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Presto, je lui replace son porte-lasagne en fouille.

— Tu m’excuseras, Popaul, en général, ce sont les malfrats qui filochent les commissaires, pas les flics. Tu diras à mon estimé confrère Quibezzoli de boucler son magasin de farces et attrapes : je ne suis pas client.

Bonne âme, je lui fais cadeau de mon mouchoir, bien qu’il soit à mes initiales.

— Cela dit, fils, ajouté-je, tu es tellement discret que même si tu suivais un corbillard, le mort s’en apercevrait. Je vois pas pourquoi tu as choisi cette profession à la con alors qu’on doit manquer de dockers sur le port.

Il renifle piteusement son raisin en cours de coagulante sans paraître m’écouter. Ulcéré, je le laisse à l’ombre du porche pour regagner ma piaule.

Passage à vide. L’humanité me décoiffe. « Ils » me font chier, tous. Décidément, ils sont devenus trop nombreux et trop connards. Y a plus de place pour la vie dans la vie.

Je grimpe au quatrième et vais m’allonger tout habillé sur mon plumard. Non loin, deux petits libertins Louis XV m’adressent des sourires mamoureux depuis leur cadre doré. Poussez, poussez, l’escarpolette !

Ou l’escopette !

Je somnole très vite. Une mouche qui doit être espagnole tant elle est noire et velue, prétend en sodomiser une autre, pas consentante, contre la vitre, et ça produit un bruit de mirliton.

Le bigophone bourdonne. Est-ce chez moi ? Oui, c’est ici. Tiens, je devais pioncer pour de bon.

Je décroche. Une voix bêlante. Je me dis : « la Pine s’arrache de son coma éthylique. »

— Quoi ? aboie-je.

— Ici Georges Roupille, greffier.

— Salut, greffier, ça greffe bien ?

Un temps d’écœurement.

— Le juge Favret souhaiterait vous auditionner, pouvez-vous vous rendre à dix-sept heures au palais de justice de Nice ?

Je bâille à haute voix.

— Je vous demande pardon ? demande le vieux nœud.

— Vous pouvez, dis-je : je dormais. Et à cause de vous, je roupille.

Mon humour ne lui sied pas le moindre.

— J’attends votre réponse, commissaire.

— Le juge Favret est descendu au Négresco, crois-je savoir ?

— Là n’est pas la question.

— Que si. J’occupe la chambre 406, pourquoi voulez-vous que j’aille me plumer la bite au palais de justice, greffier ? Si le juge veut m’entendre, qu’il vienne me voir. Cela dit, comme votre juge est du sexe opposé, pour ménager sa vertu, son honneur et sa chatte, je suis prêt à descendre au salon. Ciao, ma vieille !

Je raccroche.

Les pigeons remettent la gomme. J’aime bien leur ramage, roucoulage et toutim. Deux pigeons s’aimaient d’amour tendre… Mon zob, oui !

Je m’oblige à fermer les yeux. Ne puis m’empêcher de guetter un nouvel appel du turlu, mais il reste silencieux. Tu sais que ça finira mal, le juge Favret et moi ? A force de trop se chercher, on finira par se trouver pour de bon. Surtout qu’on est à Nice (à Nice, au pays des merveilles) où l’on tire les feux d’artifice les plus very nice.

Etrange situasse que la nôtre, le juge et moi. On devrait collaborer à la loyale, œuvrer pour la plus grande gloire de la vérité, et au lieu de, c’est la guérilla sournoise. Traquenards en tout genre. Embuscades mignonnes ! Crocs-en-jambe tout azimut.

Impossible de roupiller.

On toque à ma lourde. J’ouvre à Pinuche. Il a surmonté sa biture express, juste qu’il cloaque un chouïe de la menteuse, le Biquet. Il débat des muqueuses, se dépêtre de filaments vilains.

— Tu sais ce qu’il me faudrait ? articule-t-il, comme un qui veut absolument causer tout en mangeant des spaghetti brillants : un petit coup de champagne. Tu permets que je commande une demi-bouteille, ça doit représenter le prix du repas que je n’ai pas pris, pour la note de frais.

