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— Laisse-moi continuer ! Il est possible qu’un de ses commensaux ait agi sans son aveu, croyant le servir au mieux, et qu’il ignore tout de ce vol. Ce qui, quoi qu’il en soit, n’en fait pas le propriétaire légitime. En ce qui concerne Carter, le fait d’être tombé dessus est une chance mais ne lui donne en aucun cas le droit de garder l’Anneau. Il aurait dû le remettre au British Museum…

— … qui a autant de droits sur lui que sur les bas-reliefs du Parthénon fauchés par lord Elgin.

— Et ce qu’il y a au Louvre, ça t’a empêché de dormir ? Pas moi, en tout cas. Donc, si tu le permets, on laisse de côté la recherche du vrai propriétaire. Tu es soudain bien pointilleux ? Qu’avons-nous fait d’autre dans l’affaire du Pectoral que de piquer des pierres à des gens qui les considéraient comme leur propriété ? Par voie d’héritage, en plus !

— Je t’arrête tout de suite. Le saphir était dans la famille de ma mère depuis Louis XIV. En outre, on les a délivrés, lui et ses frères envolés, d’une manière de malédiction et, enfin, c’est à leur place d’origine qu’on les a remises en rapportant le Pectoral à Jérusalem. Il y a une nuance.

Adalbert eut un ricanement sarcastique. Ses yeux bleus flambaient sous la mèche blonde, un rien grisonnante, qui s’obstinait à tenter de les recouvrir.

— Tu veux qu’on cherche les descendants de ce Grand Prêtre nommé Jua chez qui Carter a déniché l’Anneau ?

— Et pourquoi donc cet Ibrahim Bey ne le serait-il pas ? Débrouiller sa généalogie nous donnerait moins de mal que les ruines de Massada quand on les fouillait tous azimuts à la recherche des Sorts Sacrés.

Les traits contractés de l’égyptologue se détendirent en un large sourire :

— Évidemment que l’on va chercher, mais après ! On ira voir d’abord Ibrahim Bey. Pas pour lui remettre l’Anneau sans plus de façon. Ce serait stupide ! S’il descend de Jua, on pourrait le lui rendre, mais plus tard.

— Qu’est-ce que tu mijotes ?

— Chercher la tombe de la Reine Inconnue ! Une pareille occasion ne se présente pas deux fois dans une vie d’archéologue. Et j’espère fortement être celui qui en franchira le seuil le premier. Et cette fois, mon bonhomme, ce n’est pas un Freddy Duckworth qui viendra me couper l’herbe sous le pied !

— Mais cela va prendre un temps fou !

— Pas certain ! Tu voulais visiter l’Égypte, oui ou non ?

— Oui, mais…

— Pas de mais ! On ne peut pas visiter ce pays sans aller à Assouan ! C’est un endroit magique, pourvu d’ailleurs d’un hôtel comme tu les aimes…

— Tandis que, toi, tu préfères les asiles de nuit ?

— Ne dis donc pas de sottises ! Tout le gratin anglo-franco-égyptien y défile, même pendant l’été !

— Ça, c’est exact. Tante Amélie et Marie-Angéline y sont allées deux ou trois fois et ne tarissent pas d’éloges. Plan-Crépin en a même des sanglots dans la voix, mais je te rappelle que je ne suis pas ici pour passer des vacances…

— À d’autres ! Tu savais pertinemment, en venant ici, que tu ne te contenterais pas d’une petite semaine ! Lisa n’est pas à Venise et ta maison marche comme une horloge entre le cher Guy et le jeune Pisani ! Combien de temps as-tu dit que tu t’absentais à ta princesse… euh…

— Shakiar ? Je n’ai pas spécifié de délai. Quelques jours au maximum, mais de toute façon, je n’ai pas l’intention de retourner la voir. Elle m’inspirerait plutôt de la méfiance. Surtout depuis qu’en sortant de chez elle j’ai vu le frère, entre guillemets, de ce malheureux El-Kouari se comporter en habitué plus que familier.

— Tu ne me l’avais pas dit.

— Non ? C’est possible. J’ai dû oublier.

— À qui le feras-tu croire ? Pas à moi. Cette histoire de perles sent le piège à quinze pas.

— Tu crois ?

