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Ils y viennent.

Y sont venus.

Au début, je passais pour un auteur mal embouché ; ils enfilaient des bottes d’égoutier pour me lire. Et puis dis, t’as vu, le Sana joli, le comment t’est-ce ils lui ont tous emboîté la plume ? Dans la pube, et même la vraie littérature capitonnée, avec injection ?

Qu’à présent, merde, faut trouver encore mieux. Le turbo littéraire, je crois. Je cherche dans mon atelier, la nuit, pendant que tout le monde dort. Sitôt que j’ai fini de baiser : poum ! au banc d’essai ! Ça vient. C’est pas encore au point pour tout de bon. Y a encore des conneries qui grippent. Des incidences qui passent mal. Vingt-six lettres, faut s’en contenter. Mais je sens la gagne, mon drôle. J’en veux, alors j’en aurai ! Quand tu veux vraiment, t’as. Après ça je crèverai, promis. M’en irai aux pissenlits, discrétos, derrière l’église de Bonne-fontaine, tout contre, près de la fausse grotte. Les hivers y sont longs comme la connerie humaine, mais j’aime bien la neige : elle tient chaud aux morts. Me souviens, quand j’étais mort, le combien elle m’adoucissait la désertance, la neige. On aime bien envisager l’après-soi-même, c’est un truc pour s’y maintenir en douce ; le vivre à l’avance, c’est l’assurance illusoire d’en faire un peu partie après.

Le plancton me salue d’un coup de paluche au kibour.

Je toque. Entrez !

Dans le vaste bureau je suis frappé par une abondance de fleurs. Et puis par des reproductions de toiles modernes sur les murs. Ces éléments joyeux combattent la morosité administrative. Le fin du fin restant le juge. Le juge Favret se prénomme Hélène. Il a presque trente-cinq piges, une poitrine dont chacun des deux éléments pourrait servir de pilon pour écraser du manioc à un maniaque, il est blonde comme les blés, avec un visage sérieux et sorceleur sous ses taches de rousseur. Le rouge à lèvres est un peu trop pâle, il faudra que je lui dise avec ménagement quand on se connaîtra mieux. Car, d’entrée de commissaire, je suis disposé à revoir ce magistrat urbi et orbi.

Je m’avance pour saisir la main tendue par-dessus le bureau.

— Ravie de vous accueillir, monsieur le commissaire. Je vous présente Georges Roupille, mon greffier.

Une ganache en partance s’empresse pour me dextrer. Un pas beau, ce qui est préférable pour servir de porte-coton à une frangine aussi fabule que le juge Favret. Il ressemble à une affiche d’avant-guerre menant campagne contre la tuberculose et il est fringué dans les gris-râpés-luisant-aux-coudes.

Le juge possède une voix qui te met un aimable pétillement sous les testicules, comme si l’on t’y plaçait un verre où se dissolvent vingt comprimés effervescents.

Il a les yeux noisette, le juge Favret, si bien que, dans mon calbute ça s’organise pour jouer au petit écureuil farceur.

— Asseyez-vous, monsieur le commissaire.

Elle dit avec quelque emphase, comme si mon grade l’impressionnait un peu. Je l’imagine, fifille ultrasérieuse, vivant encore chez ses parents, et sortant le vieux chien corniaud, le soir dans la rue, le long des poubelles.

— J’ai lu votre rapport sur l’affaire Lainfame, monsieur le commissaire, les déclarations de l’inculpé sont en tout point conformes aux termes de celui-ci, ce qui met un comble à ma perplexité. Cet homme jure ses grands dieux qu’il a tué son épouse au cours d’une crise de jalousie. Effrayé ensuite pour sa situation, il a tenté de vous corrompre pour se forger un alibi, mais lorsque vous êtes allés chez lui, c’était sa maîtresse qui — inexplicablement, selon ses dires — gisait dans la chambre. J’avoue que je donne ma langue au chat.

— Miaou ! fais-je.

C’est culotté, non ? Si Mme le juge est bégueule, elle va rebuffer vilain, en pleine déposition, lui gaudrioler le document de la sorte ! Mais elle se contente de réprimer un sourire. D’ailleurs, son père Laganache n’a pas réagi.

