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— Retournons en ville ! dit Hélène.

— En ce cas, bonsoir, fais-je, moi j’ai un flirt en cours avec ce beau jeune homme et j’entends le poursuivre. Mes mœurs changent d’orientation, cela se produit parfois chez des individus déçus dans leur orthodoxie.

La petite Favret me file un regard aussi suave que celui qu’échangent un serpent et une mangouste.

— Je n’ai encore jamais signé de mandat d’amener sur le capot d’une voiture, mais je suis prête à le faire si vous refusez de nous accompagner.

— Le commissaire San-Antonio en état d’arrestation ! m’exclamé-je, c’est frivole. On peut connaître le chef d’inculpation ?

— Complicité avec une association de malfaiteurs s’étant rendus coupables de séquestration, et insultes à magistrat, entre autres…

— Je ne pense pas qu’une initiative de ce genre constituerait le fleuron de votre carrière, juge.

— Voulez-vous me préparer un mandat d’arrêt au nom du commissaire, monsieur Roupille ? demande la vilaine donzelle à son birbe.

Tu parles qu’il veut, l’autre furoncle ! Il me déteste tellement qu’il souille son slip chaque fois que mon nom est prononcé. Tu le verrais déballer son porte-documents râpé, sur le capot de leur DS.

Quibezzoli jubile aussi, mais avec un peu plus de discrétion. Je me penche à l’oreille de la jugeuse.

— Plus vous m’en faites voir, plus je m’en ressens pour vous, Hélène, je lui chuchote, c’est un maléfice merveilleux. J’attendrai vingt ans s’il le faut, mais un jour je vous prendrai dans mes bras !

Joli, non ? Dans un film, bien en situation, ça ferait mouiller les chaisières, moi je te le dis. Faut pas craindre d’en rajouter, d’aller à fond dans le gazouillis.

La Favret, comment qu’elle saute ! Tu verserais un plein bol de fourmis rouges dans sa culotte, elle réagirait pas plus vivement.

— Insolent ! hurle-t-elle.

— Qu’est-ce il y a ? Qu’est-ce il y a ? intervient le commissaire Quibezzoli.

— Cet homme n’est pas digne du titre qu’il porte ! égosille le juge.

S’ensuit une amorce d’échauffourée de la façon suivante. Le médor à Quibezzoli, con et discipliné, croit judicieux de me cueillir aux revers. Ce qui lui donne droit à mon genou dans les roubignoles. De ce fait il me lâche ! Quibezzoli, vert de rage, ver de terre, verre filé, vers chez moi, porte la main à son pétard, que je te demande un peu où ça va dégénérer ce numéro à la noix, d’ici qu’on s’entre-flingue, y a pas loin !

— Messieurs ! Messieurs ! Je vous en prie ! crie le juge, effrayé.

Bon, le calme revient.

Roupille qui s’était interrompu de rédiger retourne à ses pattounes de mouche. Celui que j’ai genouillé de première, masse ses génitoires à travers son grimpant, mais on sent qu’il aimerait se les passer à l’eau froide. Quibezzoli bongré-maugrée. Et moi je bondis en constatant que le gars Freddo a profité de l’algarade pour se tirer.

Textuel ! Sa portière est encore entrouverte. Il a bien employé notre inattention.

— Il a filé ! beuglé-je. Bande de crêpes, c’est votre faute ! Un client de première !

Je m’élance !

— Restez ici ! tonne Quibezzoli.

Je lui oppose la face la plus vacharde qu’il ait jamais contemplée depuis qu’il s’est fait tirer le portrait dans un Photomaton.

— Cet homme est un des éléments de l’affaire, si vous couvrez sa fuite, alors là, oui, il y aura complicité avec une association de malfaiteurs.

Et je bondis, le laissant libre de me défourailler dessus s’il est assez tordu pour.

Freddo, je pige très bien, a rampé une fois dégagé de sa guinde, jusqu’au monceau de bagnoles empilées. Une fois à l’abri de cet immense tas de ferraille, il a pu prendre ses jambes à son cou.

Je cavale à perdre alêne, comme un cordonnier asthmatique. Au-delà de l’amoncellement de tires pourries, se trouvent des serres. Je m’y précipite. Très vite, devant la première, je découvre un monsieur en tenue de paysagiste, face à terre (il a l’habitude de la contempler). L’arrière de sa tronche est sérieusement contondé : son cuir dénudé (il est chauve comme la cantatrice de Ionesco) porte une tuméfiance bleuâtre et qui sanguignole en son centre. Une pierre tachée de sang gît à côté du bonhomme.

Je m’empresse de le soulever. Il est sonné sérieux, Fanfan-la-tulipe. Le Freddo, quand il assomme, c’est pas de la chiquenaude.

Au bout de fort peu, il récupère pourtant ses esprits. Me dévisage.

— Jé crois qué j’ai oun’ insolatione, dit-il avec l’accent italien du nord.

Quibezzoli me rejoint.

— Qu’est-ce que vous avez encore fait ! grince mon homologue.

— Ah ! non, m’emporté-je, ça commence à bien faire ! Pour qui me prenez-vous, Ducon ! A côté des miens, vos états de service ressemblent à des virgules sur des murs de chiottes, si je fais donner la garde vous allez la sentir passer dans vos moustaches, vous et le juge, merde !

Ma colère est tellement somptueuse qu’il ne peut se retenir de l’admirer comme elle le mérite. Impressionné par l’éclat de mon éclat, il chausse ses lunettes de soleil afin d’éviter les radiations.

Je désigne une tache d’huile sur un petit terre-plein où sont entreposés des sacs d’engrais.

— Vous avez une auto ? demandé-je au jardinier.

— Si ! Ma où elle est ?

— En circulation, fais-je.

Puis, à Quibezzoli :

— Notre homme a assommé ce jardinier pour s’emparer de sa tire et disparaître.

— Sympa, ronchonne le commissaire. C’était qui, ce type ?

— Un dénommé Freddo, exerçant officiellement le métier de chauffeur de grande remise. Mais il avait probablement d’autres activités moins honorables, sinon il n’aurait pas pris tous ces risques en nous faussant compagnie.

On regagne Nice. C’est Quibezzoli qui pilote la Mercedes à Freddo. Il a pris le paysagiste avec lui pour lui faire greffer un pansement chez le premier pharmago venu ; moi je monte dans sa voiture, au côté du juge Favret.

Au fait, qu’est devenu le mandat d’arrêt ? Roupille a dû, sur l’ordre d’Hélène, le fourrer dans sa serviette fétide en attendant la suite des événements.

Serait-elle disposée à rengracier ?

Elle se tient bien droite, sans parler. Son parfum délicat continue de m’envoûter.

Je tire mon carnet de ma poche et j’écris :

Vous êtes bien plus belle que la Côte d’Azur !

Lui montre le feuillet.

Elle lit le poulet du poulet, hausse les épaules et se crispe un peu plus mieux davantage, dirait le Gravos dont les qualités pléonasmiques sont célèbres.

Je tourne la page de mon carnet et sur la nouvelle qui s’offre je trace :

Je vous aimerai jusqu’à la fin du monde.

Mais elle ne veut plus lire. Alors j’arrache le feuillet, l’humecte de salive et le colle contre sa vitre.

Vivement, elle l’arrache.

Je sais qu’elle a eu le temps d’en prendre connaissance.

— Je n’ai jamais vu un tel acharnement, soupire-t-elle.

— Moi non plus, dis-je ; moi non plus.

Et c’est vrai que ça devient désemparant, tout ça.