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La sonnerie du biniou vrombit. Je m’hâte de décrocher.

— Présent ! je tonitrue, merci d’avoir rappelé aussi vite, mon cher juge, vous n’allez pas le regretter.

— Qui est à l’appareil ? demande une voix extrêmement masculine.

Quel œuf, mézigue, avec ma grande gueule et mes élans du cœur !

— Quel numéro demandez-vous ? je fais.

— Soixante et un, vingt et un, dix-neuf ? fait la voix extrêmement masculine d’un ton extrêmement prudent.

— Ah ! non, vous faites erreur : ici soixante et un, vingt-deux, dix-neuf.

— Excusez-moi !

On raccroche. Moi pas. Je cavale jusqu’à l’escadrin pour héler Mme Lainfame, la conjure de débouler fissa. Ce dont elle.

— Les petits amis du copain d’en haut, dis-je, ils vont rappeler, vous décrocherez et direz que votre pensionnaire s’est élancé à la poursuite de quelqu’un et qu’il n’est plus là, feignez l’innocence la plus complète.

Là-dessus, je replace le combiné sur sa fourche, en brave descendant de paysan que je suis, cré bon gu !

Quelques secondes passent, le téléphone gazouille, mémère décroche.

La vioque tient bien son rôle. Mentir, les femmes les plus sages, les plus pieuses, les plus édifiantes savent le faire sans apprentissage. C’est inné, chez elles, travestir le vrai pour pécher le faux. Berlurer à tout-va, prétendre ce qui n’est pas, avec l’aplomb de la vérité indéformable. Un art, un don, un élan du cœur. Bien con, bien sombrement con, bien indélébilement con, et d’essence conne, d’extraction connesque, celui qui croit à la sincérité d’une femme. Seules les mères ne mentent pas trop, mais mentent lorsqu’il est dans votre intérêt qu’elles le fassent. Quand une femme t’affirme, admets la possibilité qu’elle puisse dire vrai, mais pas plus ! Ce faisant tu lui auras accordé le maximum de crédit qu’elle mérite. Vosne-Romanée vaut mieux que ceinture dorée.

Toujours miso, l’Antonio, vont-elles récrier, les chéries. Que non point. Conscient seulement. La vie lui aura enseigné ça, plus deux ou trois autres trucs de moindre utilité que je te dirai peut-être un jour.

Mame Lainfame débite que le type est parti en courant, comme s’il avait aperçu quelqu’un qu’il veuille rattraper, et qu’il n’est point encore revenu ; voilà vingt minutes que la chose s’est opérée.

Elle jacte recta, sans hésiter. Le ton ? Un chef-d’œuvre ! Tu ne peux pas ne pas la croire, tant tellement les accents sont somptueux d’authenticité. A l’autre bout, on cesse de la questionner. On raccroche tout de go.

Mémère en fait autant, me regarde, anxieuse.

— C’était parfait, lui dis-je.

Je continue de mater le bigophone, espérant encore un appel du juge Favret.

Mais le juge Favret est une salope qui déteste Sana, mon petit, j’ai le regret de t’y dire. Son attitude va plus loin que l’indifférence ; jusqu’à l’hostilité déclarée. Faut pas lui déranger le veuvage à ce magistral magistrat. Achtung ! Pas toucher ! Pas regarder ! Pas y causer ! Hélène, elle est en deuil, en berne. Voilée comme une roue de carriole ! Pleureuse sèche, comme y a des nourrices sèches ! L’âme en peine, le corps inappétent. La vie, connaît plus ! Boulot-boulot ! Point à la ligne. On promène le cador, on mange un sandouiche avec son connard de greffier quand le coup de feu commande.

Pour un peu, je l’invectiverais, ce téléphone.

