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Lorsqu’elle monta, la jeune femme s’empressa de demander à Dirk ce qu’il avait dit à Arkin. « Rien », lui répondit-il, avant de lui-même l’interroger sur ce qui l’avait poussée à lui poser cette question. Elle lui expliqua qu’un Ruark en larmes l’avait réveillée, pour maintes fois lui répéter que peu importait ce qui allait se passer, elle devrait veiller à ce que leurs travaux soient publiés – et que son nom y figure, quoi qu’il ait fait entre-temps. Dirk hocha la tête, pour ensuite lui laisser les jumelles de même que sa place auprès de la meurtrière. Puis ils abordèrent d’autres sujets.

Le septième jour, le dernier tour de garde de la nuit revint à Dirk et à Jaan Vikary. La cité kavalar était parée de la luminescence rougeâtre des pierrelueurs, les boulevards faisaient penser à des feuilles de cristal noir sous lesquelles brûlaient faiblement, très faiblement, des flammes rouges. Aux alentours de minuit, une lumière apparut au-dessus des montagnes. Dirk l’étudia tandis qu’elle survolait la cité. « Je n’en suis pas certain, dit-il sans lâcher les jumelles. Il est difficile à distinguer nettement, mais on dirait bien les contours d’un dôme : Lorimaar ? »

Vikary se tenait devant lui. L’appareil grandit, puis glissa silencieusement au-dessus de la ville. Sa silhouette était très nette à présent. « Oui, fit Jaan, c’est bien son véhicule. »

L’engin vira au-dessus des Terres communes avant de revenir vers la paroi abrupte de la falaise, là où se trouvait l’entrée du grand garage souterrain. Vikary semblait pensif. « Jamais je ne l’aurais cru », avoua-t-il. Ils descendirent réveiller leurs compagnons.

L’homme se retrouva face à deux lasers lorsqu’il émergea de la noirceur du passage. Gwen tenait son pistolet braqué sur lui, d’une façon presque désinvolte. Dirk, qui avait braqué le canon de son fusil de chasse en direction de l’entrée des souterrains, gardait le viseur pressé contre sa joue – il était prêt à tirer. Seul Jaan Vikary maintenait son fusil dirigé vers le bas. Il avait laissé son pistolet dans son étui.

Les portes de l’ascenseur se refermèrent doucement derrière l’homme. Il s’immobilisa, effrayé à juste titre. Ce n’était pas Lorimaar. Non, aucun doute. Dirk ne l’avait jamais vu. Il abaissa son arme.

L’inconnu les regarda à tour de rôle, puis il fixa Jaan Vikary. « Noble de Jadefer, murmura-t-il presque, pourquoi m’attendiez-vous ? » C’était un homme de taille moyenne, au visage chevalin et barbu, avec de longs cheveux blonds et un corps décharné. Il portait un vêtement d’étoffe caméléon qui avait pris une teinte rouge sale, sombre, empourprée et fiévreuse – comme les blocs de pierrelueur du dallage.

Vikary vint doucement écarter le pistolet laser de Gwen, un geste qui parut la réveiller. Elle fronça les sourcils, puis rengaina son arme. « Nous attendions Lorimaar noble de Braith, dit-elle.

— C’est exact. Nous n’entendions aucunement vous offenser, Shanagate, ajouta Vikary. Honneur à votre étau, honneur à votre teyn. »

L’homme au visage chevalin hocha la tête, manifestement soulagé. « Honneur à votre étau, honneur à votre teyn, noble de Jadefer. Je ne m’estime pas offensé. » Il tiraillait sur son nez avec nervosité.

« Mais ne pilotiez-vous pas un appareil appartenant à l’étau de Braith ? »

Le Shanagate hocha la tête. « En vérité, il est nôtre par droit de récupération. Mon teyn et moi l’avons découvert dans la jungle, alors que nous poursuivions un cornefer en fuite. L’animal s’est arrêté pour boire sur la rive d’un lac, juste à côté de ce véhicule abandonné.

