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Pourtant, d’ordinaire, j’aime bien les Corsicos ; d’ailleurs, tout ce qui trempe ses pinceaux dans la Méditerranée, j’en raffole. Mais le collègue Quibezzoli est l’exception qui confirme la règle. Un bilieux, si tu vois ce que je veux dire ? Le genre de flic qui soupçonne tout le monde des crimes les plus abominables et qui doit, parfois, se passer les menottes devant sa glace manière de voir l’effet que ça fait.

Il est grand, mince, avec beaucoup de poils gris et des sourcils en comparaison desquels, ceux du regretté président Pompidou auraient paru duveteux. Tu dirais deux haies pour parcours de jumping. Il mâchouille un cure-dent parce qu’il a vu faire ça, un jour, dans un film, à Humphrey Bogart, et que l’idée lui a paru intéressante. Il est flanqué de deux autres mecs du même tonneau, style sous-fifres lécheurs. Chemises à col ouvert, jeans, blousons de cuir « patiné » artificiellement : on ne patine plus avec amour ; de nos jours, les nouveaux poulagas ne ressemblent plus à des poulets, ce qui les rend davantage efficaces.

Quand j’étais mouflingue et qu’on jouait aux gendarmes et aux voleurs, rien ne nous distinguait de l’un et l’autre état, mes camarades et moi-même, rien sinon la convention que nous avions établie d’être l’un ou l’autre. Maintenant, c’est pareil, rien ne distingue les flics des truands, sauf le fait qu’ils se tirent dessus le cas échéant.

Il me serre la main sans grand enthousiasme. L’un de ses guignols tient une machine à écrire portable sous le bras. Quibezzoli est un fonctionnaire avisé.

Nous nous installons au salon, ses péones foutent du papier en chiée d’exemplaires carboneux dans l’Olivetti et j’y vais de ma chansonnette. Je raconte le coup de fil transmis par l’un de mes subordonnés, mon départ pour la Côte, mon arrivée ici, ma découverte de Courre Martial qui « contrôlait » la maison et tenait Mm Lainfame à merci. La manière que j’ai comporté, enfin quoi, merde, tout ce que tu viens de bouquiner avec délectation, sans y changer une virgule. Mes confrères transcrivent. Le suceur qui claviotte connaît la dactylographie car il frappe aussi vite que je jacte. Quibezzoli étoffe avec des questions judicieuses, en homme connaissant parfaitement son boulot. A la fin j’écoute la lecture de mes révélations, approuve et signe.

— Vous n’aviez pas à descendre de Paris, dit alors mon homologue, l’affaire est de notre ressort.

Je pose ma main frémissante sur son épaule d’autant plus inerte que son tailleur lui a filé cinq kilogrammes de rembourrage dans le veston pour lui donner l’air athlétique.

— Ecoutez, vieux, lui dis-je, vous avez enregistré ma déposition, je crois que c’est ce qui vous a été demandé, n’est-ce pas ? Maintenant, pour tout ce qui est conseils, leçons de morale, recettes de cuisine, j’ai mes fournisseurs attitrés, inutile de vous fatiguer.

« Tu viens, Pinuche ? »

C’est la décarrade, dans un silence de mort. Simplement, je m’incline devant la mère Lainfame, laquelle paraît regretter mon départ. Dans le fond, elle préférait mes manières à celles, plus classiques, de mon collègue.

La Vieillasse maugrée des présages sous sa moustache brûlée. Elle dit, la brave Pine, que ce grand connard n’arrivera à rien, que le coup est carbonisé par sa faute, et qu’on devrait le nommer dans une sous-préfecture du Cantal. Comme j’adore le Cantal, je l’assure qu’elle a tort.

Je retrouve ma Maserati, ce qui me réconforte, car c’est toujours un bonheur pour moi que de m’asseoir au volant d’une bagnole puissante. Dans le fond, j’aurais dû me lancer dans la compétition automobile. Mais quoi, on n’a qu’une seule et unique existence, qu’on use à faire des choix et qui vous désespère parce que ces choix, vous les jugez mauvais par la suite.

Je démarre en souplesse et fonce au bout du chemin des Arbousiers, lequel donne dans celui des Lentisques qui, nul d’en ignore au Cap d’Antibes, débouche sur l’avenue des Frères Roubignoles.

