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Après avoir abandonné le corps de Janacek là où Vikary l’avait fait tomber, dans la petite clairière qui s’ouvrait au sein des bois sans fin, ils partirent dans les sous-bois obscurs en direction de Kryne Lamiya. Dirk, qui devait porter son glisseur, s’efforçait de maintenir un pas aussi rapide que celui de Jaan. Ils n’avaient que fort peu avancé quand leur progression se retrouva bloquée par une falaise abrupte de roche noire.

Jaan se trouvait déjà à mi-chemin du sommet quand Dirk atteignit la muraille. Le sang de Janacek avait séché, formant sur ses vêtements une croûte brune que t’Larien pouvait voir du bas de la falaise. Le reste de ses habits était devenu noir. Son fusil en bandoulière, le Kavalar grimpait avec facilité, ses mains puissantes passant avec aisance d’une prise à l’autre.

Dirk déploya le glisseur argenté, puis vola jusqu’au sommet de l’escarpement.

Il venait à peine de dépasser la cime des étouffeurs quand le cri du banshee lui parvint aux oreilles. La petite clairière dans laquelle ils avaient laissé le corps de Janacek était facilement visible du point où il se trouvait – elle se résumait à une petite tache sombre, très proche. Mais t’Larien ne parvenait pas à voir le cadavre. Une masse grouillante de créatures jaunes lui masquait le centre de la trouée. Alors même qu’il observait la scène, d’autres formes minuscules jaillirent des bois alentour pour se joindre au festin.

Le banshee sortit de nulle part pour s’immobiliser au-dessus de la clairière. Il poussa un gémissement terrifiant, qui n’empêcha pourtant pas les spectres arboricoles de poursuivre leur folle mêlée. Ceux-ci ne cessaient de se mordre en piaillant, sans lui prêter la moindre attention.

Le banshee fondit alors sur eux, son ombre les couvrant entièrement juste avant que ses grandes ailes ne se plissent et se replient. Les spectres et le cadavre se retrouvèrent enveloppés dans son étreinte vorace, ce que t’Larien trouva étrangement réconfortant.

Mais un instant seulement. Car Dirk entendit aussitôt un cri aigu, pour voir ensuite une petite chose indistincte tomber droit sur la noire créature. Une autre vint bientôt la rejoindre, puis une autre, puis une douzaine en même temps. Le nombre de spectres semblait doubler chaque fois qu’il clignait des yeux. Le banshee déplia ses vastes ailes, se mit à les agiter tant bien que mal, mais sans réussir pour autant à s’envoler. Les spectres le recouvraient, le mordaient, le griffaient, le maintenaient sous leur poids et le déchiquetaient. Cloué au sol, il ne parvenait même plus à hurler son angoisse. Ce fut donc en silence qu’il mourut, son repas toujours pris au piège sous ses ailes.

Le temps que Dirk se libère de son glisseur, au sommet de l’escarpement, une grouillante masse jaunâtre qui ne cessait d’enfler masquait à nouveau la clairière, comme la première fois qu’il l’avait vue. Plus rien n’indiquait que le banshee s’y était posé. La forêt était redevenue totalement silencieuse. Une fois que Jaan l’eut rejoint, ils reprirent leur voyage sans mot dire.

La caverne était sombre, incroyablement silencieuse. Des heures s’écoulèrent sous terre tandis que Dirk suivait la petite lueur en mouvement de la torche de Jaan Vikary. La lumière le guida à travers des galeries souterraines tortueuses, des salles emplies d’échos où la noirceur s’étalait à l’infini, des passages assez étroits pour rendre quiconque claustrophobe – et dans lesquels ils étaient contraints de ramper. L’univers tout entier de t’Larien se résuma bientôt à cette lumière, au point qu’il finit par perdre toute notion du temps et de l’espace. Les deux hommes n’avaient rien à se dire, aussi n’ouvraient-ils pas la bouche. Seuls le raclement de leurs bottes sur le sol poussiéreux et les rares échos renvoyés par les parois venaient rompre le silence. Vikary connaissait manifestement cette grotte sur le bout des doigts. Il n’hésita pas une seule fois, ne se trompa jamais de chemin. Tous deux progressaient péniblement au cœur même de l’âme secrète de Worlorn.