Royal, je commande une bouteille de Dom Pérignon. Son estomac gargouille, kif-kif quand le facteur d’orgues souffle dans la tuyauterie pour en chasser les toiles d’araignées.

Je le mets au courant des ultimes nouvelles.

— Que comptes-tu faire ? demande-t-il d’une voix aussi passionnée que celle de l’agent de police qui t’indique la rue des Filles-du-Calvaire :

— Te faire changer d’hôtel, papa. Tu vas porter tes pénates à l’Azur Grand Lux.

— J’ai pas de pénates, objecte l’Enchifrogné, tu sais bien que je suis parti les mains vides.

— Je te prêterai ma valise pour faire sérieux.

— Et une fois là-bas ?

— Tu prendras la chambre la plus proche possible du 180, et tu surveilleras les agissements d’un certain Clément Moulayan. Tu sais te servir de mon sésame, crois-je ?

— Bé, oui, pourquoi ?

— Le voici ; quand le bonhomme aura quitté sa piaule, tu t’y introduiras et tu dissimuleras dans un endroit propice, que je laisse à ta sagacité proverbiale le soin de déterminer, cet appareil enregistreur, longue durée, miniaturisé. Il est d’une sensibilité de pucelle. Avant de le quitter, tu n’auras qu’à enfoncer la minuscule touche bleue qui se trouve sur le côté. Compris ?

— Evidemment.

Mon outillage disparaît dans ses poches clownesques. Il boit deux ou trois coupes en rotant d’aise très élégamment dans son poing, rien de comparable avec les rugissements d’un Bérurier.

— Et toi, pendant ce temps ? demande le Déchet.

— Moi, je foutrai la merde, promets-je. Le besoin s’en fait sentir.

AVIS

Bon, que je te continue, vieux pénitent de Bruges. O mon lecteur au foie pesant ; mon compagnon d’échappées belles ; mon complice plissé ; mon solstice divers ; mon recueilleur d’extravagances ; mon copain qui bongrémalgré. Toi que j’ai fini par aimer farouchement. Que je te poursuive ce récit byzantin et légèrement fluorescent (lis-le la nuit, tu verras).

A seize heures quatre très exactement, j’appelle l’Azur Grand Lux et demande M. Moulayan avec une telle autorité qu’on me le passerait même s’il n’était pas là. Mais comme il y est, tout va bien.

Sa voix est agréable comme celle d’un psychiatre. Suave, presque. Fleurie, tiens, je t’ajoute pour faire le bon poids, te prouver que l’Antonio ne rechigne pas à la peine. Attends, il m’en reste encore un : chantante ! Si avec tout ce blaud t’es pas content, cours te faire sodomiser par Gomorrhe.

— J’écoute, susurre le Libanais.

— Vous êtes monsieur Moulayan ? je demande en prenant la voix gauche d’un droitier.

— Oui, qui est à l’appareil ?

— Mon nom ne vous dirait rien, je suis un ami de Michel Lainfame.

Bref silence.

Le Libanais :

— Un ami de qui ?

— Michel Lainfame.

— Je ne connais personne de ce nom.

— Dommage, j’aurais eu des choses intéressantes à vous dire, et également à propos de la mort accidentelle de Georges Foutré, la nuit dernière.

— Je ne connais pas davantage.

— J’ai pourtant une photo prise au téléobjectif qui vous montre, vous et lui, devant l’entrée de l’Azur Grand Lux. Mais vous avez peut-être un frère jumeau.

Nouveau temps, qui n’est pas celui des cerises, ni même celui des coucourges.

— Alors, vrai, monsieur Moulayan, vous ne connaissez ni l’un ni l’autre des deux personnages en question ? Une fois, deux fois, trois fois, je raccroche ?

La voix agréable, suave, fleurie, chantante soupire :

— Je ne les connais pas, mais ce qui m’intéresserait, c’est de savoir comment vous avez été amené à me poser une telle question.

— On se voit où ? coupé-je.

— Je ne pense pas qu’une rencontre soit utile, nous pouvons très bien continuer cette conversation au téléphone.