Je le bâillonne, ploum ! L’installe dans la vaste penderie : flouttt ! Recoulisse la porte : reflouttt !
— Alors ? demande ensuite le noble vieillard.
— Très surprenante journée, fais-je. Tu me gardes ce gentleman jusqu’à demain en veillant à ce qu’il ne soit pas découvert par une dame du service ; dis que tu es souffrant et qu’on doit te ficher la paix.
— Ne sois pas inquiet, San-A.
— Surtout contrôle bien ses liens quand il aura repris conscience, je n’ai pas envie qu’il s’échappe !
— Il ne s’échappera pas ! promet fermement l’homme qui pisse moins vite que son ombre.
La détermination du Sinueux est telle que je le quitte en toute confiance.
Pour aller prendre du repos, crois-tu ?
Voire !
Nous autres, héros de foutriques polars, sommes sur la brèche trente-quatre heures sur vingt-cinq. Toujours cette action qui échevelle, nous pousse au cul, nous entraîne dans le tourbillon du plus loin, du lis-moi, salope ! Du tu mouilles, hein ? Du t’halètes, ma vache haletière. La frénésie ! « Il ouvrit la porte et entra », je te le répéterai au grand jamais suffisamment. Là qu’est la clé du métier. Les jeunes me demandent : « Je veux faire romancier, comment t’est-ce faut-il s’y prendre ? » Moi j’imperturbe pour leur répondre. « Tu commences par : Chapitre Premier. A la ligne : Il ouvrit la porte et entra, point. Ensuite t’as plus qu’à faire des phrases courtes et à te chatouiller le bulbe avec une plume d’autruche, et puis sous les roustons également, pour mieux faire viendre. »
Donc, fatigué par cette journée émotionnelle, je regagne le cher Négresco prestigieux, sous les palmiers qu’agite une brise marine, quand au moment d’y pénétrer, une femme se présente à moi, avec, semble-t-il, l’intention de me racoler. Elle est survêtue d’un imperméable léger comme une capote anglaise (et de même couleur), surcoiffée d’un carré Hermès représentant une course de diligences dans Versailles, avec Louis Quatorze au balcon. Je m’apprête à lui dire que « non, merci, madame, sans façon, j’ai déjà donné », lorsqu’elle me chuchote :
— Cher Antoine, ne sursautez pas, je suis Maryse Lainfame, allez m’attendre dans votre chambre et laissez votre porte entrouverte.
Moi, impec, je ne bronche pas, continuant ma route comme un honnête homme qui fait la sourde portugaise aux léchantes proposes d’une dame pétasse.
Mais un hym(è)ne de grâce joue dans mon âme de surdoué.
Après avoir tant bataillé pour forcer la solution, ne dirait-on point qu’elle vient à moi ? Spontanément ? C’est féminin, la chance. Et la voici qui m’aborde : « Tu montes, chéri ? »
Je monte.
L’hôtel est tranquille, que juste un prince arabe dérouille sa seizième concubine qui a oublié de baiser sa babouche droite, avant de lui tirlipoter le zozor, mais le temps qu’il lui crève un œil et la paisibilité revient.
Une jubilation m’asticote ta nervouze. Me voici tout requinqué et paré pour de nouvelles aventures.
Je grimpe in my bed-room, comme disent les Chinois de Hong Kong (qui n’entend qu’un Hong n’entend qu’un Kong).
Maryse, la tant souhaitée, la tant cherchée, Maryse Lainfame est là, en bas, et va être là, en haut, dans un peu moins que tout de suite ! Hip hippique Oural ! comme criait un de mes copains de Magnitogorsk.
Tu parles que je la laisse ouverte, ma lourde !
Le temps de me laver les mains, de m’oindre les joues d’eau de toilette, et de redonner un peu de luisance à mes tatanes avec le bas des doubles rideaux que je suis ultra-prêt à la recevoir. Un peu de radio, pour créer l’ambiance. Je trouve un truc vachement mimi sur Radio-mon-thé-quart-l’eau, à moins que ça ne gicle d’un poste de la côte ligure tellement que c’est sirupeux. De la musique mouille-chatte, comme dit l’archevêque de la synagogue de Chartres.
Un glissement feutré dans le couloir. Toc toc. Elle pousse l’huis. Entre. Referme, s’adosse à la porte comme cela se fait tout ce qu’il y a de volontiers dans les films, quand un fugitif vient d’atteindre son havre (Seine-Maritime) de grâce (quand ça se passe à Monaco) ou de pets (quand ça se situe dans des lavatories)… Dieu, comme elle est pâle, cernée, bleuie, taraudée par l’angoisse.