Ils émergèrent sur le flanc d’une colline couverte d’étouffeurs, au sein d’une nuit de feu et de musique.

Kryne Lamiya était en flammes. Les tours osseuses hurlaient un chant d’angoisse.

Des langues de feu s’élevaient de toutes parts dans la pâle nécropole, telles de brillantes sentinelles errant dans les rues. La cité miroitait, étrange mirage dans les vagues de chaleur et de lumière. Elle ressemblait à un spectre orangé, sans substance. Un des ponts filiformes s’écroula tandis qu’ils observaient l’incendie. Son centre noirci s’effondra en premier, bientôt suivi par le reste des pierres. Le feu s’éleva plus haut encore. Il crépitait et hurlait, jamais rassasié. Un immeuble tout proche gronda faiblement, avant d’imploser dans un grand nuage de fumée et de flammes.

À trois cents mètres de la colline sur laquelle ils se tenaient, une tour-main crayeuse qui surplombait de toute sa hauteur les bois d’étouffeurs restait encore épargnée par l’immense brasier. Elle se découpait sur la clarté aveuglante – on aurait presque pu la croire vivante, à voir la manière dont elle se tordait et se crispait de douleur.

Dirk percevait encore la musique légère de Lamiya-Bailis, malgré le rugissement des flammes. La disparition de certaines tours avait brisé la symphonie aubienne. Des notes manquaient, le chant était entrecoupé de silences surnaturels. Le crépitement des flammes répondait en contrepoint aux gémissements, sifflements et autres lamentations. Les vents aubiens soufflaient inlassablement des montagnes pour faire chanter la Ville Sirène et attiser l’immense brasier où se consumait Kryne Lamiya, assombrissant son masque mortuaire de cendres et de suie avant de la faire taire à tout jamais.

Jaan Vikary fit glisser le fusil laser de son dos. Les reflets de l’incendie démesuré baignaient son visage étrangement inexpressif. « Que… ?

— L’appareil-loup », leur dit Gwen.

Elle se trouvait un peu plus bas, à quelques mètres dans la pente. La voir ne leur causa aucune surprise. Derrière elle, à l’ombre d’un veuf bleu à la ramure tombante, Dirk pouvait apercevoir le petit véhicule jaune de Ruark.

« Bretan Braith », précisa Vikary.

Gwen vint les rejoindre à l’entrée de la grotte. « Son engin a survolé la cité à plusieurs reprises, leur dit-elle en le leur confirmant d’un signe de tête. Il faisait feu de tous ses lasers.

— Chell est mort, dit Vikary.

— Mais vous, vous êtes vivants, répliqua Gwen. Je commençais à m’inquiéter.

— Nous sommes en vie, oui… bredouilla Jaan avant de laisser le fusil glisser de ses doigts. Gwen… j’ai tué mon teyn.

— Garse ? » Elle fronçait les sourcils, perplexe.

« Il m’avait livré aux Braiths, se hâta d’expliquer Dirk, dont les yeux rencontrèrent ceux de Gwen. Il pourchassait Jaan aux côtés de Lorimaar. Jaan n’a pas eu le choix. »

La jeune femme fixa alors le Kavalar droit dans les yeux. « C’est vrai ? Arkin m’a effectivement raconté quelque chose de ce genre, mais j’ai refusé de le croire.

— C’est pourtant la vérité, répondit Vikary.

— Arkin se trouve ici ? » intervint Dirk.

Gwen hocha la tête. « À l’intérieur de son véhicule. L’un de vous a dû lui indiquer où je me trouvais, car il est venu directement ici après sa fuite de Larteyn. Il a essayé de me faire avaler de nouveaux mensonges, mais je l’ai assommé – il est inoffensif, pour l’instant.

— Gwen, nous nous sommes gravement trompés sur le compte d’Arkin. » Dirk sentait le fond de sa gorge empli de bile. « Tu comprends ce que je te dis, Gwen ? Il a averti Jaan que Garse comptait le trahir – il n’en aurait rien su sans cet avertissement providentiel. Il aurait fait confiance à Janacek, jamais il ne l’aurait abattu. Il aurait été capturé, puis tué. » Sa voix se faisait rauque, pressante. « Est-ce que tu comprends ce que je veux dire, Gwen ? Arkin… »