« Fort bien, me dis-je en catimini, dialecte que j’utilise volontiers dans les carrières de cas rares, très bien. Commence donc par la fin, Antonio joli. Va ouvrir quelques emballages pour vérifier le contenu de certains bocaux. »
Mes conseils étant des ordres pour moi, je joins le geste à la pensée, escomptant un résultat fructueux.
De l’ongle justement inséré en tranchet, je fends la bande adhésive d’un carton et me saisis d’un bocal. L’étiquette représente des moules dorées sur un lit de riz nappé d’une sauçaille de teinte orangée qui te sublimise les papilles.
Je déventouse le couvercle et hume. Ça sent banal : la moule en ordre de marche, quoi. Je pique un mollusque et le croque lentement. De la moule courante, dodue, qui n’a pas oublié la mer. C’est gentiment caoutchouteux, pas trop. L’Antonio intrépide vide le contenu du bocal sur l’un des comptoirs d’emballage. L’eau se répand. J’examine chacune des moules, en bouffant une au hasard pour m’assurer qu’elle n’est pas truquée. Mais tout me paraît normal. Déçu, je passe à un second bocal du paxif. Mon raisonnement est reparti à la charge. Je me dis, in extenso : « Mon Antoine, ce qui est expédié est une chose illicite. Donc elle doit être bien planquée. Redonc, la prudence commande de cacher cette chose par petites quantités. Suppose que, sur l’ensemble d’un carton, une seule moule soit “bricolée” ? » Je me livre à un compte rapide. Chaque carton comprend douze bocaux. Il y a une centaine de moules par bocal, ce qui revient à dire que chaque emballage en contient plus de mille ; comment veux-tu qu’on mette la main sur « LA » moule truquée, compte tenu de la quantité ? A moins, bien entendu de « savoir » qu’il y a trafic. Bon, jouant cette hypothèse, ne me reste plus qu’à aller chercher ma chignole pour embarquer un carton complet. J’étudierai la chose à tête reposée ; toutefois, un coup d’œil aux dossiers factures serait une bonne chose.
Je remets les moules à sec dans le bocal, replace celui-ci dans son carton, rajuste la fermeture au moyen d’un rouleau de bande collante avant de le replacer dans sa pile initiale.
Ayant accompli, je fonce aux bureaux. L’un est destiné aux secrétaires, l’autre au patron, et inversement. Pourquoi ne débuterais-je pas par le second ? Tu m’approuves ? Ça ne fait rien, je vais commencer tout de même par celui-ci.
Une grande stimulance me perpètre, comme l’écrit André Gide dans son Journal (1515–1789). Le sentiment d’accéder à la gagne. Le coquetier, une fois de plus, il va être pour le bel Antonio, ma poule. En doutais-tu, jolie charogne ? N’était-ce point inscrit dans la voie lactée (au lait maigre), le marc de café et le prix du bouquin ? Foin de mon épuisement physique qui confine au dénuement : j’agis ! Donc je suis. Agir étant une preuve d’existence autrement évidente que penser, non ? Du moins, je vois les choses ainsi et j’ai l’habitude d’être toujours de mon avis, c’est ce qui fait ma force.
En conséquence de quoi, bureau directorial, please. Il est pourvu d’un coffre-fort dans lequel tu pourrais élever des girafes (l’animal qui ne peut marcher que l’amble, comme M. Canuet). M’attaquer à ce monument avec mon seul sésame, serait d’une audace stupide. Décortique-t-on un destroyer avec un ouvre-boîtes ? Conscient de cette impuissance, je me rabats sur un classeur plus modeste et moins récalcitrant, bien qu’il soit métallique tout de même. Guili-guili, fait mon mignon instrument dans la serrure. Vraoutttt ! répond la porte en s’ouvrant. Poum !!!! conclut la bombe soporifique qui se trouvait à l’intérieur et que ma manœuvre frauduleuse a déclenchée.
Floc ! doit ajouter l’Antonio en s’affalant sur la moquette chamois. J’y exécute quelques ruades. Tente d’y retrouver mon souffle, mais hélas il n’est pas là. Alors je suffoque, halète, vais aux prunes. Tu ferais quoi t’est-ce, à ma place, gros malin ? Tu sais, on en invente, des gaz, qui sont de plus en plus sophistiqués comme l’on dit à tout propos. Des ultra-rapides ! Des qui te sautent au cerveau avant que t’aies eu le temps de comprendre. Là, j’ai tout de même eu le temps d’entraver ce qui se passait, je dois m’estimer heureux.
Et même bienheureux !
A genoux devant le bienheureux San-Antonio, please ! On a, par le passé, honoré des martyrs qui, en comparaison, ne valaient pas un coup d’hydromel.
Ma pionce est de longue durée car, lorsque je rouvre mes calots, l’aube aux doigts d’or caresse les vitrages environnants.
Un doux moment, malgré le féroce mal de tronche couché en rond au creux de ma nuque, je crois rêver, et faire du rêve grand luxe ! Une fille magnifique, comme on n’en trouve même pas dans mes books, se tient debout devant moi. Oh ! la personne ! Attention les z’œils ! Crème de beauté ! Et ce gabarit ! Une Noire, ou ayant tendance à l’être soit par hérédité, soit par vocation profonde. Longue, moulée faut voir ! Bottée, je te prie de constater : des bottes en toile écrue, renforcées au talon en peau de lézard ou de zob chinois (c’est seulement au toucher qu’on comprend la différence). Pantalon de fin velours bis. Blouson de cuir fauve, tee-shirt jaune. Et les cheveux décrêpés, ou pas crêpés, j’ignore, rabattus sur un seul côté. La bouche qui te fait jaillir popaul du porte-mine ! Seigneur, comment parviens-Tu à nous bricoler des gonzesses aussi belles ? T’as vraiment plus d’un tour dans Ton sac, révéré Maître. En tout cas, merci ! Ça, c’est pas du pouvoir perdu !
La Sublime me pousse le menton du bout de sa jolie botte.
— Voilà, il est réveillé, annonce-t-elle à quelqu’un que je ne vois pas.
Je vais pour reprendre mon aplomb, car, généralement ça n’est pas ça qui me manque, mais je constate avec un rien de désolation que l’on m’a entravé bras et jambes pendant mon sommeil.
Loin de montrer quelque inquiétude, je soupire :
— Je ne me rappelle pas avoir admiré femme plus belle depuis le jour où je me suis permis de guigner l’ex-reine Juliana par le trou de serrure de sa salle de bains.
L’Hyperbelle (que j’ai un hyperbol de pouvoir contempler) me sourit.
— Vous êtes un sacré curieux, commissaire ! fait-elle d’une voix dont le ramage correspond au plumage.
— Hélas vous aviez prévu et prévenu les curiosités en équipant ce classeur d’une bombe et d’un second signal d’alarme privé, n’est-ce pas, chère féerique créature ?
Elle a un léger sourire qui permet à ses impeccables ratiches scintillantes de me filer un phare de D.C.A. dans les mirettes.
— Qui est-ce qui vous a conduit jusqu’à cette usine ? demande la Mirifique.
— Mon flair ; figurez-vous que la République française me rétrocède les impôts de quelques contribuables pour m’inciter à en avoir.