Выбрать главу

— Vous avez un petit cabanon dans l’arrière-pays, n’est-ce pas, lui dis-je.

— Comment le savez-vous ?

— Combien de mômes ?

— Trois.

— Et votre épouse cuisine bien mais n’aime pas coudre, exact ?

Il me défrime d’un œil cloaqueux.

— Pourquoi vous dites ça ?

Je souris.

— Votre bide qui s’arrondit annonce la bonne table, et les élastiques pour remonter les manches dénotent un certain relâchement côté cousette. Les bonnes femmes, c’est l’un ou l’autre, vous avez touché la meilleure part, car on n’arrange pas la jaffe avec du caoutchouc.

Fernet rougit. Pourquoi la pensée me vient-elle qu’il me tirerait volontiers un taquet dans le portrait, en gros plan ?

Je lui souris triste.

— Fernet, j’espère que vous me connaissez de réputation et que vous savez que je ne suis pas un douteux ? Blagueur, insolent, ça oui, mais intègre. Farfelu, certes, n’hésitant pas à user de moyens pas toujours homologués, mais flic de devoir.

Il se décide à me voter un sourire plein de dents mal ravaudées.

— On parle de vous comme du dingue de la Poule, il avoue. Un superman made in Paris : le cul, la blague, le culot.

— Ajoutez : « et les résultats positifs » pour me faire plaisir, car c’est la finalité de mon action.

— Si vous y tenez, j’ajoute volontiers.

Je lui tends la main, il me confie la sienne. Poilue. Un rien patte de chien. Il est gentil, Fernet-Médor. Ça deviendrait un pote, malgré la mauvaise impression de départ. C’est le type à reconsidérer « dans son contexte » comme disent les ronds-de-phraseurs.

— Ecoute, Jules, je lui chuchote : tu vas m’aider.

— A quoi ?

— J’ai décidé qu’avant l’aube, j’aurai résolu ce mystère.

— T’as de la santé.

— Mon estimable homologue, le commissaire Quibezzoli, a appréhendé un gonzier nommé Martial Courre, t’es au courant ?

— J’étais là quand on l’a amené.

— Tu vas me rendre le service du siècle.

— C’est cher ?

— Juge toi-même : je voudrais que tu m’enfermes avec lui !

Fernet libère une moue pas bandante.

— C’est hors de prix, fait-il, et donc hors de question.

— Pourquoi ?

— Je n’ai aucune raison de te boucler.

— En voilà une ; fais-je en lui filant mon poing dans le museau.

Son pif se met à raisiner Wallace.

Je me rappelle Gabin dans Au-delà des grilles. Le dur rouleur : regard blanc, mâchoires contractées, léger rictus pas enjôleur.

Je m’efforce, en m’installant dans la cage à poules grillagée d’un côté où le dénommé Courre en écrase, en chien de flingot, sur une banquette de bois qui a vu défiler les culs les plus honteux des Alpes-Maritimes. Une fois bouclarès dans cette volière, on ne voit plus la vie de la même façon. Dans les lointains, un gros agent prépare son tiercé dans la loupiote violette d’un néon tuberculeux. Au-dehors, une rumeur de circulation subsiste encore, indécise. J’ôte ma veste, la plie soigneusement et la dépose à l’autre extrémité du bat-flanc. L’endroit pue la détresse : odeur d’alcool, de crasse, d’eau de Javel impuissante.

Je regarde pioncer Martial. Quelque part, à mille bornes plus haut en allant vers le pôle Nord, Michel Lainfame doit roupiller également dans une cellote à peine plus confortable. Sa maîtresse est morte, et à présent son épouse aussi, le voilà donc totalement veuf. Et M. Moulayan ? Sous quels cieux s’est-il réfugié ? Et Ira, sa belle copine disparue avec le couple holianduche ? Comme salade, c’est de la Batavia, admets ! Et le fugace Freddo ? Hein ?

