Выбрать главу

— Tout le monde ne subit pas la même dose de malheurs, vous le savez bien !

Bon, ça c’est le galop d’essai. Elle « règle le micro », comme certains chanteurs avant d’attaquer, histoire de prendre la température de la salle.

Seulement, à présent, faudrait peut-être qu’elle me pousse sa goualante.

— Je vous écoute ! répété-je, en laissant poindre mon agacerie.

— Vous êtes au courant de ce qui est arrivé à mon fils Michel ?

— Oui, madame.

— Il n’a pas assassiné sa maîtresse !

— C’est ce qu’il prétend. Par contre il s’accuse du meurtre de sa femme, ce qui constitue une situation plutôt bizarre.

— Il n’a pas non plus tué sa femme !

— Comment le savez-vous ?

Elle baisse le ton, comme si elle craignait que le gars d’à côté perçoive ses paroles.

— Je l’ai vue !

— Quand donc ?

— Hier après-midi.

— Racontez.

— Je taillais mes rosiers, une voiture est arrivée, Maryse la pilotait. Elle allait stopper, mais soudain elle a accéléré et a disparu.

— Pourquoi ?

— Parce que lui (elle montre la cloison) sortait du garage au même instant, il était allé prendre je ne sais quoi dans sa Mercedes. Maryse l’a aperçu, elle a pris peur et s’est enfuie.

— Qui est-il ?

— Je l’ignore. Il est arrivé le lendemain de l’arrestation de Michel. Il a commencé par prétendre qu’il appartenait à la police et m’a demandé si j’avais eu des nouvelles de ma bru. Je lui ai dit que non. Alors il a annoncé qu’il allait l’attendre. Son attitude a changé, il m’a littéralement terrorisée, m’annonçant que si je n’entrais pas dans son jeu, Michel serait perdu, mais que par contre, si j’obéissais à ses directives, l’innocence de mon fils serait reconnue.

— Et alors ?

— Alors, rien : il s’est installé dans la maison où il s’est montré relativement discret.

— Il a reçu des visites ?

— Non, mais on lui téléphone plusieurs fois par jour.

— Qui ?

— Je l’ignore. Tantôt il s’agit d’une voix d’homme, tantôt d’une voix de femme.

Ces révélations me dégoulinent dans l’entendement, faisant surgir une foule de pensées à changement de vitesse. Ainsi, Michel Lainfame m’a menti en prétendant qu’il avait tué son épouse. Pourquoi ? Maryse Lainfame a voulu contacter ses beaux-parents, du moins sa belle-doche puisque le daron est marmeladé de la coiffe, elle a aperçu l’homme au flingue et s’est barrée presto. Ensuite, elle m’a téléphoné. Elle espérait que je viendrais et que se produirait alors ce qui s’est produit.

— Maryse vous avait téléphoné depuis l’arrestation de son mari ?

— Absolument pas.

— Que pensez-vous de cette affaire, madame Lainfame ?

— Que Michel est pris dans une affreuse machination pour une raison que je ne perçois pas.

— Quand votre belle-fille est survenue, hier, l’homme l’a-t-il vue ?

— Non, il regardait l’objet qu’il venait de sortir de l’auto.

— Vous lui avez signalé la chose ?

— Grands dieux non.

— Pourquoi ?

— L’idée ne m’en est pas venue.

— Cependant, de toute évidence, il est chez vous pour piéger Maryse.

— Je ne veux pas qu’il arrive de mal à ma bru pour qui j’éprouve une réelle affection.

— Quand bien même la liberté de votre fils serait en cause ?

— Je suis convaincue que cet homme me ment et que ce n’est pas parce qu’il mettrait la main sur Maryse que Michel serait tiré d’affaire.

Elle hésite, puis questionne :

— Qu’allez-vous faire ?

Je gamberge un bref instant, puis je murmure :

— Téléphoner. Vous permettez ?

— Nous n’avons qu’un poste, il se trouve dans le salon.

J’évacue ma chaise. Elle avance sur mon poignet sa main fripée par l’âge, mais aux ongles parfaitement laqués.

— Que va-t-il se passer, à présent, monsieur ?

— Nous allons voir, évasifié-je.

