Je me dépêtre de l’ancillaire pour claper mes croissants chauds qu’un serveur souriant vient de m’apporter.
Je passe en revue les dernières péripéties : la séance chez les parents Lainfame, la course-poursuite tragique…
Je reprends pour appeler le juge Favret à son domicile. Huit heures dix, il doit être encore en train de se laver la chatte, le juge, non ?
Hélène décroche et sa voix imperturbable, froide et soucieuse répond « Allô » dès la deuxième réplique de la sonnerie.
— Toujours moi, San-Antonio, juge. Simplement pour vous dire que malgré l’entrée en piste de mon confrère Quibezzoli les événements continuent d’aller bon train. Si vous devez chaque fois lancer une commission rogatoire pour recueillir mon témoignage, vous n’aurez bientôt plus le temps d’emmener pisser Médor. Votre hostilité à mon égard vous fait perdre un temps précieux. A preuve : vous n’avez pas encore reçu le rapport des copains niçois. Les postes étant ce qu’elles sont, vous ne le recevrez pas avant deux jours, alors que mon intention était de vous mettre au courant, hier ! Laissez-moi au moins vous affranchir de deux choses essentielles : Mme Michel Lainfame est bien vivante, sa belle-mère l’a vue avant hier ; d’autre part, une bande de rigolos avaient établi une traque chez les parents de Lainfame ; traque qui a failli porter ses fruits. Je continue ou vous raccrochez ?
La donzelle déclare d’un ton froid comme un reste de mayonnaise dans le rayon du haut de ton réfrigérateur :
— Vous n’avez aucune qualité pour conduire une enquête dans une affaire où vous figurez en qualité de témoin, monsieur le commissaire ; si vous ne vous en dessaisissez pas immédiatement, je réclamerai des sanctions contre vous.
— Hélène, soupiré-je, je crois bien que je t’aime, c’est ta garcerie qui m’excite.
Et je raccroche avant elle.
D’un poil !
La rue de l’Amadouade est située non loin de la place Masséna, dans le vieux quartier. Le 6 est accroché à un immeuble début de siècle, garni de rémoulades, moulures, zizis divers. Il s’agit d’une petite maison à un seul étage, agrémentée d’un perron de marbre ébréché. Une plaque noire grande comme le tableau d’affichage du Parc des Princes annonce en caractères d’or, réalisés en creux, siouplaît :
Comme il est un peu plus de 9 plombes, je grimpe les quatre marches marmoréennes et j’entre sans sonner, ainsi que le conseille une deuxième plaque, minuscule et humblement émaillée celle-là, vissée sous le pommeau de la porte.
Le local où je débarque évoque un dispensaire de sous-préfecture. Murs peints en vert clair, comptoir de bois vernis au-delà duquel une vieille personne en blouse blanche s’active derrière un bureau sur des fiches calligraphiées en ronde noble, retirées d’un classeur qui ouvre tout grand la gueule pour les happer au plus vite[3].
La personne en question est affligée d’une protubérance au bas de la joue droite consécutive soit à une chique, soit à une fluxion dentaire, soit encore à une simple excroissance de chair. Elle a cet air résigné des gens qui ont toujours été laids, l’ont toujours su et n’en ont jamais voulu à personne de cette infortune.
Je la salue avec la gentillesse qui est de mise dans ce cas précis et qui relève de la plus élémentaire charité chrétienne.
Elle me considère sans appréhension, ni pitié ; sans antipathie ni sympathie ; sans esprit critique ni bienveillance ; sans tambour ni trompette, mais avec la calme placidité de la vache normande qui, en sa grasse prairie, regarde passer l’express de 10 heures 25 en direction de Rouen.
— Vous venez pour une émission, je suppose ? s’informe-t-elle avec déjà de l’indifférence pour la réponse que je vais formuler, quelle que soit celle-ci.
— C’est-à-dire…
— Voici nos barèmes, ajoute la personne, ayant considéré mon « c’est-à-dire » comme étant une affirmation franche et massive.
Elle me tend un imprimé. Je lis :
Nota : Au-dessus de 70 ans, la banque n’accepte plus les produits
Nous tenons à préciser que la personne qui procède au collectage de la semence est rémunérée au pourboire, merci pour elle
La dame fluxionnée paraît m’avoir oublié le temps de mon édifiante lecture. Pourtant, il n’en est rien.
— Voici une fiche à remplir, dit-elle en me présentant un bristol.
Je prends rapidement connaissance de ce second document tout aussi intéressant que le premier.
Nom : …
Prénom : …
Age (pièce d’identité à l’appui) : …
Adresse : …
Jure sur l’honneur de n’être atteint d’aucune maladie vénérienne et renonce à tout droit de suite concernant son émission qui deviendra propriété absolue de la Banque Jean Foutré.
Amusé et soucieux de pousser l’expérience, je remplis le formulaire, le signe et le rends à la dame. Elle y jette un pauvre œil dépourvu d’intérêt. Les gens résignés ne sont pas emmerdants, mais ils pèchent par un gros excès d’indifférence, nuisible aux rapports humains.
D’un geste las, elle presse un bouton blanc logé au centre d’une coquille de bois qui ressemble à un excrément canin comme toi au duc de Bordeaux.
Assez rapidement, une forte fille qui me dépasse de la tête surgit d’un rideau de perles comme on n’en voit plus qu’en pays du Sud.
Elle aussi porte une blouse blanche et paraît peu vêtue en dessous.
Elle est blonde par caprice, dodue par gourmandise, durement maquillée par nécessité professionnelle. Elle a le regard un tantisoit salingue et qui proémine comme chez les batraciens en état d’alerte.
— Si vous voudrez bien passer dans la cabine ! m’invite l’arrivante avec un accent pied-noir qui n’est pas près de s’estomper.
Je la suis. Nous longeons, à la queue (de toute beauté) leu leu, un vestibule sobrement orné d’un éventail espagnol sur lequel est écrit « Sevilla » en superbes caractères dorés. Au bout dudit, deux portes : l’une marquée « Laboratoire », l’autre « Cabine d’épanchement ».
La grande jument aux yeux de grenouille peureuse me fait franchir le seuil de celle-ci. L’endroit comporte un guéridon métallique servant de support à un appareil de projection, un écran de cinoche à enrouloir, un siège de cuir, un pouf bas et une console chargée de flacons stériles.
3
Phrase sotte, beaucoup trop longue à mon goût, mais dans laquelle tu peux biffer à loisir, ma prose étant à la pleine disposition de qui l’achète.