— Ben voyons ! Si tu les avais prises, tu te retrouvais, comme tu l’as pensé, en prison ou ailleurs… Ils ont trop misé sur ta passion des bijoux illustres et, devant ton refus, on t’a demandé de retarder ton départ… histoire de se donner le temps de réfléchir !

— Si on avait voulu m’enlever, c’était facile. J’étais seul avec elle…

— Comme ça ? Tout de go ? Sûrement pas ! Tu es trop connu ! Mais si tu veux mon sentiment, ta princesse et son copain sont mouillés jusqu’au cou dans l’histoire de l’Anneau ! Bon ! Demain, on embarque pour Assouan. La promenade sur le fleuve en vaut la peine et ça nous détendra les nerfs à tous les deux. Dans l’immédiat, je vais dormir une paire d’heures, prendre une douche et, cet après-midi, je t’emmène voir la Vallée des Rois ! On ira prendre le thé à la menthe chez Ali Rachid !

En suivant des yeux Adalbert qui rentrait dans l’hôtel, Aldo ne put s’empêcher de rire. Il aurait fallu seulement être fou pour imaginer que, entré pratiquement en possession de ce pallium miraculeux qu’était l’Anneau, il accepterait d’un cœur joyeux de s’en séparer en allant le remettre à quelqu’un d’autre, fût-ce un homme exceptionnel comme semblait l’être cet Ibrahim Bey. Pouvoir pénétrer la tête haute dans n’importe quel lieu plus ou moins sacré sans craindre de choc en retour, n’était-ce pas le rêve d’un archéologue digne de ce nom ? Le lui reprocher serait d’une rare hypocrisie. En outre, se souvenant de sa nostalgie de l’aventure lorsqu’il revenait du dîner chez Massaria par les rues de Venise endormie, il savait qu’aucune force humaine ne pourrait le retenir de suivre Adalbert dans sa quête de la Reine Inconnue…

Ainsi livré à lui-même, Aldo pensa faire une promenade en ville, mais le bazar où s’empilaient marchands et artisans n’avait rien de très nouveau à lui offrir. Ce qu’on y vendait lui parut manquer d’authenticité. On s’y entendait surtout à piéger le touriste et il descendit en direction du port où on ne trouvait plus guère que des vendeurs ambulants proposant cartes postales ou bijoux de verroterie. Assis sur une pierre à l’ombre d’un acacia, il regarda démarrer le bac, toujours encombré, déhaler de la rive pour conduire son chargement de l’autre côté du Nil, aucun pont sacrilège n’ayant jamais été construit entre la rive des vivants et celle des morts. L’antique Thèbes aux cent portes en avait ainsi décidé jadis… D’un côté, la ville, les jardins, le commerce, les fêtes et les grands temples, sièges de l’administration royale et sacerdotale ; de l’autre, les demeures d’éternité, les temples funéraires, une plaine sans arbres et presque sans végétation, une montagne aride offrant dans ses replis le terrain idéal pour y creuser les profonds caveaux où se conservaient les corps momifiés des rois, des reines et de leurs principaux serviteurs.

Le bac avait atteint le milieu du fleuve quand un bateau venant de l’aval s’approcha et vint s’incruster au débarcadère entre ceux qui attendaient d’emmener les amateurs vers la Haute-Égypte.

Il devait venir du Caire et était vide de touristes. Un de ces bâtiments chargés de veiller à l’ordre, à la sécurité ou au transport des marchandises tout au long de cet immense fleuve.

Deux ou trois personnes aux allures de fonctionnaires en descendirent et, aussitôt, le navire repartit. Aldo ne lui avait accordé qu’une attention distraite, préférant suivre les fascinantes évolutions d’une felouque aux voiles blanches, mais soudain son regard se fixa sur le premier. Accoudé à la rambarde, un couple bavardait avec un plaisir évident. Lui était un grand garçon bien bâti en élégant costume blanc. Il avait un beau visage aux dents éclatantes et ne s’intéressait visiblement pas à l’activité du quai, son attention se concentrant sur sa compagne avec laquelle il parlait avec animation. Celle-ci l’écoutait en souriant. L’entente semblait parfaite entre eux et Aldo sentit une sournoise inquiétude se glisser en lui car, même si elle n’avait pas porté cette robe blanche et cette capeline de paille, il aurait reconnu Salima Hayoun.