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La réponse est spontanée :

— Ben, des affaires.

— Quelle sorte ?

— Import-export.

— Ça veut tout dire et rien du tout. Pas une histoire marloupine qui ne se cache sous ce double vocable. Quel genre d’affaires font-ils ensemble ?

— Ils vendent des moules !

Fumier, va !

Je tire sur les extrémités de ma baveuse avec une telle rogne que je crains un instant de lui avoir carbonisé une ou deux cervicales. J’ai beau relâcher l’étreinte, Courre reste sans souffle, couaqué à mort. Oh ! dis donc, tu vois pas que j’aie eu un geste malheureux ? J’aurais l’air fufute.

Ensuite je lui secoue le menton. Il a un halètement de julot qui voudrait manger des cornichons en trempant sa tronche dans le bocal.

— Dernier avis, je t’avais prévenu, gars ! grondé-je.

Après quelques démêlés avec son larynx et ses poumons, lesquels sont en bisbille, il retrouve une vitesse de croisière.

— M’égorgez pas, bordel ! C’est pas un vanne, je vous jure qu’ils vendent des moules en provenance de Hollande.

Du coup je reprends mes billes :

— Avec un dénommé Van Delamer dans le circuit ?

— Exact.

Un temps. La nuit devient de plus en plus poisseuse, un noctambule n’en voudrait même pas pour aller gerber son trop-plein de scotch au pied d’un lampadaire. C’est une noye pour veillée funèbre ou agonisant.

— Pourtant, il travaille dans la banque, Lainfame.

— Ben oui, et Moulayan aussi, ça n’empêche rien.

— Ecoute, fiston, des moules, moi je veux bien, j’ai rien contre les lamellibranches, mais je vois pas ce qui justifie l’intervention d’une équipe de malfrats dans cette exploitation folklorique.

— Van Delamer a un parc d’élevage.

— Et ensuite ?

— Il expédie ses petites pensionnaires en France par camions frigorifiques. Là, Lainfame, sous une raison sociale anonyme les met en conserve, et c’est Moulayan qui achète la production et s’occupe des exportations. Il en vend dans le monde entier.

— La chaîne du bonheur par la moule ! ricané-je. Ça cache quoi ?

Mon pote Courre Martial a une voix pathétique pour déclarer :

— Me butez pas, commissaire. Mais je vous jure sur ma mère que j’en sais rien ! Je suppose qu’il y a une monstre arnaque là-dessous, seulement j’en ignore tout et, croyez-moi, avec un boss comme Moulayan, on se dit que moins on sait de choses, plus on a de perspective d’avenir. Il faut me croire ! Vous voudriez pas que je vous invente n’importe quoi !

Je le regarde dans les vilaines pénombres du poste. Ses yeux ont d’étranges brillances de cataphotes.

— Je vais te faire un beau cadeau, Martial : je vais te croire.

— Sympa, balbutie-t-il.

— En remerciement, toi tu vas continuer de me mouiller la compresse.

— Si je peux, commissaire… si je peux…

— Oublions nos mytiliculteurs et quittons les moules de Hollande pour celles de France ; tu n’ignores pas ce qui est arrivé à la maîtresse de Lainfame ?

— Vaguement.

— Qui l’a scrafée ?

— Là encore, je sais ballepeau.

— Pourtant, placardé chez les parents Lainfame, tu guettais la venue de sa femme ?

— C’est pas pour autant que j’ai trempé dans le décès de sa souris. J’avais ordre d’intercepter Maryse Lainfame. On m’avait montré son portrait, point à la ligne ; bête et discipliné, Martial. Quand je suis convenablement payé je fais ce qu’on me dit, à condition que ça ne compromette pas la santé de quelqu’un, et surtout pas la mienne.

— Et t’as aucune idée lumineuse au sujet de ce meurtre ?

— Pas la moindre ; comprenez que je ne suis qu’un sous-fifre. Les troufions qui ont gagné Verdun, ils savaient pas pourquoi, tandis que les maréchaux qui l’ont mijoté sur le papier savaient comment tout ça s’est goupillé.

— Ce qui me séduit en toi, c’est que tu es un littéraire, soupiré-je. Maintenant, on va jouer à compléter les cases vides de la grille ; elle siège où, la conserverie de moules de Lainfame ?

