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— Mais si j’en crois Gwen, vous avez énormément voyagé depuis. Quels mondes avez-vous visités ? »

Dirk haussa les épaules, puis : « Prométhée, Rhiannon, Thisrock, Jamison, entre autres. Et Avalon, bien sûr. Une douzaine en tout – pour la plupart des planètes plus primitives qu’Avalon, des mondes sur lesquels on a besoin de mes connaissances. Trouver du travail s’avère relativement facile quand on a suivi les cours de l’Institut, quand bien même on ne jouit pas d’une habileté exceptionnelle ou d’un talent particulier. Ça me convient parfaitement. J’adore voyager.

— Mais vous ne vous étiez encore jamais rendu au-delà du Voile du Tentateur. Juste dans le Grand Chaos, jamais sur les mondes extérieurs. Vous pourrez constater que tout est différent, ici. »

Dirk fronça les sourcils. « Grand Chaos ? De quoi s’agit-il ?

— C’est une expression propre aux Lycanthropes. Les mondes qui se sont retrouvés plongés dans le chaos, si vous préférez. Plusieurs de mes amis lycanthropes l’ont utilisée devant moi quand je poursuivais mes études sur Avalon. Elle désigne la sphère stellaire qui sépare les mondes extérieurs des colonies de la première et de la seconde génération, proches de Vieille Terre. Ce sont des systèmes planétaires du Grand Chaos que les Hrangans ont envahi, c’est là-bas qu’ils régnaient sur leurs mondes d’esclaves, qu’ils ont combattu les impériaux de la Terre. La plupart des planètes que vous avez citées étaient déjà connues à cette époque ; le conflit les a sévèrement touchées, avant même qu’elles ne se retrouvent plongées dans le chaos lors de l’Effondrement. Avalon appartient à la seconde génération de colonisation, c’était jadis une capitale de secteur. Mais ne pensez-vous pas que cette planète mérite un statut spécial au sein du Grand Chaos ? »

Dirk hocha la tête. « Si. Je connais un peu l’histoire, mais vous m’avez tout l’air d’avoir approfondi la question.

— Je suis historien. J’ai consacré la plupart de mes travaux à différencier ce qui appartient à l’histoire de ce qui provient des mythes de mon monde d’origine : Haut Kavalaan. Le Rassemblement de Jadefer m’a envoyé à grands frais sur Avalon étudier ses banques de données. J’en ai profité pour étudier ce monde deux ans durant, histoire d’occuper mes nombreux loisirs. C’est à ce moment-là que mon intérêt pour l’histoire de l’humanité dans son ensemble s’est développé. »

Sans piper mot, Dirk reporta son attention sur l’aube naissante. La moitié du disque rouge de Grand Satan était visible et un troisième soleil jaune venait d’apparaître, légèrement au nord des autres – guère plus qu’une étoile. « Grand Satan est une supergéante, dit pensivement Dirk, mais vue d’ici elle a l’air à peine plus grosse que le soleil d’Avalon. Elle doit se trouver vraiment très loin. Il devrait faire bien plus froid, la glace aurait déjà dû envahir ce monde – or l’air est juste un peu frais.

— C’est notre œuvre, répondit Vikary avec une évidente fierté. Pas uniquement celle de Haut Kavalaan, à dire vrai – de tous les mondes extérieurs. Les Tobériens ont su préserver une grande partie de la technique des champs de force que les impériaux de la Terre avaient perdue durant l’Effondrement, y apportant même certains perfectionnements. Sans leur écran stratosphérique, le Festival n’aurait jamais pu avoir lieu. Au périhélie, la chaleur de la Couronne d’Enfer et de Grand Satan aurait consumé l’atmosphère de cette planète et porté ses mers à ébullition, mais l’écran tobérien en a repoussé une partie, ce qui nous a valu un long, un très long été. Actuellement, et de la même manière, il nous aide à conserver de la chaleur. Mais les champs de force ont leurs limites, comme toute chose. Le froid finira par l’emporter.

— Je ne m’imaginais pas ainsi notre rencontre. Pourquoi êtes-vous monté sur cette terrasse ?