Orpheline, violée, tuberculeuse, déportée, affamée ! Tu la soupçonnerais de tous ces avatars et de bien d’autres dont je n’ai pas le temps de dresser un inventaire plus poussé car j’ai oublié de couper les gaz de ma mobylette.
Elle exhale un soupir infini. Des larmes jaillissent soudain de ses yeux, évidemment, car d’où voudrais-tu, sois logique pour une fois !
Compassionné, on le serait témoin, je me jette sur elle, la prends dans mes bras. Les violons semblent suivre mon action et déchaînent à chier partout, vaselineux en diable nioug nioug zwin mionla lalère, polente et couchetapiane, voir Napoli et canner ! Ils nous saupoudrent de parmesan fin râpé ! lacryma-christi en injection ! J’en gode d’entrée de jeu.
— Oh ! fait-elle. Oh ! Antoine, Antoine, si vous saviez…
Et vite, au lieu de me dire, elle enfouit sa détresse dans l’ouverture de mon veston, entre mon cœur et ma carte de l’American Express. A gestes prélatiques, je dénoue son carré Hermès et sa chevelure lui étant rendue l’embellit. Puis je déboutonne son imper, et ses formes restituées la sacralisent. Je pousserais sans me forcer le décarpillage, passant de la robe aux sous-vêtements, mais la décence m’en empêche. Pourtant je me rappelle vivement ses seins bien fermes, son exquis fessier pommé à souhait, ses cuisses bien profilées et sa chatte délectable, d’un châtain tirant sur le vénitien. Dévêtir la femme que l’on presse contre soi est une opération délicate, nécessitant un apprentissage poussé et un entraînement assidu. La gaucherie est fatale, les faux mouvements impardonnables. Tout doit s’accomplir en souplesse, sans impatience. Un ongle qui « accroche », des doigts qui s’exaspèrent sur une fermeture récalcitrante, et le charme se rompt. De Casanova, tu passes connard en deux coups les gros, mon pote ! L’homme à femmes, tout comme un pickpocket, doit s’exercer sur un mannequin lesté de grelots avant de passer à l’action. Le point le plus névralgique, c’est le soutien-gorge. La chierie ! Il existe beaucoup de modes d’agrafages. Et c’est minuscule, ces saletés ! J’ai suivi des cours chez un baron belge un tantisoit ruiné qui possédait une collection exhaustive de tous les modèles de soutiens-loloches. Ses doigts d’aristo fascinaient lorsqu’il faisait sauter pressions ou menus crochets.
« — De la gauche ! prônait-il. Le bras droit enserre la taille, il fait prisonnier. La main gauche butine. Elle erre sur le cou, remet en place des cheveux fous près de l’oreille, dévale l’épaule, plonge en arrière, reconnaît le terrain. Au premier toucher, le conquérant doit identifier la marque du soutien-gorge et par conséquent se référer mentalement à son système de fixation. Ne jamais utiliser le pouce, beaucoup trop balourd, c’est l’empoté de notre main, le pouce, le gros benêt dont on n’est jamais sûr. De préférence, se servir de l’index et du médius en les activant de l’intérieur. Le dégrafage doit s’opérer immédiatement, sans le moindre tâtonnement préjudiciable au climat qui s’est instauré. Certains soutiens-gorge ne comportent qu’une seule fixation, ça c’est du gâteau. Mais la plupart en ont deux. Le fin du fin est de parvenir à libérer simultanément les deux crochets ; on y arrive au bout de quelques années d’expérience. La chienlit vient de ceux qui, par trop sophistiqués, ont des fermetures multiples, implantées souvent en diagonale. Dans ces cas périlleux, ne pas perdre son sang-froid. Aussitôt identifiés, ne cherchez pas à forcer votre talent. Mine de rien, prenez dans votre poche le canif pourvu de minuscules ciseaux que vous aurez préalablement dégagés de leur encoche. Vous coupez délibérément la bride avant la fermeture, en faisant très attention que l’acier de l’instrument n’entre pas en contact avec la peau brûlante (ou supposée telle) de votre partenaire. Surtout que les mâchoires des ciseaux ne mâchouillent pas la bride ; pour pallier la chose, veiller à ce que les lames soient constamment affûtées. Un boucher saurait-il débiter l’escalope avec une lame ébréchée ? Si vous agissez convenablement, la dame ne s’apercevra du forfait qu’au moment de remettre son soutien-chose, c’est-à-dire lorsque vous n’en aurez plus rien à foutre et où il vous sera loisible de lui mettre deux tartes dans la gueule au cas où elle rouscaillerait avec trop de véhémence. »