— Et moi, que dois-je faire ?

— Je vous le dirai après ce coup de fil, madame Lainfame.

Sa main retombe. J’aperçois des larmes sur ses pauvres joues creusées par le tourment.

C’est pourtant vrai que la vie est à chier.

On veut pas croire, mais c’est vrai.

Je te jure que c’est vrai.

PRÉFACE

Je tombe prélavablement sur Georges Roupille. Il veut savoir ce que je compte bonnir au juge Favret ; probable que la chochotte magistrate lui a donné des instructions (si j’ose m’exprimer ainsi), à mon propos, et qu’il a ordre de me « filtrer » sévère, le nœud volant.

— J’ai une importante communication à faire concernant l’affaire Lainfame, dis-je.

— Quelle communication ?

— J’en réserve la primeur au juge ! réponds-je comme tu réponds au tomobiliste qui te traite de « boug’ de con » parce que tu l’as frôlé de la hanche en traversant les clous.

Ça parlemente, hors antenne. Roupille a posé sa main scribouilleuse sur les petits trous par lesquels il introduit ses microbes intimes.

Je ronchonne dans ma Ford intérieure, qu’après tout, merde, cette jugette me court un brin, à force d’à force ; je ne vais pas la violer par téléphone ! Veuve tant qu’elle voudra, mais faut pas pousser !

— Mme le juge d’instruction me demande d’enregistrer votre déposition, elle estimera ensuite si une convocation s’avère nécessaire.

Bon, ça y est, le lait déborde. T’as beau éteindre le gaz : trop tard ! C’est parti pour la gagne !

— Ecoutez, môssieur Roupille, explosé-je, dites à la mère Favret qui n’est pas plus foutue de faire progresser son enquête que moi un rouleau compresseur avec l’épaule, dites-lui que je me trouve à Antibes et que je viens de dégauchir du chouette, bien juteux, bien fracassant. Si elle veut être tenue au courant, qu’elle me rappelle dans les cinq secondes qui suivent au 61 21 19, passé ce délai je balance le paquet à des potes de la grande presse. Je connais vingt-cinq mecs qui me feraient une pipe pour obtenir un scoop pareil.

Et je raccroche.

Un couple de pigeons blancs vient faire une petite démonstration de flirt sur la branche d’un pécher (de jeunesse). C’est beau à voir, un peu con aussi. Les mâles, qu’ils soient à plume ou à poil, ils ont tous et toujours une gaucherie glandouilleuse dans ces cas-là. Ils roulent, quoi ! Font les mirliflores, comme dit Mamaman. Se prennent pour des épées. Proclament du geste et de la voix qu’ils possèdent le grand attirail au complet : à la belle bibite, mesdames !

Je laisse ce couple en transe pour mater quelque chose de moins folichon, à savoir, le vieux Lainfame dans sa brouette, tout inerte, et flasque du mental, des cannes également, le tiroir pendant, râpé, se survivant juste pour dire, à peine encombrant. Je lui souris, il me regarde sans paraître me voir vraiment.

— Votre chiare est dans une curieuse béchamel, lui dis-je.

Le téléphone demeure aussi muet que lui. Hélène ne rappellera pas. Quelle hostilité ! Pimbêche, va ! Les hommages d’un homme, pourtant, c’est flatteur, non ? Tu crois que j’ai l’air aussi glandu que ce pigeon dans le pécher quand je fais ma cour ? Probable, hein ? Nos simagrées d’empressé-de-mettre-sabre-au-clair, ça prend quand y a concomitance, que la personne d’en face mouille à la demande, sinon, tu te ramasses. Et là, pardon, je me suis à ce point écrasé que pour me ramasser, il faudrait un buvard !

Jérôme Lainfame, il a été fringant en son temps. Séduisant, cavaleur, sabreur. Et le voici plante d’ornement, le bulbe en caramel extra-mou ; n’attendant plus que la mort. Du moins, ses proches l’attendent. Sa rombiasse, en tout cas. Il a perdu pied. Ignore que son grand fiston est en taule et qu’il se passe un sacré rodéo dans sa crèche ensoleillée. Il a dû rêver de sa retraite pendant sa vie active, eh bien maintenant il l’a.