— Croyez-vous que Lainfame ait réellement tué sa femme, monsieur le commissaire ?

— Ecoutez, dis-je, ne pourrions-nous conclure un pacte, tous les trois ? Vous m’appelez Antoine et votre aimable greffier écrit M. le commissaire sur ses parchemins ; je ne me fais appeler M. le commissaire que par les malfrats, histoire de leur faire écouter la différence, sinon je suis un garçon d’une simplicité monacale.

Nouveau sourire réprimé.

— Je n’ai pas pour habitude d’appeler les témoins que j’auditionne par leur prénom, non plus que les hommes que je ne connais pas, fait le juge. Permettez-moi de revenir à ma question : Lainfame, selon vous, a-t-il pu tuer sa femme ?

— Pourquoi pas ? Mais dans l’affirmative, il ne l’a pas fait chez lui, car lorsque je me suis présenté à son domicile, cela ne sentait pas la poudre.

— Le service du laboratoire affirme la même chose et n’y a découvert aucune autre trace de sang que celui d’Alice Sambois.

— Je suppose que vous avez lancé un avis de recherches pour retrouver Maryse Lainfame ?

— Naturellement. Jusque-là il est négatif. Personne ne l’a aperçue dans l’immeuble le jour du meurtre.

— Puis-je vous dire quelque chose, hors antenne ? fais-je en montrant le greffier.

Le juge lève la main pour intimer à son mironton de ne pas transcrire.

— Je vous en prie.

— Je me suis dessaisi trop précipitamment de l’affaire, j’aurais dû enquêter à chaud, avant de prévenir mes supérieurs.

— Ça n’aurait pas été légal, objecte le juge Favret.

— Je suis réputé pour agir à la diable, madame le juge, et aussi pour obtenir des résultats.

— Alors pourquoi avez-vous changé vos habitudes ?

— Par probité ; parce que dans cette histoire, je me suis senti davantage témoin qu’enquêteur. Lainfame a essayé de me faire chanter, alléguant que son épouse avait eu des bontés pour moi, ce qui est vrai.

Elle acquiesce, me vote un regard complimenteur qui me touche, reprend toute sa rigidité de juge d’instruction et demande :

— Puisque vous l’avez connue, donnez-moi votre sentiment sur Mme Lainfame.

Son « puisque vous l’avez connue » est sorti sans fioritures ni intention voilée, pas la moindre ironie non plus.

— Je l’ai connue au cours de vacances à La Baule, elle partageait mon hôtel et, s’ennuyant, a partagé également mon lit, si je puis me permettre. C’était une personne agréable, belle et enjouée, pas une femme légère malgré le peu d’opposition qu’elle a faite à mes avances.

— Votre liaison a duré longtemps ?

Je me sens gêné de parler de cela avec cette ravissante juge. Son sérieux administratif n’ôte rien à ses qualités de jolie fille. Je lui trouve un je ne sais quoi d’émouvant. Je devine, au fond de son être, une espèce de vague détresse cachée. Et puis, tout à coup, j’avise une alliance à sa main gauche. Elle ne vit donc pas chez ses vieux et ne promène pas Médor en robe de chambre, le soir avant d’aller se zoner.

— Liaison est un bien grand mot, réponds-je. Je lui préfère celui, plus passe-partout, d’aventure. Une aventure de vacances, du genre de celles qui se nouent entre un homme seul et une femme seule sur un bateau, au cours d’une croisière. Après son séjour à l’Hermitage, elle partait pour les Etats-Unis avec son bonhomme. On s’est promis de se téléphoner quand elle reviendrait, et puis on s’est oubliés. Le temps est un filtre sûr. N’est solide que ce qui lui résiste.

Elle est devenue embrumée, tout soudain, la chérie. Une tristesse vient de la cueillir à froid. Elle respire un coup plus large que les autres et enchaîne :

— Je comprends mal la démarche de Michel Lainfame. Ce qu’il déclare est si peu crédible… Pourquoi prétendre qu’il a tué sa femme et feindre la stupeur en trouvant le cadavre de sa maîtresse ? C’est d’une incohérence ! Cependant, il paraît sain d’esprit, une première expertise médicale est d’ailleurs formelle sur ce point.