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Ses premières paroles depuis le début du rodéo. Un poète !

— Je t’offrirai un calendrier, promets-je, les dents serrées, ce qui ne facilite pas mon élocution, les yeux rivés au feu rouge du fuyard.

On se pointe à la hauteur de Marina Baise-des-Anges dont l’impressionnante architecture moderne fait l’orgueil du paysage.

Mon sang cogne à mon cerveau. Les giclées d’adrénaline se succèdent en moi, ravageant ma chère glande médullo-surrénale. « Je dois l’avoir ! Je dois l’avoir ! Le doit, l’avoir ! Le doigt lavoir ! » m’exhorte-je indiciblement. Tout n’est pas cirrhose, dans la vie, comme le dit si justement mon chosefrère Bukowski.

Le bolide du mec mérite chiément ce qualificatif. On est à plus de deux cents dans Cagnes-sur-Mer. Les voitures que nous dépassons embardent sous l’effet du double déplacement d’air que nous créons. Le gonzier a décidé de radier les feux rouges de ses préoccupations, cette nuit. Jusque-là, la chose n’est point trop périlleuse puisque nous longeons la mer et que, quelque piéton excepté, rien ne peut surgir de notre droite. Or, comme nous allons en finir avec Cagnes, au dernier feu un bonhomme s’engage sur le passage dit protégé, en poussant sa vieille maman impotente dans une invraisemblable carriole qu’il a dû confectionner lui-même avec des roues de vélo et une corbeille à linge. Décidément, nous sommes placés sous le signe du fauteuil à roulettes !

Le tocycliste oblique à droite, pour leur passer par derrière ; mais le bonhomme a pris peur, quand il a compris que l’engin ne stopperait pas, et il a voulu, au même instant, regagner le trottoir. L’impact est inévitable. Donc, inévité ! Cela produit peu de bruit. Simplement la carriole disparaît. La moto déséquilibrée louvoie, comme à un conseil des ministres de Louis Quatorze. Elle écrit 88 881 sur la chaussée. Le 1 terminant le nombre est fatal à notre mateur car il lui fait traverser toute la route et emplâtrer un camion de déménagement néerlandais qui survenait de Nice pour regagner ses polders à la con. Alors cette fois, oui, ça badaboume vilain. La moto explose en une gerbe de feu. Le motard volplane, en flammes lui aussi, illico, et c’est très surprenant, cet instantanéisme du feu.

Il atterrit sur le macadam, la frite la première et s’y immobilise, les bras en « V », avec ses jambes qui crament.

Est-il besoin de te préciser, sombre ganache, que j’ai pilé à mort au moment de l’accident, suis parvenu à maîtriser ma caisse et à la ranger sur le trottoir ?

Je me précipite vers le tocycliste. Au volume de son casque, je comprends que tout espoir de pouvoir discuter les cours de la Bourse avec lui est à jamais perdu. Il est réduit de moitié, le beau casque noir à bande médiane jaune. Une casserole, mon pote ! Cabossée ! Pour retirer sa tronche de là-dedans, Ernest, faudra d’abord trancher son cou et évider avec une cuiller à sorbet.

J’ôte ma veste pour éteindre le feu qui consume le bas de sa carcasse. Chez nous, on a des avantages, mais ce qui nous ruine, ce sont les faux frais ! Va te faire rembourser un costar sous prétexte qu’il t’a servi à éteindre un mec non ignifugé, toi ! Le camionneur batave installe son triangle de panne en vociférant des trucs que seulement treize millions de personnes peuvent comprendre en ce monde puisqu’il jacte le néerlandais.

Pinaud, belle âme, s’occupe, quant à lui, d’assister le signor Simadépanzani, lequel cherche sa vieille maman en bieurlant comme un sauvage.

Avant l’arrivée du trèpe, je fouille les poches à fermeture Eclair du mort. Lui engourdis son permis de conduire et remets le reste en place.

Des gens, déjà, s’empressent. La circulation se bloque. La foule grossit, ronronne. Je m’en dégage.

Pinuche me rejoint dix minutes plus tard à la bagnole. Il paraît content.

— La vieille dame est indemne, annonce-t-il, triomphalement, comme si le miracle lui était dû ; tu parles d’une chance ! Elle est allée valser sur un tas de vieux pneus, en contrebas de la route. Son fils tient une friterie ambulante, il fait également la pizza et le pan bagnat.

Il se tait et me tend un objet noir.

