaire avant de s’éloigner.
Et Bretan Braith Lantry, balafré et borgne, embrassa Dirk de sa moitié de lèvre.
Une fois les Braiths partis, les trois hommes descendirent dans les appartements des Jadefer. Après en avoir allumé la pièce principale, Jaan entreprit sans un mot de préparer un feu dans la grande cheminée, sous le linteau aux gargouilles – il était allé prendre des bûches d’un bois noir noueux dans un placard dissimulé dans un mur proche. Dirk s’assit à une extrémité du divan, le front plissé, tandis que Garse Janacek prenait place à l’autre bout. Un léger sourire barrait son visage tandis que ses doigts tiraillaient distraitement les poils roux de sa barbe. Tous restaient silencieux.