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— J’ai reçu un télégramme d’Ali Rachid – un véritable ami, celui-là ! Il faisait surveiller Duckworth par un de ses hommes et s’est dépêché de me prévenir quand mon voleur a reçu la punition qu’il méritait ! Le camouflage de la tombe avait été assez habilement reconstitué pour tromper le vieux dur à cuire que je suis. Mais quand il est arrivé à la chambre mortuaire, il n’y avait plus rien. Les pilleurs l’avaient déjà visitée, et ça ne datait pas d’hier. On a trouvé la momie démaillotée et abandonnée dans un coin. En revanche, le sarcophage, que l’on n’avait pas pris la peine de refermer, contenait le cadavre d’un Égyptien poignardé dont la mort devait remonter à une trentaine d’années. C’est ce qu’Ali m’a invité à venir constater, et tu penses bien que je n’ai pas perdu une minute. Ali et moi étions sur le site hier après-midi. Il n’y avait plus âme qui vive et tout avait été refermé. Sans trop de soin du reste. Freddy s’est contenté de faire reboucher à la va-vite et a déguerpi sans tambours ni trompettes. Pas loin, puisqu’il est revenu ici comme si de rien n’était… Et une déception d’archéologue de plus ! Salima, elle, s’était évaporée... C’est pourquoi, en voyant que ce cochon était ici, j’ai entrepris de le cuisiner à ma façon ! Grâce à Dieu, tu es intervenu à temps pour m’éviter un meurtre. À présent, qu’il aille se faire pendre ailleurs ! Et je vais pouvoir rentrer au Caire avec toi… puisqu’elle y est ! conclut Adalbert, un sourire épanoui aux lèvres, en avalant d’un trait son verre de vin.

Aldo, lui, garda le silence en regardant son ami attaquer vigoureusement son roast-beef. Un verre à la main, il en dégustait le contenu à petites gorgées – la cuisine du palace était médiocre mais sa cave excellente. Enfin il émit :

— Qu’est-elle exactement pour toi, cette Salima ?

Adalbert acheva de mâcher tranquillement sa viande, mais il avait rougi et son expression disait clairement qu’il n’aimait pas la question :

— Qu’est-ce que tu vas encore imaginer ? C’est une élève ! La meilleure que j’aie jamais eue…

— Ah, parce que tu en as déjà eu ? Tu ne m’as jamais dit que tu officiais à l’École du Louvre ?

— J’y ai donné des conférences. Quant à Salima, elle ne demandait qu’à apprendre et, durant le temps où nous avons travaillé ensemble, j’ai pu constater la rapidité de ses progrès. En outre, elle sait poser les bonnes questions. Tu verras quand tu la connaîtras mieux ! Bon ! Cela posé, on prend le café et on va faire une petite sieste. Je vais prier le portier de nous retenir des places sur le train de…

— Ah, non ! protesta Morosini. Tu ne vas pas me faire passer une deuxième nuit dans le train ? Je n’ai pas traversé la moitié de l’Égypte pour le seul plaisir de te contempler dans un de tes numéros favoris et de déjeuner avec toi. C’est la première fois que je viens dans ce pays et j’ai envie d’autre chose que d’admirer ton coup de soleil sur le nez ! L’endroit me plaît… et j’y reste !

— Je croyais que tu étais venu traiter une affaire ? Elle est déjà conclue ?

— Non. Disons… suspendue pendant quelques jours. Je les dépenserai plus agréablement au bord du Nil qu’à tourner en rond dans une chambre du Shepheard’s. J’ajoute que j’osais espérer que tu te ferais mon cicérone. Et au fond, je ne vois pas pourquoi tu m’as fait rappliquer d’urgence ?

— Mais… pour qu’on soit ensemble ! Cela me semblait naturel ?

— C’est entendu, mais tu n’as pas besoin de moi pour courir après une fille ?

— Je ne cours pas après une fille. J’estime seulement avoir droit à des explications plus détaillées que ce que tu m’as apporté ! D’un autre côté, tu n’as pas entièrement tort. Reste ici, repose-toi ! Je vais dire à Ali Rachid de te servir de guide ! Quant à moi, je monte au Caire, je m’explique avec Salima et je reviens te tenir compagnie. Peut-être reviendrons-nous ensemble, elle et moi ? Tu verras ! C’est une fille fantastique ? Ça marche comme ça ?