Donc, je vire à droite, puis à droite et encore à droite sans ralentir l’allure, conducteur consommé, te répété-je, et consommé en toute priorité par les dames, lesquelles me commencent immanquablement par la tige. Si tu suis mon texte à la lettre, tu es en train de te dire : « S’il tourne encore une fois à droite, ce grand con, il va revenir à son point de départ. » Eh bien non, rassure-toi, Bazu. Au lieu de, j’opère une manœuvre, au beau mitan de l’avenue des Frères Roubignoles, qu’ensuite de laquelle, comme l’écrit avec ferveur M. Canuet dans ses mémoires dont, si la mienne est exacte, le héros s’appelle Cadichon, qu’en suite de laquelle, me crois-je obligé de reprendre, soucieux de ne pas laisser s’égarer un lecteur dont je sais toute la faiblesse d’esprit, qu’en suite de laquelle, donc, je renquille à rebrousse-poil, le chemin des Lentisques et me dirige rapidos jusqu’à celui des Arbousiers, parvenu à l’angle duquel, je freine atrocement. Mais les cris de freins désespérés sont les crics les plus beaux.

J’ai débouclé ma portière avant de stopper. Elle s’ouvre en très grand, spontanément, à mon coup de patin. Je m’arrache en trombe de ma tire pour sauter sur le paletot d’un gusman planté à l’angle de la rue, sur sa moto arrêtée, dos tourné à ma pomme car il paraît scruter le chemin des Arbousiers. J’avais enregistré le personnage en passant, il y a un bout d’instant et ce qui m’avait surprisi (j’ai bien écrit surprisi, pour renforcer le sens du mot) c’était la paire de lunettes d’approche pendant sur son blouson de cuir noir. Mon œil de faucon avait enregistré, à ma sortie de chez les Lainfame, le geste brusque du tocycliste pour laisser tomber les jumelles. Il se tient sous un petit pin de Régine dont l’ombre modeste suffit à le rendre anonyme. Moi, imperturbable, je lui ai passé devant sans le regarder. Mais dis : oh ! hein ? Bon ! D’où ma rapide manœuvre à laquelle la révérende Pine n’a rien entravé. Et je cramponne le gus par-derrière, ce qui est incommode, because la moitié de motocycle qui lui sert de traîne. Le cuir du blouson me glisse des mains, parce que le mec a une ruade des épaules, comme dit Béru. Il file un coup de botte dans son démarreur. Sa péteuse vrombit et malaxe la paix de ce coin aimable. Comme je me rapproche pour réassurer ma prise, il me file un coup de boule. Or, il est resté casqué, le gredin. Je déguste sa mappemonde dans les badigoinsses, ce qui me fait étinceler la Grande Ourse. Pourtant, mon action en force aurait pu, aurait dû payer, comme elle a payé, tantôt, avec le client de la mère Lainfame. La foirade vient du bolide qu’il a entre les jambes, que veux-tu, Ninette ! On ne peut pas réussir tout ce qu’on entreprend.

L’engin bondit et me file sous le blair. Illico, je me rabats sur ma guinde. Hop ! En selle, Antoine ! Mon démarrage clôt la porte que mon freinage avait ouverte. J’appuie tout ce que ça peut. A l’extrémité de la rue, le futard vire à gauche dans l’avenue. Il met plein gaz en direction du port. On arrive à la boutique où l’on vend de l’huile d’olive. Tout de suite après, il y a un feu rouge. Mais, tu peux te le carrer au fion pour t’en faire des hémorroïdes de cérémonie ! Vzoum ! Vzoum ! Nous passons. La circulation est inexistante à cette heure avancée. Le gus bombe à la rencontre de la place Charles-de-Gaulle, mais il oblique à droite avant qu’elle ne l’ait rejoint. Il réveille tout un quartier d’autochtones pour gagner le port. Et il le gagne ! Bravo, ça c’est de la chance ! Maintenant, il se prend le bord de mer. Cette fois, on joue « Poursuite Infernale ». La « Siesta » n’a pas le temps de nous voir déferler. Dans la ligne droite, je lui prends quelques mètres. Pinaud soupire :

— La mer au clair de lune, moi je trouve qu’il n’existe rien de plus beau.