« Ben, sonne, charogne ! Carillonne, merde ! Apporte-moi sa voix, à cette guenuche de mes deux ! »

Ce que je te la tringlerais toute crue, la sœur ! Sur son burlingue, parmi les dossiers verdâtres. Rrran ! Le coup du soudard ! La chevauchée héroïque ! Que sa chatte fume comme un moteur surmené. Lui boufferais ses cris à pleine gueule ! Oh ! mais c’est que je vais opter pour les solutions extrêmes, moi ! Te la kidnapperais, l’Hélène ! La violerais d’autor, à la santé éternelle de son cher défunt ! Je le commettrais, ce péché de vie que causait mon merveilleux Cohen. Dis-toi bien, l’artiste, que si tu ne vis pas la vie pendant qu’elle est à dispose, personne la vivra à ta place.

Le téléphone joue relâche. Le juge Favret m’a déjà oublié. Je me suis retiré de ses préoccupances. Adieu ! Seulement, son enquête, qui est-ce qui la fait ? Elle, dans son cabinet ? En écrivant des notes sur du papier mieux réglé qu’elle ? Elle, en interrogeant gentiment Michel Lainfame, à heures fixes ? En recueillant les témoignages gnagnateux de sa concierge, de son crémier, de ses amis et connaissances ?

Je m’avise du regard tendu que la maman Lainfame laisse braqué sur moi.

— Vous risquez d’avoir une visite, dis-je. Si quelqu’un s’annonce aux nouvelles du type d’en haut, dites-lui qu’il est rentré et qu’il se tient dans sa chambre.

Elle acquiesce.

Je sais que je peux compter sur elle, question efficacité.

Notre pensionnaire menotté est assis sur le bord de son plumard. Pinuche rallume son clope en forme de cloporte avec une obstination qui force l’admiration (la demi-ration). La haute flamme fumeuse éclaire son cher visage de morille déshydratée. Il rabat le couvercle de cuivre du vénérable briquet, lequel pue davantage l’essence que le stand Matra aux Vingt-quatre plombes du Mans.

L’homme enchaîné me considère avec un air d’en avoir deux.

Comme j’en ai deux moi-même, je m’approche de lui et soupire :

— Bon, il faut bien que ça arrive, non ?

Ce disant, je coule la main le long de sa poitrine afin de griffer le contenu de ses poches. Son larfouillet est en vieux cuir fatigué, dans les tons marron crasseux.

Exploration rapide, parce que de professionnel. Des fafs usuels : carte d’identité, permis de conduire. Il se nomme Courre. Prénom : Martial. Profession : représentant.

— Vous représentez quoi ? je lui questionne.

— Une certaine manière de voir les choses, me répond-il.

Faut pas craindre les gnons, pour, enchaîné, se permettre une telle réplique. Courageux. Bravo. Je ne me donne pas la peine de le questionner, comprenant d’emblée que ce genre de client ne se met à table qu’après de longues séances de conditionnement.

— Est-il indiscret de vous demander pour le compte de qui vous êtes ici, cher monsieur ?

— Me le demander ne constitue pas une indiscrétion mais vous le dire en serait une, répond Courre Martial.

— Vous savez que je suis le commissaire San-Antonio ?

— Votre physionomie ainsi que vos méthodes me disaient quelque chose, assure-t-il.

— Vous n’ignorez pas que je passe pour obtenir des résultats positifs lorsque je m’occupe d’une affaire.

— Cela fait également partie de votre légende.

— Seulement, ce n’est pas une légende.

J’enfouille la totalité de ses papiers.

— Vous m’arrêtez ? demande-t-il.

— Pour le moment, je me contente de vous interrompre ; du moins d’interrompre le cours de vos activités.

— Pour longtemps ?

— La suite des événements en décidera.

Il hoche la tête.

— Cela vous ennuierait de m’ôter ces bracelets un instant : je dois me rendre au petit endroit ?

— Pensez-vous ! dis-je, vous me prenez pour un benêt ?

— La nature exige.

— On va lui donner satisfaction.

Avant qu’il soit revenu de sa surprise, j’ai dégrafé son pantalon, Pinaud m’aide à le lui retirer, de même que son slip. Il a bien des velléités de rebufferie, mais deux manchettes en diagonale le font accepter cette position ridicule.