— D’accord ! Mais ne traîne pas trop longtemps : je n’ai pas non plus l’intention de rester six mois…

— De toute façon, il y a le téléphone ! Tu peux toujours m’appeler au Shepheard’s !

— Je sais ! consentit Aldo du ton exagérément patient du monsieur excédé. Va faire ton somme…

— Dans ce cas, ce n’est pas la peine : je dormirai dans le train et si tu veux, avant, je vais te montrer le grand temple d’Amon à Karnak !

Comment refuser ? Il était dégoulinant de bonne volonté tant il était heureux d’aller rejoindre sa belle… Il fallait seulement espérer que leurs relations ne tourneraient pas au drame, comme cela avait été le cas avec Alice Astor, l’Américaine qui se prenait pour une princesse égyptienne(3).

Il fallait tout de même lui reconnaître un goût très sûr. Ses coups de cœur ne s’adressaient jamais à des laiderons. Ça se terminait mal la plupart du temps mais, l’orage passé, Adalbert se retrouvait bien installé dans sa peau de célibataire riche, heureux de vivre et sans regrets ni remords. Évidemment, Aldo ne savait pas tout de sa vie puisque leur solide amitié remontait à une douzaine d’années, mais, des deux aventures sentimentales sérieuses dont il avait pu être le témoin, la première avait eu pour objet une voleuse internationale qui avait failli les envoyer chez leurs ancêtres tous les deux et la seconde une milliardaire américaine qui s’était crue victime d’un vol et avait expédié le pauvre Adalbert en prison. Celle dont il s’agissait maintenant se présentait mal puisqu’il était question de trahison, mais qui pouvait dire comment l’aventure finirait ? Que la belle eût des yeux transparents ne signifiait pas qu’un abîme de rouerie ne s’y cachât pas…

On alla donc arpenter le gigantesque Karnak, quelque cent hectares de ruines somptueuses où la grandeur des pharaons et la puissance d’Amon Râ se lisaient à livre ouvert. Surtout en ayant Adalbert pour guide. Aldo, ébloui, put mesurer la profondeur de sa science et son étonnante puissance d’évocation. Sous sa parole, tout reprenait vie. Il était dans son élément et s’y mouvait avec une aisance d’où la poésie n’était pas absente. Aussi, comme Adalbert s’étonnait qu’il n’ait pas soufflé mot depuis une heure :

— Tu t’ennuies ?

Il répondit, sincère :

— Oh, que non ! Au contraire ! Je ne te cache pas que tu me stupéfies ! Et je ne veux plus rien visiter de ce pays sans toi. Je regrette seulement que Lisa, Tante Amélie et Plan-Crépin ne soient pas avec nous.

Le narrateur rougit comme une belle cerise et se détourna en toussotant :

— Ça fait toujours plaisir à entendre ! commenta-t-il sobrement.

Le soir venu, on dîna rapidement puis Aldo accompagna son ami à la gare, inquiet sans trop savoir pourquoi :

— Téléphone-moi demain matin ! s’entendit-il demander. Ne serait-ce que pour dire si tu as fait bon voyage !

— Entendu !

Mais la journée du lendemain ne produisit pas le moindre coup de fil et la sourde inquiétude grandit sans qu’Aldo parvienne à la raisonner en se disant que, ayant retrouvé la précieuse Salima, Adalbert l’avait complètement oublié. Il n’en passa pas moins tout ce temps dans sa chambre ou dans le jardin avec, pour seul intermède, un verre pris au bar en compagnie du colonel Sargent qu’il aurait aimé connaître davantage parce qu’il se révélait vraiment sympathique… et parlait de l’armée des Indes en déployant autant de lyrisme qu’Adalbert envers ses temples, mais le couple s’embarquait en fin d’après-midi pour Assouan et, le soir venu, Aldo se retrouva désespérément solitaire en face du barman, qui lui apporta un soulagement inattendu.