L’après-midi déclinait quand il atteignit l’étroite berge de sable fin qui longeait le lac vert. Les appareils des Braiths étaient toujours là : l’un d’eux en sale état, profondément enfoncé dans les flots, les trois autres posés sur le sable. Le camp était désert.
Un des véhicules – celui de Lorimaar, à dôme large – était gardé par un chien attaché à la portière par une longue chaîne. La bête, allongée sur le sol, s’empressa de se lever à son approche, en lui montrant ses crocs. Dirk se surprit à rire stupidement, follement. Il avait parcouru tout ce chemin, il avait marché, marché et marché encore, uniquement pour découvrir un autre chien enchaîné à un aéronef. C’était risible. Il aurait pu assister exactement à la même scène sans se déplacer d’un seul mètre.
Contournant prudemment le périmètre délimité par la longueur de la chaîne, t’Larien gagna l’appareil de Janacek, dont il referma la lourde portière derrière lui après y être grimpé. La cabine exiguë, plongée dans l’obscurité, sentait le renfermé. Dirk avait froid depuis si longtemps qu’elle lui parut presque trop chaude. Il aurait juste voulu s’allonger, dormir, mais se résolut dans un premier temps à aller fouiller le caisson de rangement en quête d’une trousse d’urgence – il y en avait bel et bien une, remplie de bandages, de pilules et d’aérosols. T’Larien regretta un instant d’avoir omis de demander à Janacek de jeter cette trousse près de l’épave, avec le laser. Il savait qu’il aurait dû aller nettoyer méthodiquement ses blessures dans le lac avant de les soigner, mais la porte blindée massive de l’appareil lui paraissait à présent trop lourde pour qu’il puisse la déplacer.
Après avoir ôté ses bottes, sa veste et sa chemise, il pulvérisa sur ses pieds enflés et son bras gauche une poudre censée prévenir toute infection – ou la combattre, peut-être. Il se sentait trop las pour lire l’étiquette jusqu’au bout, de toute façon. Parmi les pilules, il choisit ensuite deux antipyrétiques, quatre analgésiques et deux antibiotiques, qu’il avala non sans mal vu qu’il ne disposait pas de la moindre goutte d’eau.
Puis il alla s’allonger sur le sol métallique, entre les sièges. Le sommeil vint aussitôt l’emporter.
Dirk s’éveilla la bouche pâteuse, tremblant, extrêmement nerveux – sans doute une réaction aux médicaments. Mais il était capable de penser, et son front lui parut frais (bien que couvert d’une sueur moite) lorsqu’il le toucha du dos de la main. Ses pieds le faisaient bien moins souffrir qu’auparavant. Quant à son bras, il lui semblait bien moins enflé, même s’il restait encore plus raide qu’à l’accoutumée. Après avoir renfilé la chemise brûlée et maculée de sang séché, il la couvrit de sa veste, s’empara de la trousse d’urgence et sortit.
Le crépuscule tombait. À l’ouest, le ciel avait pris des teintes rouge orangé. Deux petits soleils étincelaient au sein des nuages. Les Braiths n’étaient pas revenus. Jaan Vikary, vêtu, armé et expérimenté, devait savoir bien mieux que Dirk comment échapper à ses poursuivants.
Il traversa l’étendue de sable jusqu’au lac, se dévêtit, puis plongea aussitôt. L’eau était glaciale, mais il ne mit guère de temps à s’y accoutumer. La boue giclait avec douceur entre ses orteils. Après s’être lavé, il retourna prendre la trousse et répéta les soins qu’il s’était administrés avant de s’endormir, nettoyant et bandant ses pieds pour ensuite remettre les bottes de Pyr. Puis il frotta ses blessures avec un désinfectant, et tamponna les plaies enflammées de son bras avec un baume censé minimiser les réactions allergiques. Dans la foulée, il avala une autre poignée de pilules analgésiques, qu’il fit cette fois glisser avec un peu d’eau fraîche du lac.
La nuit tombait rapidement tandis qu’il se rhabillait. Le chien des Braiths, allongé désormais à côté de l’engin de Lorimaar, était en train de ronger un os ; il n’y avait toujours pas la moindre trace de ses maîtres. Dirk contourna prudemment la bête pour se rendre dans le troisième véhicule, celui de Pyr et de son teyn, estimant pouvoir se servir dans leurs réserves en toute impunité. À leur retour dans le camp désert, les autres Braiths ne pourraient jamais découvrir qu’on y avait subtilisé quelque chose.
À l’intérieur se trouvait un râtelier chargé d’armes : quatre fusils laser blasonnés des familières têtes de loup blanches ; une paire d’épées de duel ; des couteaux ; une épée de jet en argent longue de plus de deux mètres, ainsi qu’un support vide juste à côté. Deux pistolets avaient été négligemment jetés sur un siège. T’Larien y découvrit également un caisson rempli de vêtements propres. Il se changea au plus vite, se débarrassant sans regret de ses anciens vêtements. Les nouveaux lui allaient assez mal, mais peu lui importait. Il prit un ceinturon en mailles d’acier, l’un des pistolets, et une houppelande d’étoffe caméléon qui lui descendait jusqu’aux genoux.
Alors qu’il ôtait le vêtement du pommeau auquel on l’avait suspendu, t’Larien découvrit derrière un autre placard de rangement. À l’intérieur se trouvaient quatre bottines familières, ainsi que les glisseurs de Gwen. Pyr et son teyn les avaient de toute évidence réclamés comme butin.
Dirk sourit. Il n’avait à aucun moment eu l’intention d’emprunter l’un de ces aéronefs, le risque que les chasseurs le détectent immédiatement lui paraissant trop important, surtout de jour. Mais la perspective de se déplacer à pied ne l’enchantait guère. Les glisseurs constituaient naturellement la meilleure des solutions. Sans perdre de temps, il enfila la plus grande paire de bottines, en en laissant néanmoins une délacée à cause des bandages qui recouvraient son pied.
Il y avait aussi de la nourriture entreposée dans le placard : des barres protéinées, des lamelles de viande séchée et un petit morceau de fromage. Dirk grignota immédiatement celui-ci et fourra le reste dans un sac à dos avec le second glisseur. Après avoir fixé une boussole autour de son poignet droit, il nicha le sac entre ses omoplates, puis sortit étaler la plate-forme de tissu argenté sur le sable.
La nuit était noire. L’étoile rouge et solitaire de Haut Kavalaan – son point de repère à l’aube – brillait dans le ciel au-dessus de la forêt. La voir lui arracha un sourire. Ce soir, elle ne lui servirait pas de guide. Jaan, supposait-il, avait dû prendre la direction opposée, celle de Kryne Lamiya. Mais l’étoile semblait toujours vouloir rester son amie.
T’Larien prit un fusil laser encore chargé, puis effleura le boîtier de commande qu’il tenait dans sa paume. Le glisseur s’éleva aussitôt, laissant derrière lui les hurlements du chien des Braiths.
Il vola toute la nuit, se maintenant constamment à plusieurs mètres au-dessus de la cime des arbres, consultant par instants sa boussole sans trop quitter les étoiles des yeux. Il y avait fort peu de choses à voir. La forêt défilait sans fin sous ses pieds, noire et secrète, sans le moindre feu ou la moindre lumière pour rompre la monotonie de son obscurité. Par moments, il avait même l’impression de ne plus se déplacer, ce qui lui rappelait le dernier voyage qu’il avait effectué sur un glisseur, dans les tunnels déserts du système de communications souterraines de Worlorn.