— À tout hasard. Il y a bien des années, Gwen m’a dit que vous aimiez assister au lever du jour. Ainsi que bien d’autres choses, Dirk t’Larien. J’en sais davantage sur votre compte que vous sur le mien. »

Dirk se mit à rire. « Eh bien, je n’en doute pas un instant. Avant la nuit dernière, j’ignorais jusqu’à votre existence. »

Le visage de Jaan Vikary se fit dur, sérieux. « Mais j’existe. Souvenez-vous-en, et nous pourrons être amis. J’espérais vous trouver seul de manière à pouvoir vous le dire, avant que les autres ne s’éveillent. Nous ne sommes pas sur Avalon, t’Larien, et bien des années se sont écoulées. C’est un monde-festival à l’agonie, une planète sans loi, où chacun de nous doit se raccrocher aux règles qui lui sont propres. Ne mettez pas mon code de l’honneur à l’épreuve. J’essaie de penser à moi en tant que Jaan Vikary, depuis mon séjour sur Avalon, mais je n’en reste pas moins un Kavalar. Ne m’obligez pas à redevenir Jaantony Riv Loup Vikary, noble de Jadefer. »

Dirk se leva. « Je ne suis pas sûr de tout comprendre, fit-il, mais je pense pouvoir me montrer suffisamment cordial. Je n’ai absolument rien contre vous, Jaan. » Déclaration qui parut satisfaire Vikary. Il hocha la tête, puis glissa une main dans la poche de son pantalon. « Un symbole de mon amitié et de mon intérêt pour vous. Le porterez-vous durant votre séjour sur Worlorn ? » Et il lui tendit une épingle de col en métal noir, qui représentait une petite raie.

Dirk l’accepta. « Si ça peut vous faire plaisir… » Et il la fixa à son col, souriant du formalisme de son interlocuteur.

« L’aube est sinistre, ici, fit Vikary. Et le plein jour guère plus réjouissant. Descendons dans nos appartements. Je vais réveiller les autres pour le petit déjeuner. »

L’appartement que Gwen partageait avec les deux Kavalars était immense, avec un séjour dominé par une cheminée haute de deux mètres, et deux fois plus large. Au-dessus d’elle se trouvait un linteau gris ardoise sur lequel étaient perchées des gargouilles aux yeux luisants, qui semblaient surveiller les lieux. Vikary passa devant elles, sur l’étendue de moquette d’un noir profond, pour ensuite conduire Dirk dans une salle à manger presque aussi vaste que la première pièce. T’Larien alla s’asseoir sur l’une des douze chaises de bois à haut dossier qui entouraient la longue table, tandis que son hôte partait chercher nourriture et compagnie.

Il revint bientôt avec un plateau de viande brune découpée en fines lamelles, ainsi qu’une corbeille de biscuits. Pour ressortir aussitôt après avoir posé le tout devant son invité. Une autre porte s’ouvrit alors, et Gwen pénétra dans la salle, un sourire ensommeillé aux lèvres. Elle portait un vieux bandeau frontal, des pantalons passés ainsi qu’une tunique verte informe aux larges manches. Dirk surprit le reflet du lourd bracelet de jade et d’argent qui enserrait son bras gauche. Dans son sillage marchait un homme presque aussi grand que Vikary, mais plus jeune de quelques années et bien plus élancé. Vêtu d’une combinaison à manches courtes d’étoffe caméléon qui avait pris une teinte brun-rouge, il fixa Dirk de ses yeux d’un bleu intense – jamais Dirk n’en avait vu d’aussi bleus – enchâssés dans un visage émacié, cerclé d’une épaisse barbe rousse.

Gwen alla s’asseoir ; l’homme à la barbe rousse, quant à lui, s’immobilisa devant Dirk. « Je suis Garse Jadefer Janacek. » Dirk se leva pour presser ses paumes tendues.

Garse Janacek portait lui aussi un pistolet laser glissé dans un étui en cuir passé dans une ceinture aux mailles d’acier. Son avant-bras droit était ceint d’un bracelet noir, identique à celui de Vikary. De l’acier, et ce qui ressemblait à de la pierrelueur.

« Vous savez probablement qui je suis, lui lança Dirk.

— En effet. » Et Janacek s’assit, en lui adressant un rictus menaçant.