Выбрать главу

Grand et maigre, osseux même, il parut immense à Aldo sous le turban qui le grandissait encore. Son visage présentait des traits profondément sculptés, un nez aquilin, une bouche mince et des yeux réfugiés sous des orbites abritées d’épais sourcils. Il ne souriait pas – à voir sa gravité, on pouvait même se demander si cela lui arrivait ! –, mais son expression était sereine et sa voix rauque et douce à la fois possédait un charme indéniable quand il accueillit les deux hommes :

— Point n’était besoin de recommandation de M. Lassalle, dit-il en désignant l’un des divans placés sous l’unique fenêtre, une ogive de pierre découpant le paysage du fleuve. Je me souviens fort bien de vous, Monsieur Vidal-Pellicorne…

— Je n’osais l’espérer, Excellence !

— Ce n’est pas bon d’être trop modeste. Nous avions eu un entretien trop intéressant pour que je l’oublie. Quant à vous, prince, c’est avec plaisir que je vous reçois puisque vous êtes son ami…

Aldo s’inclina légèrement :

— Je vous remercie, Excellence… et d’autant plus que je crains d’être porteur d’une mauvaise nouvelle concernant l’un de vos serviteurs.

— Bonnes ou mauvaises, elles sont le tissu de notre vie, mais prenez place, je vous en prie !

En même temps, il frappait dans ses mains pour faire apparaître le rituel plateau à café.

— Un serviteur, dites-vous ? s’étonna-t-il après que le porteur de plateau se fut retiré. Aucun ne manque à cette maison pour le moment présent. Où l’avez-vous rencontré ?

— À Venise, où j’habite.

— Mon ami Morosini… commença Adalbert, mais son hôte l’interrompit du geste :

— Cette lettre de M. Lassalle m’apprend ce que je dois savoir ! En revanche, j’aimerais connaître le nom du serviteur en question ?

— Il s’appelait Gamal El-Kouari.

— Et que lui est-il arrivé ?

— Il a été assassiné à deux pas de chez moi, la nuit, dans une rue de Venise. Je devrais dire assassiné et dépouillé, car ses agresseurs ne lui avaient laissé que ses sous-vêtements.

Les épais sourcils blancs se relevèrent cependant qu’Ibrahim Bey détournait les yeux, peut-être pour cacher une émotion :

— Assassiné ! Pauvre Gamal ! Pauvre tête folle !

— Donc, vous le connaissiez ? avança Adalbert qui, en bon conférencier, n’aimait pas les rôles de potiche.

— En effet, mais ce n’était pas mon serviteur. Du moins au sens propre du terme. Il m’était un peu cousin. Passionné par l’histoire non seulement ancienne mais antique comme je le suis personnellement, et ne sachant que faire d’une vie moderne qui lui semblait banale, il m’avait rejoint dans mes recherches et, de cette façon, on peut dire, effectivement, qu’il s’était mis à mon service. Cependant, nous différions dans notre conception de… d’enrichir cette histoire. Ainsi, il était obsédé par la quantité de ces témoins de notre antique civilisation qui s’en allaient au-delà des mers accroître les collections du British Museum – et du musée du Louvre, ajouta-t-il en adressant l’ombre d’un sourire à Adalbert. Cette pensée le mettait hors de lui. Il voulait essayer d’endiguer ce qu’il appelait l’« hémorragie sacrilège » !

— Il n’avait quand même pas l’intention de cambrioler les deux musées ?

— Il était un peu fou, mais pas à ce point-là. Il savait que des restitutions de cette importance ne pouvaient s’effectuer que de gouvernement à gouvernement. Ce qu’il voulait, c’était préserver ce qui n’était pas encore découvert et c’est dans cet esprit qu’il était parti, il y a plus d’un an, pour l’Angleterre. En dépit de mes mises en garde, il s’obstinait à affirmer qu’il rapporterait quelque chose d’essentiel, sans vouloir préciser à quoi il pensait.

— Pour ce que j’ai cru comprendre du peu de paroles qu’il a pu exhaler en mourant : une Reine Inconnue. Les autres mots, à peine audibles, furent Assouan, Ibrahim et Sanctuaire. Voilà pourquoi j’ai tenu à vous porter ce message. Selon mon ami Vidal-Pellicorne, il ne pouvait s’agir que de vous…

— En effet, et je vous en remercie. Je devine ce qu’il est allé chercher, et si on l’a tué, c’est qu’il avait dû réussir à se le procurer, mais où ? Au Museum ? Il savait que je ne l’aurais pas admis…

— Non, fit Adalbert : chez Howard Carter, que l’Anneau a protégé de la malédiction quand il a ouvert la tombe de Tout-Ank-Amon, mais il a bel et bien été volé, même si l’on a refusé d’en informer la presse…

— C’était une faute grave et mon pauvre Gamal l’a payée de sa vie. Qu’Allah ait pitié de lui… de moi aussi, puisque j’en porte la responsabilité involontaire. Qui a veillé à ses funérailles ?

— Je m’en serais volontiers chargé, dit Aldo, mais son frère est venu réclamer sa dépouille.

Ibrahim Bey eut un haut-le-corps :

— Son frère ? Il n’en a jamais eu !

— Et pourtant, il s’est trouvé quelqu’un pour jouer ce rôle.

— Dans ce cas, ce ne peut être qu’un imposteur dont vous auriez dû vous méfier. En ce qui me concerne, je ne vois pas ce que je pourrais vous dire.

— C’est bien ce que nous pensions. Excellence, soupira Aldo, il ne me reste plus qu’à vous remercier de nous avoir reçus…

— Encore un instant, je vous prie ! Avez-vous pu obtenir des informations touchant ce personnage inattendu, donc inquiétant ?

— Oui. J’ai été appelé en Égypte par une princesse appartenant à la famille royale qui souhaitait traiter une affaire que je n’hésiterai pas à qualifier de louche. C’est chez elle que j’ai aperçu le pseudo-El-Kouari.

— Pouvez-vous me nommer cette dame ?

— La princesse Shakiar !

L’imposant et impassible visage eut une brève crispation :

— Oh, cette femme ! Si vous avez eu des réticences, je vous approuve !

— Vous la connaissez ? demanda Adalbert.

— Personnellement non, mais je connais sa réputation. Quelqu’un qui m’est proche entretient des relations avec elle et je ne crois pas que ce soit dans son intérêt… Quant à moi, je ne peux que vous exprimer ma gratitude pour avoir assisté mon pauvre Gamal à ses derniers instants. A-t-on retrouvé les assassins ?

— Pas que je sache. La version de la police est des plus élémentaires : un voyageur étranger de passage à Venise avant de repartir pour l’Égypte – il était descendu à l’hôtel Danieli avant de reprendre le bateau – a été attaqué par des malandrins qui l’ont détroussé et tué au cours d’une promenade nocturne.

— Votre police se contente de peu.