La môme s’interrompt de rassembler ses effets.
Me regarde.
Regarde le poster.
Un air incrédule badigeonne sa frimousse. Une enfant ! Rien qu’une gamine en dérive, incapable de pleurer longtemps.
Elle va dépunaiser le poster de ses longs ongles laqués sombre. Le grand feuillet se rabat, découvrant des talbins de cinq cents raides, eux-mêmes punaisés au mur pour constituer une sorte d’intéressant carrelage…
Follingue en plein, Mimiche bat des mains. C’est pas le même genre de veuve que le juge Favret, décidément. Chacun cultive le souvenir à sa manière.
Elle compte sa fortune. Près d’une brique !
— T’as de quoi opérer ta transhumance, ma poule, ricané-je. Apporte une boîte de fruits confits à tes vieux et laisse quimper le pain de fesses. Tu sais, éponger des locdus pour qu’un loulou s’offre des pompes en croco, ça ne va pas dans le sens de l’Histoire.
Mimiche s’approche de moi et porte la main sur une minuscule boucle métallique que je porte au sommet de mon futal et qui, lorsqu’on la tire vers le bas, fait jouer l’ouverture de ma fermeture Eclair (cher Eclair, que de gratitude on te doit ! Ton invention qui remonte déjà à un demi-siècle a plus révolutionné notre société que la capsule Apollo).
— Eh ! dis, petite, tu te permets des privautés ! j’exclame.
La jeune veuve objecte, très pertinente :
— Vous m’avez parié votre bite, non ?
Que veux-tu que je lui réponde ? Comme deux élans du chibre ne me font pas peur dans une matinée[4], d’autant qu’elle entend me déguster à la petite cuiller, je la laisse s’évertuer. Et je vais t’avouer une chose, mais jure-moi de ne pas la lui répéter car ça foutrait par terre mes leçons de rédemption : sa technique est si pure qu’il est regrettable de la voir abandonner son métier de pute. Aux figures imposées, elle se montre irréprochable, et elle est intrépide dans les figures libres ; ah ! ce n’est pas elle qui risquera jamais de s’étouffer à l’oral en passant sa maîtrise de fellation.
Ramassage du gars Pinuche.
Il est à ce point blindé que je dois le reconduire à son lit où je l’allonge tout habillé, lui laissant ses godasses, son chapeau et son mégot.
Les mains croisées sur le ventre, il a l’air d’un gisant sculpté par Dubout.
La table que j’ai retenue pour deux, devient donc une table pour un, aussi mangé-je comme quatre, manière de compenser la défection du Suranné.
Tout en dégustant, j’opère un bilan de ma matinée. Je l’estime très positif. Mon enquête file bon train, toutes voiles gonflées. Va falloir, maintenant, que je m’intéresse à ce mystérieux M. Clément et son comparse Freddo, et que je m’y intéresse d’urgence pendant que la piste est chaude.
J’en suis aux petits filets de rougets parsemés de truffes nappés de beurre blanc et accompagnés de pointes d’asperges saupoudrées de caviar, lorsqu’un couple, guidé par le maître d’hôtel, vient prendre place à la table voisine de la mienne. Je n’y prête pas attention sur l’instant, me trouvant trop complètement ensuqué par mes pensées émulsionnantes ; pourtant, je finis par lui consentir un lerchu d’attention, ce qui me permet de constater que ce couple est composé du juge Favret et de son con de greffier, l’honorable Roupille.
Homme de grande maîtrise, je parviens à rester un pas vide, comme dit le Gros. Je comporte pile comme si les deux arrivants étaient des touristes hollandais ou suédois, c’est te dire !
M’appliquant à ne les point regarder, j’ignore par conséquent si eux-mêmes portent les yeux sur ma personne. Cela ne m’empêche pas de conserver en rétine l’exquise jeune femme, sublime dans une robe bleue, avec une veste légère, un tour de cou en or, et une coiffure nouvelle, m’a-t-il paru.
J’achève mon repas sans broncher, à gestes précieux, refuse les desserts, accepte le café, signe l’addition, y joints un royal pourliche en espèces, me lève, m’en vais.
