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— C’est une très belle histoire, reconnut Dirk quand son interlocuteur en eut terminé. Mais quel effet l’argent pourrait-il avoir sur l’âme d’un simulacre ? »

De la colère envahit les traits de Janacek, comme l’ombre d’un nuage menaçant poussé par le vent. Puis le Kavalar sourit. « J’avais oublié vos manières de Kimdissi, ironisa-t-il. J’ai également appris autre chose, au cours de ma jeunesse : il ne faut jamais discuter avec un manipulateur. » Dans un grand rire, il se pencha pour serrer avec force la main de Dirk, un très court instant. « Assez, dit-il. Nous ne formerons jamais un seul être, mais je puis cependant devenir votre ami. Pour peu que vous ayez toujours envie d’être mon keth, bien entendu. »

Dirk haussa les épaules. Il se sentait étrangement ému. « D’accord. »

Mais Garse s’était déjà mis en route. Après avoir lâché le bras de Dirk, il avait effleuré dans sa paume la commande de l’appareil pour s’élancer au-dessus des flots rugissants. Il se déplaçait rapidement dans l’éther, penché en avant, léger et gracieux. La lumière du soleil se reflétait sur ses longs cheveux roux, ses vêtements changeaient sans cesse de couleur. À un moment donné, il tourna la tête pour crier quelque chose à t’Larien. Mais le bruit du vent impétueux couvrait ses paroles. Dirk n’en perçut que le ton : une joie cruelle.

Lui-même trop las pour reprendre immédiatement son vol, t’Larien regarda sans bouger son compagnon atteindre l’autre rive. Sa main libre glissa dans la poche de sa veste pour effleurer le joyau-qui-murmure. Il lui semblait moins froid, ses promesses lui parvenaient à présent considérablement affaiblies. Oh, Jenny !

Janacek s’éleva au-dessus des arbres jaunes pour rejoindre un ciel gris et pourpre. Sa silhouette s’amenuisait rapidement.

Dirk le suivit avec lassitude.

Janacek pouvait bien mépriser les glisseurs, les qualifier de jouets ; il savait fort bien s’en servir. Le Jadefer se retrouva bientôt très loin devant Dirk, s’élevant dans le vent régulier pour ensuite se maintenir à une vingtaine de mètres au-dessus de la forêt. La distance qui les séparait ne cessait d’augmenter. À la différence de Gwen, Garse n’était pas enclin à s’arrêter pour attendre que Dirk le rattrape.

Il se contenta donc du rôle de poursuivant. Comme ils étaient seuls dans l’immensité du ciel, il ne risquait guère de perdre le Jadefer de vue. Dirk chevauchait à nouveau les vents d’Aubenoire, acceptant leur poussée régulière pendant qu’il s’abandonnait à la rêverie – d’étranges songes éveillés à propos de Jaan et de Garse, des liens du fer et les joyaux-qui-murmurent, de Guenièvre et Lancelot qui avaient (il en eut brusquement conscience) brisé tous deux leurs serments.

Le fleuve disparut, laissant place aux lacs paisibles qui glissèrent bientôt derrière eux, en même temps que les champignons agglomérés en une croûte blanche sur la forêt. Dans le lointain, Dirk pouvait entendre les aboiements de la meute de Lorimaar – un son presque imperceptible apporté par le vent. Il n’en ressentait aucune inquiétude.

Ils virèrent vers le sud. Janacek n’était plus qu’un minuscule point noir qui renvoyait des reflets argentés lorsqu’un rayon de soleil venait frapper la plate-forme sur laquelle il se tenait. Dirk s’efforçait de le suivre, tel un oiseau fatigué. À un moment, le Kavalar entama une spirale descendante qui l’amena au niveau de la cime des arbres.

C’était une région sauvage, rocailleuse, avec quelques collines accidentées et des affleurements de roche noire striée d’or et d’argent. Il y avait des étouffeurs partout – des étouffeurs, rien que des étouffeurs. Dirk regardait de tous côtés, en quête d’un unique bois-d’argent, d’un veuf bleu, ou d’un arbre-fantôme sombre et squelettique. Un labyrinthe jaune s’étendait d’un horizon à l’autre, sans la moindre interruption. Dirk entendait les cris frénétiques de spectres arboricoles ; il pouvait les voir effectuer de courts vols planés sous ses pieds.

L’air autour de lui frissonnait sous le gémissement d’un banshee. Sans raison apparente, un fourmillement glacé parcourut alors sa colonne vertébrale. T’Larien leva aussitôt la tête, pour distinguer dans le lointain un rayon lumineux.

Ce doigt de feu aussi intense que soudain, qui agressait ses yeux fatigués, n’appartenait pas à ce monde crépusculaire. Il ne lui appartenait pas, mais s’y dressait bel et bien. Il avait jailli du sol telle une fine baguette de lumière pour aller se perdre dans le ciel.

Janacek, qui volait devant lui, ressemblait à une minuscule poupée de chiffon à proximité du trait étincelant. Le long fil écarlate le frôla légèrement, atteignant le traîneau d’argent sur lequel il se trouvait. L’image persista un instant sur les rétines de Dirk. Janacek commença alors à vaciller de façon ridicule, à agiter les bras. Il lâcha un bâtonnet, puis tournoya dans les airs avant de s’enfoncer parmi les étouffeurs et de disparaître au sein de leurs branches emmêlées.

Des bruits. Dirk entendait des bruits. De la musique dans ce vent d’hiver éternel. Du bois qui se brisait. Puis ce furent des cris de douleur et de rage, animaux, humains, comment le savoir ? Tous se mêlaient en un chant unique. Les tours de Kryne Lamiya miroitaient au-dessus de l’horizon, immatérielles et transparentes. Elles chantaient un hymne funèbre.

Le hurlement cessa brusquement. Les tours blanches se brisèrent, le vent qui le poussait en balaya presque aussitôt les derniers fragments. Dirk plongea en levant son laser.

Il vit un trou noir dans le feuillage, là où Garse Janacek l’avait traversé. Des branches étaient tordues, d’autres brisées. La trouée semblait suffisamment large pour permettre le passage d’un corps humain. Dirk flotta au-dessus sans pouvoir distinguer Janacek sur le sol de la forêt, tant les ombres étaient denses. Cependant, sur la plus haute branche, il aperçut une bande de tissu arraché qui battait dans le vent et changeait constamment de couleur. Un petit spectre arboricole montait solennellement la garde au-dessus.

« Garse ! » Il n’avait que faire de l’ennemi invisible dissimulé quelque part dans la forêt, armé d’un laser. Les spectres lui adressèrent un chœur de pépiements. Il entendit un bruit de chute dans les arbres. La lumière du laser refit son apparition, incroyablement brillante, et cette fois horizontale, tel un rayon de soleil impensable dans la noirceur du sous-bois. Dirk restait sur place, indécis. Un spectre arboricole apparut sur une branche, juste au-dessous de lui, pour le fixer de ses yeux limpides ; il n’avait visiblement pas peur de lui. Ses ailes demeurées écartées s’agitaient avec difficulté dans le vent. Dirk pointa son fusil et tira, maintenant son doigt pressé sur la détente jusqu’à ce que la créature se résume à une tache de cendres sur la branche jaunâtre.