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— Ils dînent une fois qu’on est au lit. Et puis ils veillent tard et discutent. Le matin, il nous pose des questions sur l’école et d’autres trucs et essaie d’être gentil avec nous. »

Le matin. Finch grimaça.

Il se força à faire l’amour à Jennifer ce soir-là, de façon qu’elle ne soupçonne pas ses soupçons, mais il était vide de désir et eut le plus grand mal à la pénétrer, ce qui ne fit qu’aggraver les choses. Se sentant elle-même coupable, elle allait vouloir tout prendre sur elle, et cette défaillance inhabituelle d’un mari qui avait passé trois nuits loin d’elle la conduirait probablement à penser qu’il avait fait des frasques à Boston, ce qui l’encouragerait à se donner de façon encore plus flagrante à son amant, ce qui…

Au cours des deux semaines précédant son prochain voyage il pensa constamment à ce qui devait se passer entre Jennifer et Nort pendant qu’il était absent. Il était plein d’appréhension, lointain, irritable et morose ; Jennifer semblait essayer de lui être agréable, mais tout ce qu’elle faisait ne servait strictement à rien, et il était réduit à prétexter des ennuis de travail et des migraines pour éviter d’avoir à lâcher ce qu’il avait réellement en tête. Il ne voulait pas de confrontations avec elle. L’amour qu’il lui portait devait être assez grand pour offrir le champ à un petit adultère discret, et si ce n’était pas le cas, eh bien, il essaierait de changer d’attitude.

Mais comme il roulait vers Hartford sous un ciel gris de novembre, il se mit à imaginer la voiture de Nort en train de se glisser dans le garage, Nort entrant dans la maison, Nort posant les mains sur les seins de Jennifer, Nort l’entraînant vers la chambre à coucher. L’absurde intensité de son obsession l’alarma et le consterna. Mais il ne pouvait contrôler ses sentiments. Arrivé à Hartford, il se présenta à son motel et fit ses trois premières visites dans une sorte d’état second ; il devait avoir l’air très mal en point, car tout le monde se livra à des commentaires sur sa mine ; il but deux verres avant de se rendre à son quatrième rendez-vous, y renonça, l’annula et retourna au motel. Là il prit un autre verre, mangea un hamburger à la cafétéria, et regarda la télévision sans la voir jusqu’à minuit, moment où il se leva brusquement, s’habilla, quitta sa chambre en titubant et reprit sa voiture pour rentrer chez lui. Il savait que c’était de la folie. Il se faufilerait dans la maison, les surprendrait au lit et ils s’assoiraient tous les trois pour discuter. Quant à ce qui se passerait après, il n’en avait pas la moindre idée.

Sur le coup de deux heures du matin, il se gara devant sa maison et vit, non sans une satisfaction perverse, qu’une lampe était allumée dans la chambre à coucher. Étrangement calme, Finch regarda par la fenêtre du garage, mais ne vit que le break de Jennifer à l’intérieur. Ainsi Nort était bien quelqu’un du voisinage, conclut Finch. Un petit coup de fil et il rapplique ici à pinces.

Sans bruit Finch fit jouer le verrou de la porte, tapa son code d’identification sur le clavier de la sonnerie d’alarme, retira ses chaussures et monta à l’étage sur la pointe des pieds. Son cœur battait avec une telle force qu’il se mit à redouter un accident cardiaque. En haut de l’escalier il marqua un temps, paralysé par la honte et l’appréhension. Fiche-leur la paix, se dit-il. C’est incontestablement la chose la plus stupide, la plus imprudente, la plus vaine que tu aies faite de ta vie. Tout tremblant, il n’osait pas aller plus loin.

« Dale ? appela Jennifer de la chambre à coucher. C’est toi, Dale ? Il y a intérêt à ce que ce soit toi !

— C’est moi, oui », croassa-t-il, et il fit irruption dans la chambre.

Elle était seule, assise dans le lit, l’air effrayé et surpris. Finch, secoué de tremblements, le teint terreux, eut malgré tout la présence d’esprit de parcourir la chambre des yeux à la recherche d’une trace de Nort, un bracelet-montre oublié, une chaussette égarée. Rien. Jennifer était nue. Elle dormait ainsi avec lui, mais elle lui avait dit une fois qu’elle portait toujours des pyjamas quand il était en tournée, pour se tenir chaud. Sûr que Nort était encore ici. Personne ne saute d’une fenêtre du premier étage pour échapper à un mari en colère. Dans le placard ? Dans la salle de bains ? Sous le lit ? Finch comprit qu’il avait suscité une farce grotesque.

« Je suis malade, marmonna-t-il. Des vertiges… des accès de fièvre… impossible de rester seul. J’ai grimpé dans la voiture, direction la maison… pour être avec toi… les enfants…

— Dale, qu’est-ce qui se passe ? De quoi tu souffres ? » Elle était aussi tendue et angoissée que lui, mais elle avait l’air de retrouver son calme. Elle sortit du lit – était-ce aux doigts de Nort qu’elle devait ces marques rouges sur ses seins et ses cuisses ? –, enfila son peignoir et s’approcha de lui. « Si tu étais si mal en point, tu n’aurais pas dû essayer de faire tout ce chemin depuis Hartford. Pourquoi n’as-tu pas téléphoné d’abord ? Pourquoi n’as-tu pas essayé de faire appeler un docteur par le motel ? » Il vacilla. Ses jambes étaient comme en béton. Il s’appuya contre elle, ses narines s’efforçant de flairer l’eau de toilette de l’autre ou même l’odeur de sa transpiration, et laissa Jennifer l’allonger sur le lit. Il voulait lui demander où elle avait caché Nort. Mais les mots refusaient de sortir. Elle l’aida à se déshabiller, lui apporta de l’aspirine, monta le thermostat en le voyant trembler si fort et le serra dans ses bras. Le corps de Jennifer était si chaud, si doux et tendre contre le sien, qu’il en eut presque les larmes aux yeux. Il s’abandonna à son étreinte et, à sa grande surprise, ses désirs se ranimèrent et il se fit entreprenant. Elle essaya de le calmer en lui disant qu’il était trop fatigué pour ce genre de chose, mais il n’y eut pas moyen de l’arrêter et il la prit rapidement et avec une énergie inhabituelle. Jennifer répondit à ses coups de reins avec une vigueur qu’il ne lui avait pas connue depuis des mois. Ce doit être parce que Nort a procédé aux préliminaires pour moi, songea-t-il amèrement, et il jouit aussitôt, dans un sanglot, avant de s’effondrer sur la poitrine de Jennifer. Il s’endormit tout de suite, et, le matin venu, tout cela ne paraissait rien de plus qu’un mauvais rêve. Finch insista pour retourner à Hartford et terminer sa tournée, et ne voulut entendre aucune objection de la part de Jennifer. Mais il se rendit d’abord dans la chambre de Samantha et, coupant court à son expression de surprise en voyant son père rentrer si tôt de voyage, lui demanda abruptement si Nort était venu dîner la veille.

« Oui, dit-elle. Il était là quand je suis rentrée de l’école. Il était toujours en haut avec maman ? »

Comme il roulait vers Hartford, redevenu une boule de nerfs, Finch se demanda s’il devait chercher conseil auprès de ses amis, de ses parents, du pasteur du quartier ou d’un thérapeute. Il n’avait jamais rien fait de tel. Sa vie s’était toujours ramenée à une sage progression vers un bonheur plus profond. Le temps d’atteindre le motel, il savait qu’il ne consulterait personne, ne prendrait aucune initiative, se contenterait de voir venir. Il laisserait la balle dans le camp de Jennifer.