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— Lâche-le ! Comment veux-tu qu’il parle si tu l’étrangles ?

— Laisse-moi régler ça ! gronda l’archéologue. Ce bougre de salaud a dépassé les bornes… Tu parles, toi ? Où est-elle ?

Le cou coincé entre les doigts d’Adalbert, la victime esquissa un geste d’impuissance, à la limite de l’évanouissement…

— Tu vas l’occire, sacrebleu ! Tu veux être pendu ?

— Occupe-toi de tes oignons !

— Dans ces conditions…

Aldo prit un léger recul, puis son poing droit partit comme une catapulte en direction du menton d’Adalbert qu’il ne mit pas groggy mais fit vaciller suffisamment pour permettre de lui arracher une proie pantelante qui s’étala sur le tapis en essayant de reprendre son souffle.

— Aidez-le, vous autres ! lança Morosini au groupe de curieux. Vous ne pouviez pas intervenir au lieu de rester là à compter les coups !

— No ! s’écria un vieux gentleman typiquement britannique au teint de brique, cheveux blancs et yeux bleu faïence. Quand deux gentlemen règlent leurs comptes, on ne doit pas s’en mêler. Seulement veiller à ce que le combat soit correct !

— Correct ? Les règles du marquis de Queensbury ont bien changé, dans ce cas ! Je n’imaginais pas qu’il fût permis de tordre le cou à son adversaire comme celui d’un poulet ? Maintenant, permettez ? J’ai à faire !

Le directeur, lui, n’avait pas perdu de temps. Aidé du barman, il emportait l’ennemi dans un coin plus tranquille afin de lui prodiguer les soins nécessaires. Vidal-Pellicorne, de son côté, reprenait lentement ses esprits dans le fauteuil de rotin où une bourrade l’avait poussé quand il s’était mis à chanceler, l’œil soudain vague. Aldo lui tapota les joues. Il allait s’élancer vers le bar pour chercher un remontant mais stoppa net en voyant à son côté le vieux gentleman armé d’un verre de whisky qu’il lui tendait sans un mot. Aldo sourit :

— Oh, merci, Sir ! C’est juste ce qu’il lui faut !

L’autre, cependant, se présentait en claquant les talons :

— Colonel John Sargent ! En retraite du 17e Gurkas !

Aldo abandonna Adalbert pour une brève inclinaison :

— Prince Aldo Morosini, de Venise. Antiquaire. Excusez-moi si j’ai été un peu vif !

On se serra la main puis on revint à Adalbert qui, sous l’effet de l’alcool, remontait à la surface sous le regard attentif des deux autres. Finalement, il se redressa :

— Où est-il ? grogna-t-il.

— Ah, non ! protesta Aldo. Tu ne vas pas recommencer !

— Parti ! annonça le colonel. On vient d’emmener l’honorable Freddy Duckworth à la voiture qui l’attendait…

L’égyptologue regarda autour de lui et fixa Aldo :

— Mais dis donc ? Tu m’as frappé ? Toi ?

— Ben oui ! C’était la seule façon de te calmer. Et ne me demande pas ce que je fais là. Tu m’as donné rendez-vous ici et tu m’as même invité à déjeuner.

— C’est vrai, mais on verra ça plus tard ! En attendant, il faut à tout prix que je retrouve ce concentré de vipère…

Il essayait de se relever mais Aldo le renvoya dans son fauteuil du bout de l’index :

— Tu ne feras rien du tout ! Tu as entendu le colonel Sargent ? Il t’a dit qu’il est parti dans une voiture !

— Je sais qu’il partait puisque je l’ai attrapé au vol, mais où allait-il ?

— Au diable, si ça lui chante ! Tu ne crois pas qu’il a suffisamment occupé le devant de la scène ?

— Moi aussi, messieurs ! intervint le colonel Sargent. J’aperçois lady Clémentine, mon épouse, qui me cherche. À bientôt, j’espère ?

— Ce sera avec plaisir ! répondit Aldo. Maintenant, j’aimerais prendre, dans l’ordre : possession de ma chambre, une douche et des vêtements frais. Tu peux m’accompagner, si tu veux ?