J’ai beau adopter cette attitude catégorique, mon cœur demeure tout en nuances et mon âme chante. Tudieu, que m’a-t-elle donc fait, cette jugeuse, pour me flanquer dans un tel état de liesse par sa seule présence ? Pareil coup de foudre n’est pas courant chez moi.
Certes, et je ne m’en cache pas, je réagis vite au beau sexe, mais il est incourant que mes pensées se trouvent mobilisées de la sorte. Voilà des années qu’une femelle ne m’a pas mis en état de choc sentimental.
Ainsi, elle se décide donc à remuer ! Il se déplace, le ravissant juge ? Il monte en première ligne ? Est-ce après avoir eu un contact avec mon collègue Quibezzoli ?
Je sens que nos routes risquent de se croiser dans Nice la Belle. A cette perspective, un courant de 220 volts me zigouique la moelle épineuse.
Pour l’heure, je marche d’un pas gaillard en direction de l’Azur Grand Lux, bioutifoul immeuble neuf, vitre, acier, béton, qui s’érige à une certaine distance (pour être précis) du merveilleux Négresco.
Le soleil darde à plein chapeau. La mer se fait d’un bleu qui n’est pas sans me rappeler la robe du juge Favret. Et d’ailleurs, tout me la rappelle puisque je ne pense qu’à elle.
Un portier portant un uniforme bleu… azur, est à l’affût devant une porte à cellule électronique qui cisaille les passages dans un chuchotement feutré.
Il soulève son kibour galonné à mon arrivée, et je lui remets cinq francs pour sa peine, ce qui est peu, mais reconnais que le geste lui-même est modique.
A cette heure somnolente, l’animation est nulle dans le hall de l’hôtel. De grandes parois en verre fumé, une immense tapisserie de Lurçat, des fauteuils aux lignes cosmiques créent une ambiance internationale. C’est le genre point de rencontre pour une certaine catégorie d’individus qui se compose de P.-D.G. ricains, de diplomates noirs et de cadres supérieurs français.
Derrière le comptoir (acier et verre taillé dans la masse) de la réception, se tient un gonzier qui serait obèse s’il était moins gros, mais qu’on peut classer parmi les monstres dont le curriculum figure dans le Livre des Records. J’ai l’impression qu’on a placé ce mec dans cette niche et qu’on lui a construit sa banque autour pour l’y enchâsser à tout jamais.
L’être humain en question se tient debout à son rade, les coudes sur un grand registre dans lequel il écrit j’ignore quelles conneries, d’une écriture tellement régulière qu’une lettre de lui te donnerait envie de gerber.
J’attends qu’il ait achevé de rédiger ses mémoires, mais ça lui prend un bon bout et il paraît surprenant qu’un mec de ce volume ait autre chose à raconter que son poids.
Ayant enfin mis un point provisoirement final à ses confessions, il relève deux lourdes paupières dans lesquelles on se taillerait facilement une paire de gants de boxe, et m’octroie un regard à peu près entièrement jaune.
Je lui présente ma brème. La manière qu’il s’en empare me laisse craindre d’avoir confondu avec ma carte de l’American Express, malgré la différence de format. Il se contente de la placer devant son œil droit, au lieu de l’enquiller sur la machine à imprimer ; puis me la rend.
Il attend, en caressant l’un de ses vingt-huit mentons, que je veuille bien lui expliquer pourquoi.
— Vous avez ici un client du nom de Clément, lui dis-je.
Le monstre gonflable va appuyer sur un bistounet chromé commandant les volets mobiles d’un classeur super-moderne.
Il se tourne alors vers moi.
— Non ! laisse-t-il tomber à l’unanimité plus sa voix.
Cette brève assertion ne me dégoufigne pas la tarentaise chevauchée. J’en conclus seulement que Clément n’est pas un patronyme mais un ouvrillyme.
4
La fameuse obsession sexuelle san-antoniaise, dont il était question au Conseil des ministres de mercredi dernier.