— Abandonné ? En êtes-vous absolument certain ? »

L’homme se mit à rire. « Je connais Lorimaar noble de Braith, ainsi que le gros Saanel. Jamais je n’aurais pris le risque d’un duel avec eux. Non, nous avons également découvert leurs cadavres. Quelqu’un a dû les attendre dans leur camp, à l’intérieur de leur propre appareil. Et quand ils sont revenus de leur chasse… » Il fit un geste désinvolte. « Eh bien, ils ne couperont plus de têtes, qu’elles soient de simulacres ou d’animaux.

— Morts ? » Gwen avait à peine desserré les dents.

« Morts, répéta le Kavalar, et depuis plusieurs jours. Les nécrophages se sont attaqués aux cadavres, bien sûr, mais ils ne les avaient pas défigurés au point de les rendre méconnaissables. Nous avons découvert un autre appareil à proximité, dans le lac. Inutilisable – les dégâts étaient trop importants. Nous avons relevé des traces dans le sable, elles indiquaient que d’autres appareils s’étaient posés avant de repartir. Le véhicule de Lorimaar était toujours en état de marche, mais il était rempli de molosses morts. Nous nous le sommes approprié après l’avoir nettoyé, ainsi que nous y autorisait le code. Mon teyn me suit à bord de notre propre véhicule. Il se passe sur Worlorn des événements pour le moins inhabituels. » Le Shanagate leur lança un regard inquisiteur – il ne prenait nullement la peine de leur dissimuler sa méfiance.

Il fixa longuement Dirk, puis le bracelet de fer nu de Gwen, sans pour autant faire le moindre commentaire.

« Il nous semblait déjà que les Braiths étaient moins nombreux que d’habitude, ajouta-t-il, et voici que nous découvrons deux nouveaux cadavres.

— Si vous vous en donnez la peine, dit Gwen, vous en trouverez encore.

— Ils créent un nouvel étau, précisa Dirk. En enfer. »

Après le départ du Shanagate, ils regagnèrent leur tour de guet d’un pas lourd, sans que personne ne parle. Les longues ombres qui naissaient sous leurs pieds les suivaient fidèlement dans les sombres rues pourpres. À en croire sa démarche, la jeune femme était épuisée. Vikary, quant à lui, semblait presque apeuré. Il tenait son fusil en position de tir, prêt à le redresser et à tirer si d’aventure Bretan Braith apparaissait brusquement devant eux.

Ses yeux scrutaient chaque allée et chaque place le long de leur chemin.

Dirk et Gwen s’assirent par terre une fois de retour dans la clarté de la salle commune, tandis que Jaan attendait un instant à l’extérieur, l’air pensif, avant de poser ses armes et de rentrer déboucher une bouteille de vin – le même cru capiteux qu’il avait partagé avec Garse et Dirk, la nuit ayant précédé le duel qui n’avait jamais eu lieu. Il remplit trois verres et leur en tendit deux. « Buvez, dit-il en levant son propre verre. Nous approchons du dénouement. Il ne reste plus que Bretan Braith, et il ira bientôt rejoindre Chell – à moins que ce ne soit moi qui aille retrouver Garse. Mais, d’une façon ou d’une autre, tout sera terminé. » Il but son verre d’un trait. Les autres se contentèrent d’une seule gorgée.

« Il faut que Ruark vienne boire avec nous », annonça brusquement Vikary en remplissant son verre. Le Kimdissi ne les avait pas accompagnés à leur rendez-vous nocturne. Sa réticence à les suivre ne paraissait cependant pas due à la peur – c’était du moins ce que Dirk avait pensé, sur l’instant. Ruark s’était habillé en même temps que les autres après que Jaan l’eut réveillé, revêtant son plus bel ensemble de soie ainsi qu’un petit béret écarlate. Mais lorsque Vikary lui avait tendu un fusil, à la porte, il l’avait regardé en le gratifiant d’un petit sourire curieux, pour ensuite refuser l’arme en précisant : « Je possède mon propre code, Jaantony, et je dois le respecter. Merci, mais je préfère attendre ici. » Ses yeux paraissaient presque joyeux sous ses cheveux blond clair. Jaan lui avait alors demandé de monter la garde dans la tour ; le Kimdissi avait accepté.