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Du monde entier

ELENA FERRANTE

L’AMIE PRODIGIEUSE

ENFANCE, ADOLESCENCE

roman

Traduit de l’italien

par Elsa Damien

GALLIMARD

LE SEIGNEUR : Tu pourras toujours te présenter ici librement. Je n’ai jamais haï tes pareils. Entre les esprits qui nient, l’esprit de ruse et de malice me déplaît le moins de tous. L’activité de l’homme se relâche trop souvent ; il est enclin à la paresse, et j’aime à lui voir un compagnon actif, inquiet, et qui même peut créer au besoin, comme le diable. Mais vous, les vrais enfants du ciel, réjouissez-vous dans la beauté vivante où vous nagez ; que la puissance qui vit et opère éternellement vous retienne dans les douces barrières de l’amour, et sachez affermir dans vos pensées durables les tableaux vagues et changeants de la Création.

J.W. GOETHE, Faust

INDEX DES PERSONNAGES

LA FAMILLE CERULLO (LA FAMILLE DU CORDONNIER) :

Fernando Cerullo, cordonnier.

Nunzia Cerullo, mère de Lila.

Raffaella Cerullo, que tout le monde appelle Lina, sauf Elena qui l’appelle Lila.

Rino Cerullo, grand frère de Lila, cordonnier lui aussi.

Rino sera aussi le prénom d’un des enfants de Lila.

Autres enfants.

LA FAMILLE GRECO (LA FAMILLE DU PORTIER DE MAIRIE) :

Elena Greco, dite Lenuccia ou Lenù. C’est l’aînée, et après elle viennent Peppe, Gianni et Elisa.

Le père est portier à la mairie.

La mère reste au foyer.

LA FAMILLE CARRACCI (LA FAMILLE DE DON ACHILLE) :

Don Achille Carracci, l’ogre des contes.

Maria Carracci, femme de Don Achille.

Stefano Carracci, fils de Don Achille, épicier dans l’épicerie familiale.

Pinuccia et Alfonso Carracci, les deux autres enfants de Don Achille.

LA FAMILLE PELUSO (LA FAMILLE DU MENUISIER) :

Alfredo Peluso, menuisier.

Giuseppina Peluso, femme d’Alfredo.

Pasquale Peluso, fils aîné d’Alfredo et Giuseppina, maçon.

Carmela Peluso, qui se fait appeler aussi Carmen, sœur de Pasquale, vendeuse à la mercerie.

Ciro et Immacolata.

LA FAMILLE CAPPUCCIO (LA FAMILLE DE LA VEUVE FOLLE) :

Melina, une parente de la mère de Lila, veuve folle.

Le mari de Melina, qui déchargeait des cageots au marché horticole.

Ada Cappuccio, fille de Melina.

Antonio Cappuccio, son frère, mécanicien.

Autres enfants.

LA FAMILLE SARRATORE (LA FAMILLE DU CHEMINOT-POÈTE) :

Donato Sarratore, contrôleur.

Lidia Sarratore, femme de Donato.

Nino Sarratore, l’aîné des cinq enfants de Donato et Lidia.

Marisa Sarratore, fille de Donato et Lidia.

Pino, Clelia et Ciro Sarratore, les plus jeunes enfants de Donato et Lidia.

LA FAMILLE SCANNO (LA FAMILLE DU VENDEUR DE FRUITS ET LÉGUMES) :

Nicola Scanno, vendeur de fruits et légumes.

Assunta Scanno, femme de Nicola.

Enzo Scanno, fils de Nicola et Assunta, vendeur de fruits et légumes lui aussi.

Autres enfants.

LA FAMILLE SOLARA (LA FAMILLE DU PROPRIÉTAIRE DU BAR-PÂTISSERIE HOMONYME) :

Silvio Solara, patron du bar-pâtisserie.

Manuela Solara, femme de Silvio.

Marcello et Michele Solara, fils de Silvio et Manuela.

LA FAMILLE SPAGNUOLO (LA FAMILLE DU PÂTISSIER) :

M. Spagnuolo, pâtissier au bar-pâtisserie Solara.

Rosa Spagnuolo, femme du pâtissier.

Gigliola Spagnuolo, fille du pâtissier.

Autres enfants.

Gino, fils du pharmacien.

LES ENSEIGNANTS :

M. Ferraro, instituteur et bibliothécaire.

Mme Oliviero, institutrice.

M. Gerace, professeur au collège.

Mme Galiani, professeure au lycée.

Nella Incardo, la cousine d’Ischia de Mme Oliviero.

PROLOGUE

Effacer les traces

1

Ce matin Rino m’a téléphoné, j’ai cru qu’il voulait encore de l’argent et me suis préparée à le lui refuser. Mais le motif de son appel était tout autre : sa mère avait disparu.

« Depuis combien de temps ?

— Quinze jours.

— Et c’est maintenant que tu m’appelles ? »

Mon ton a dû lui paraître hostile ; pourtant je n’étais ni en colère ni indignée, juste un tantinet sarcastique. Il a tenté de répliquer mais n’a pu émettre qu’une réponse confuse, gênée, moitié en dialecte et moitié en italien. Il s’était mis dans la tête, m’a-t-il expliqué, que sa mère était en vadrouille quelque part dans Naples, comme d’habitude.

« Même la nuit ?

— Tu sais comment elle est.

— D’accord, mais quinze jours d’absence, tu trouves ça normal ?

— Ben oui. Ça fait longtemps que tu ne l’as pas vue, c’est encore pire : elle n’a jamais sommeil, elle va et vient, elle fait tout ce qui lui passe par la tête. »

Il avait quand même fini par s’inquiéter. Il avait interrogé tout le monde, fait le tour des hôpitaux et s’était même adressé à la police. Rien, sa mère n’était nulle part. Quel bon fils ! Un gros bonhomme sur la quarantaine, qui n’avait jamais travaillé de sa vie et n’avait fait que trafiquer et gaspiller. J’ai imaginé avec quelle diligence il avait dû faire ses recherches : aucune. Il n’avait pas de cervelle, et rien ne lui tenait à cœur hormis sa propre personne.

« Elle ne serait pas chez toi ? » m’a-t-il soudain demandé.

Sa mère ? Ici à Turin ? Il connaissait bien la situation, et ne parlait que pour parler. Lui oui, c’était un voyageur, et il était venu chez moi une dizaine de fois, sans y être invité d’ailleurs. Sa mère, qu’au contraire j’aurais accueillie avec plaisir, n’était jamais sortie de Naples de toute sa vie. Je lui ai répondu :

« Elle n’est pas chez moi, non.

— Tu es sûre ?

— Rino, s’il te plaît : je te dis qu’elle n’est pas là.

— Mais alors elle est où ? »

Il s’est mis à pleurer : je l’ai laissé mettre en scène son désespoir, avec des sanglots qui commençaient par être feints avant de devenir réels. Quand il a terminé je lui ai conseillé :

« S’il te plaît, comporte-toi comme elle le voudrait, pour une fois : ne la cherche pas.

— Mais qu’est-ce que tu racontes ?

— Tu m’as entendue. C’est inutile. Apprends à vivre tout seul, et ce n’est pas la peine de me chercher non plus. »

J’ai raccroché.

2

La mère de Rino s’appelle Raffaella Cerullo, mais tout le monde l’a toujours appelée Lina. Pas moi : je n’ai jamais utilisé ni ce premier ni ce deuxième prénom. Depuis plus de soixante ans, pour moi elle est Lila. Si je l’appelais Lina ou Raffaella, comme ça, d’un coup, elle penserait que notre amitié est finie.