— Cagnes-sur-Mer.

— Dis donc, elles se font traiter loin de leur Néerlande natale, les bouchots de M. Van Delamer. Tu connais la fabrique ?

— J’y suis allé une fois avec M. Moulayan. C’est pas très important, du point de vue bâtiment. Sur la droite avant d’arriver dans Cagnes, c’est indiqué.

— Il vient souvent en France, Moulayan ?

— Chaque mois.

— Il y séjourne longtemps ?

— Trois ou quatre jours.

— Et toi ?

— Moi, quoi ?

— Tu fais quoi pendant son absence ?

— Je bricole.

— Et pendant sa présence ?

— Je bricole aussi.

— Quel genre de bricolage ?

— C’est selon.

Moi qui suis un psychologue laminé à l’extrême (tout le monde me traite de fin psychologue), je sens qu’une mignonne renversée s’est opérée depuis un instant. Courre, qui n’est pas con, a repris le dessus, sentant parfaitement que je n’étais pas homme à le mettre à mal. Dans la foulée, tout à l’heure, son sommeil et la brutalité de mon intervention jouant, il a eu les grelots, mais quand deux mecs discutent, t’empêcheras pas qu’il se crée, à leur insu souvent, un climat de confiance. Puisqu’il a pris confiance, je ne lui fais plus peur, dès lors, il me pisse à la raie, comme dit volontiers en conseil des ministres, le brave roi Baudouin de Belgium qui n’a pas la chaude-pisse, ayant déjà attrapé la reine Fabiola…

Je me rends parfaitement baron, pardon : je me rends parfaitement compte, qu’il est vain de continuer mon petit interro plus avant, car il me berlurera coquettement, l’apôtre. A quoi bon perdre son temps ?

J’ai toujours mon sésame que Pinaud m’a rendu, alors j’ouvre, sors et referme. Le pandore de surveillance qui hésitait entre Vertige du Prose et Va te faire aimer, dans la troisième, bondit en me voyant déambuler.

— Halte ! il égosille, se débattant farouche avec la patte de fixation de son étui à flingue.

— Minute, minus ! objecté-je en lui produisant ma brème.

Ma photo, là-dessus, bien qu’en couleur, ne donne qu’une faible idée de mon personnage, lequel, tu le sais, madame, mériterait d’être en relief.

Il s’agit d’un bâtiment dans les tons crème, avec des caractères d’azur pour annoncer la raison sociale : « EMAFNIAL S.A. Conserves ». Moi, trop téléviseur des « Chiffres et des Lettres » pour ne pas, d’un coup d’œil, lire à l’envers le nom de cette boutiquerie, d’émettre le ricanement de circonstance. Y en a qui se foulent pas les muscles du cerveau, je te jure ! Le jour où j’aurai besoin d’un code secret, c’est pas à LAINFAME A.S. que je le demanderai, ou alors pour cloquer dans une bande dessinée visant les plus de nonante ans.

Courre Martial me l’a précisé : l’entreprise n’est pas très importante. Trente pas sur quinze, tu vois ? Et non des pas écartement de Gaulle, lequel arquait vilain des compas ; non plus d’ailleurs que des pas style Toulouse-Lautrec, mais du pas pour salle des pas perdus. Une forte odeur de marée retentit, comme l’écrivait je sais plus qui dans je sais plus quoi, mais ça méritait la dépense.

Je matouze le pourtour, et aussi les environs. L’usinette est érigée au centre d’un ancien terrain vague, lequel depuis lors a gagné en précision. Pas besoin d’être grand clerc (de l’une) pour piger qu’un système d’alarme protège l’entreprise. Quand on a de l’odorat, de la jugeote, et une matière grise qui ne poisse pas, c’est une chose qu’on retapisse illico. D’autant qu’il n’existe aucune maison de gardien à proximité.

Je m’envoie une convocation en express pour une conférence au sommet. J’y réponds par retour et nous voilà tous réunis dans la grande salle des délibérations de ma gamberge, San-Antonio et moi, à essayer de déterminer ce qu’il convient de faire, et comment on peut le faire. C’est mézigue qui ai la bonne idée le premier. Je l’expose à moi-même, lequel se déclare d’accord à cent pour cent, ce qui constitue une majorité suffisante.