Mais c’est vers Hélène que ma pensée tire d’aile. Elle, venue enfin de son plein gré dans ma chambre, prête à tous les abandons. Belle et mouillante, offerte ! Putain, ce manque d’azur ! T’as parfois le destin qui franchit la raie jaune et va emplâtrer les platanes. Je la tenais, la respirais, lui allongeais un braque long comme un discours d’ouverture au vingt-cinquième congrès du Machin-Chose. Et puis cette conne de Maryse, que paix à ses cendres, croit opportun de se pointer, avec une touffe de poils en guise de robe du soir. Mes poings se crispent. Deviennent boules d’acier. Oh ! je n’en veux pas à la morte, comment se pourrait-ce ? Mais je ne pardonne pas au sort de m’avoir joué ce tour-là.

— Bon, assez jérémié dans mes appartements privés. Au turbin, Antoine ! Comme le dit mon pote Renaud : « Une gonzesse de perdue, c’est dix copains qui reviennent ! » L’emmerde c’est que j’ai pas envie de fourrer les potes.

Je me penche sur l’endormi. Il est épuisé, Courre Martial. Mon arrivée ne lui a pas fait remuer un cil.

Je dénoue ma cravate, m’agenouille auprès du truand. Délicatement, j’insère le petit bout de ma cravetouze entre sa nuque et le banc. Le récupère, tire à moi de façon à ce que se constituent deux parties d’égale longueur. Après quoi, je fais un nœud. C’est à cet instant qu’il se réveille enfin et marque un sursaut. Alors je serre à tout-va. Ce faisant, je me suis couché sur lui pour le bloquer sur son banc. Il essaie de se dégager, mais je tire encore plus fort. Ma bouche est à quelques centimètres de son oreille.

— Calmos, brin d’homme ! chuchoté-je. Si tu ne réponds pas à mes questions, dans moins de deux minutes t’auras ta pomme d’Adam dans l’œsophage, c’est pigé ?

Et comment répondrait-il, alors que je l’étrangle ? En usant de l’alphabet des sourds-muets ? Mais va-t’en savoir s’il le connaît, l’artiste. Un râle gargouilleux s’échappe de sa bouche. Je desserre un peu la prise et applique le tranchant de ma main gauche sur son haut-parleur.

— Si tu gueules, t’es viande froide avant que le dreauper ait eu le temps de trouver sa clé pour venir ouvrir, j’ai la consigne. Tu me reconnais, j’espère ? Commissaire San-Antonio, y a pas de « t » à San, la liaison se fait donc à l’aide du « n », la plupart des gens se gourent parce qu’ils manquent de subtilité. Si tu ne deviens pas aussi souple qu’un gant de caoutchouc, c’est scié pour ta pomme… toujours d’Adam. Les ordres viennent de très haut. Officiellement tu te seras pendu dans la cellule. Et tu ne seras pas le premier : tu te rappelles, ce pauvre Baader et les gonziers de sa bande, l’épidémie qui s’est saisie d’eux, une nuit pareille à celle-là ? Y a des méthodes qui finissent par s’exporter quand elles sont bonnes. On vit l’ère de l’espionnage industriel. Dis-moi que t’as tout compris, mon beau loulou ?

J’ôte ma main.

— Oui, oui, fait-il vivement.

— Bravo. Si tu bouffes à ma gamelle, on ne reparlera jamais de rien et tu chiqueras les comparses ignorants. Avec un bavard convenable, tu en verras la farce avec deux marcotins, ça dépendra de tes antécédents. Sinon…

Sauvage, l’Antonio ! Il tire raide sur les deux extrémités de sa cravate, une bioutifoule Lapidus, peinte à la main, dans les tons pastel, si c’est pas dommage !

Couac ! fait la gargane de l’apôtre.

Je desserre.

— On sait que tu travailles pour Moulayan, juste ?

— Oui.

— Avec Freddo, Foutré et quelques autres, toujours O.K. ?

— C’est vrai.

— Bon, maintenant pénétrons dans le gras. Si une seule fois tu me réponds que t’es pas au courant, je te fais tirer une menteuse d’un mètre vingt. On reste sur la même longueur d’onde ?

— Toujours.

— Tu commences à me plaire sérieusement, tu vas voir que ça finira par un mariage, nous deux. Dis-moi : Michel Lainfame…

— Eh bien ?

— Il maquille quoi, avec l’équipe Moulayan ?