— Non. Je préfère aller fumer une pipe au jardin !

Il boudait visiblement. Aldo sentit un léger parfum de moutarde lui monter au nez :

— Tu es bien sûr que je t’y retrouverai ? Parce que si c’est pour filer je ne sais où sur la trace de ce pauvre type, il vaudrait peut-être mieux que je retourne à la gare ?

— Non, mais ce pauvre type comme tu dis…

— Ça suffit ! Et, à ce propos, qui est donc cette « elle » qui jouait le rôle de pomme de discorde ?

— On en parlera plus tard…

— Ce ne serait pas une jeune fille d’environ vingt ans, très brune et aux yeux d’aigue-marine ?

Adalbert se pétrifia, telle la femme de Loth victime de sa désobéissance :

— Tu… tu la connais ?

— Absolument pas ! Je ne sais même pas son nom. Simplement, j’ai rencontré hier la personne en question. Et je me permets d’ajouter que j’ai tout lieu de croire qu’il s’agit d’elle parce qu’elle m’a chargé d’un message oral pour toi !

— Dis vite !

— Nenni ! Tu m’en as assez fait voir pour ce matin. Tu attendras le déjeuner ! Sinon, tu es capable de filer prendre le premier train. À tout à l’heure !

L’éminent archéologue, membre de l’Institut, ressemblait à un gamin attendant le Père Noël quand Aldo le rejoignit dans l’élégante salle à manger aux larges baies ouvertes sur le jardin et le fleuve. Il lui laissa à peine le temps de s’asseoir en face de lui :

— Alors ? s’impatienta-t-il.

Pour seule réponse et jugeant que le supplice avait assez duré, Aldo lui tendit la feuille de calepin sur laquelle, avant de quitter le musée, il avait noté les paroles de l’inconnue. Adalbert les dévora avidement.

— C’est tout ? fit-il en retournant la page recto verso plusieurs fois.

— Que te faut-il de plus ? Elle dit qu’elle ne t’a pas trahi et, si l’excuse est peut-être vague, elle me paraît suffisante ? À présent, j’aimerais en apprendre davantage. Et d’abord son nom.

— Salima Hayoun. C’est une jeune archéologue débutante. Je l’ai rencontrée au Caire quand, à mon arrivée, je suis allé chercher mon autorisation de fouiller certain endroit que j’avais plus ou moins repéré l’an passé. Elle s’est présentée et m’a demandé de l’inclure dans ma mission afin d’étudier sur place les méthodes d’approche d’un site. Elle avait suivi les cours de l’École du Louvre et, comme elle est plutôt agréable à regarder, je l’ai embauchée sans rechigner.

— Je veux bien te croire.

— Nous avons donc travaillé côte à côte pendant quelques semaines, jusqu’à ce que je découvre le cartouche. Et je dois dire qu’elle ne ménageait pas sa peine. Puis je suis revenu au Caire pour ma prolongation en la laissant sur place en compagnie d’Ali Rachid, mon chef de travaux… Tu sais déjà ce que j’ai trouvé à mon retour : Freddy Duckworth installé, secondé par une partie de mes travailleurs – sauf Ali Rachid – mais Salima, elle, était toujours là. Quand elle m’a aperçu, elle s’est hâtée de plonger dans les entrailles de la terre et, lorsque j’ai voulu la rejoindre, on m’en a empêché. Sur ce, j’ai boxé Duckworth, mais il avait prévu ça aussi en s’adjoignant quatre types de la police qui m’ont arrêté et coffré jusqu’à ce que notre consul me tire de ce guêpier… Admets que c’était dur à avaler !

— Sans aucun doute ! Et tu as entrepris de noyer ces désagréments dans le whisky ?

— Il fallait bien passer le temps ? Je connais son adresse au Caire et j’étais décidé à patienter jusqu’à ce qu’elle revienne.

— Je comprends mieux, mais maintenant je veux savoir pourquoi, alors que je te croyais occupé à récupérer tranquillement à l’hôtel, tu as filé à la gare attraper le premier train ?