— Tiens, j’ai trouvé ça, en même temps que Mme Simadépanzani mère ; je crois que c’est les jumelles du motocycliste. Regarde par le petit bout : elles sont à infrarouge et permettent de voir dans l’obscurité. Comment va notre homme ?

— Mort. Il s’est fracassé le crâne.

— Tu penses, à l’allure où il allait ! M. Simadépanzani est vannier dans la morte saison.

— Ça lui permet de toujours mettre la main au panier, ne puis-je me retenir de proférer, conservant malgré moi, l’humour constamment en éveil.

— Il m’a invité à aller chasser à courre l’automne prochain dans son manoir de Sologne, reprend Pinuche en extrayant une carte gravée de sa poche.

Il la lit à la loupiote du plafonnier.

— Château de La Roche-Sirupeuse, il possède huit cents hectares de forêt, là-bas.

— Dis donc, la frite nourrit son homme.

— Il faut croire. Alors, que faisons-nous ?

J’examine le permis de conduire du mort. Curieux d’avoir coursé un type dont pas un instant je n’ai aperçu le visage et de le découvrir une fois qu’il s’est tué, à travers la méchante photo d’identité d’un document banal.

Je vois un gars jeune, mais il y a peut-être longtemps qu’il a passé son permis. Attends, je vérifie : six piges. Donc, il a trente-deux ans. Une gueule plutôt énergique, à cause des crins taillés court, une moustache de don Juan de flippers, un regard hardi, voire insolent, une balafre au menton. Son nom ? Georges Foutre. L’adresse indique : 6, rue de l’Amadouade, Nice.

Je mate l’effervescence qui s’accroît autour de l’accident. Le grand ahuri hollandais gesticule dans la lumière de ses phares, tâchant à expliquer les circonstances du drame. Sur l’immense camion blanc, des caractères noirs annoncent l’entreprise Van CHIASSEN d’Amsterdam.

— Bon, allons-y, soupiré-je.

— Où cela ? bêle César.

— Nice.

— Nous ne rentrons pas à Paris ?

— Non.

— Te dirais-je que je n’en suis pas mécontent ? murmure ma petite tête de litote (j’écris litote, compte tenu de sa réplique).

— Pourquoi, vieux biquet ?

— Ton affaire me captive.

Tiens, c’est « mon » affaire. Oui, au fond : n’ai-je point été l’amant de Maryse Lainfame ? N’aspiré-je point à devenir celui du juge Favret ?

Bon, il reste que je vais devoir faire mon affaire de « mon » affaire.

AVERTISSEMENT

Un pigeon à la noix roucoule comme un sac de noix crevé sur la corniche du Négresco, à quinze centimètres de ma fenêtre. Roucoule pour lui tout seul, sans la moindre intention lubrique. Furax, je me lève pour l’envoyer à mon ami Dache, mais quand je l’aperçois, tout blanc, avec la queue en éventail, les pattes roses et l’œil attentif, je me contente de lui sourire.

— Alors, vieux colombin, ça boume ?

Il reprend ses roulades, on dirait qu’il a l’accent du Midi. Je mate l’heure : huit plombes. Repu de sommeil, je réclame un café au lait complet. Bâille. Décroche le bigophone pour appeler Félicie, lui expliquer où je me trouve et qu’il fait un temps du tonnerre. Le ciel est bleu, la mer est verte, j’ai laissé la fenêtre ouverte. C’est Maria, notre soubrette portugaise qui répond. M’man est allée conduire Toinet à l’école. Excepté le calcul, ça flambe pour sa pomme, à notre chérubin. Additions, soustractions, la carburation se faisait bien, où la situasse a commencé de se détériorer, c’est aux multiplications, le pauvret. Et alors, les divisions, merci bien : une pure calamitas ; la grande foirade incontrôlée. Moi aussi, les chiffres me font chier. J’ignore toujours par quel bout les prendre, ni quel langage leur faire parler. Antoine bis, il se rattrape sur le français, la lecture, la poésie, la géo, l’histoire ; Henry IV, Napoléon, de Gaulle, tout le chenil. Il sait pas très bien l’ordre chronologique, mais, merde, hein ? Tu le sais, tézigue, lequel a régné le premier, d’Anchois Pommier ou de Louis XV ? Alors, sois gentil : écrase ! Maria qui s’en ressent pour moi me tient la jambe, à me raconter mille et deux conneries du trou de son cru. C’est toujours les gens qui parlent mal votre langue qui ont le plus de choses futiles à vous bonnir.