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Le commandant Moresby rompit le silence.

— En somme, on attend de nous une confirmation de toutes ces prévisions.

— Oui, Monsieur. Il nous faudra des observations minutieuses sur chacune des dates que nous nous sommes fixées comme objectifs, mais c’est à M. Chaney qu’incombera le plus gros du travail, car il lui faudra vérifier ou modifier ses schémas prospectifs.

— Trois objectifs ? dit Chaney, surpris ? Nous n’irons pas là-bas ensemble ? Au même objectif ?

— Non, Monsieur. Ce serait du gaspillage. Notre calendrier prévoit trois enquêtes menées par trois hommes différents à trois dates différentes, séparées d’un an au minimum pour obtenir une meilleure vue d’ensemble. Chacun de vous gagnera séparément le point de l’avenir qui lui aura été assigné.

— Les gens de là-bas vont se moquer de nos vêtements.

— Je crois qu’ils auront trop de problèmes pour vous prêter attention, à moins que vous ne vous fassiez remarquer.

— Des problèmes ? Lesquels ?

— Des problèmes personnels préoccupants. On voit que vous n’avez guère fréquenté les villes américaines ces dernières années. Vous n’avez pas remarqué que vous êtes entré dans Chicago et que vous en êtes ressorti en train blindé ?

— Je l’ai remarqué. D’ailleurs les journaux d’Israël donnaient certaines informations sur l’Amérique, je dis bien certaines. On parlait du couvre-feu. Les gens du futur ne vont pas tiquer sur nos appareils photo et nos magnétophones ?

— Nous espérons vivement que non. Tout serait compromis si les nouvelles exigences de respect de la vie privée se développaient selon la tendance actuelle jusqu’à la fin du siècle.

— Je suis pour, dit Chaney. Vive la vie privée.

— Naturellement, continua la jeune femme, nous ne pouvons pas savoir ce que prescriront les lois futures à propos de vos instruments : ni si l’usage public de caméras et d’enregistreurs sera encore autorisé. Et quelle sera l’efficacité de la police, nous n’en savons strictement rien. Vous rencontrerez peut-être des difficultés. Le commandant, ajouta-t-elle en jetant un coup d’œil à Saltus, vous donnera des notions d’action clandestine.

— Moi ? dit Saltus.

— Oui, Monsieur. Vous devrez mettre au point une technique pour remplir cette partie de votre mission sans vous trahir. Les appareils sont miniaturisés, mais il vous faudra trouver un moyen de les dissimuler tout en les utilisant efficacement.

— Katrina, vous croyez vraiment que ce sera illégal de photographier une jolie fille au coin d’une rue ?

— Nous ne connaissons pas l’avenir, commandant ; l’enquête nous dira ce qui est légal et ce qui est illégal. Mais quelle que soit la technique employée, il vous faudra photographier un certain nombre d’objets et de personnes pendant une période donnée sans être remarqué.

— Pendant combien de temps ?

— Aussi longtemps que possible ; tant que vous serez sur les lieux et que votre stock de films ne sera pas épuisé. Il vous faudra travailler en profondeur pour juger de l’exactitude des travaux prospectifs de l’Indic. L’idéal serait de rester sur le terrain plusieurs jours, d’impressionner tous les films et toutes les bandes dont vous disposerez ; d’enregistrer tout ce qui peut offrir un intérêt majeur, et puis, dans les limites du temps disponible et jusqu’à épuisement, ce qui vous paraîtra d’un moindre intérêt ; de pénétrer sur le terrain sans risques, d’atteindre tous vos objectifs et de vous replier sans précipitation au moment choisi. Mais soyons réalistes, ajouta-t-elle en ébauchant un sourire, il est rare que l’idéal se laisse atteindre. Alors vous allez sur les lieux, vous enregistrez tout ce que vous pouvez, et vous vous repliez lorsqu’il le faut. Nous viserons au maximum et devrons nous contenter du minimum.

Chaney se tourna dans son fauteuil.

— À vous entendre, nous courons des dangers.

— Ce n’est pas exclu, M. Chaney. Ce que vous allez faire n’a jamais été tenté auparavant. Nous ne pouvons vous donner aucun conseil précis sur la manière de procéder, d’agir sur le terrain ou d’assurer votre sécurité. Nous vous fournirons le meilleur équipement possible, les instructions les plus complètes dans les limites de nos connaissances actuelles, et puis nous vous enverrons là-bas, et ce sera à vous de vous débrouiller.

— Faudra-t-il rendre compte de tout ce que nous verrons, sans exception ?

— Oui, Monsieur.

— Tout ce que j’espère, c’est que Seabrooke a prévu les réactions de l’opinion publique. Je le vois mal embarqué.

— Pardon ?

— Je crains qu’il s’attire des ennuis. Une grande partie de l’opinion fera un boucan de tous les diables quand cette histoire de TDV sera connue – quand on saura ce qui nous attend dans vingt ans. Il y a de quoi épouvanter tout le monde dans le rapport de l’Indic.

Kathryn van Hise secoua la tête.

— Le public ne sera pas informé, M. Chaney. Ce projet et nos programmes futurs sont et resteront secrets ; la diffusion des bandes et des clichés sera strictement limitée, et l’on ne fera aucune publicité à vos missions. Veuillez vous rappeler l’engagement qui vous lie aux services de sécurité et la sanction pénale dont il est assorti. Gardez le silence. Le président Meeks a décidé que la divulgation de cette opération serait contraire à l’intérêt public.

— Secret, renfermé et solitaire comme une huître, dit Chaney.

Saltus ouvrait la bouche pour rire lorsque les ingénieurs lancèrent leur véhicule dans le vide. Les lumières s’assombrirent.

La bande compacte de caoutchouc leur claqua douloureusement sur le tympan ; à moins que ce fût un maillet, un marteau, enfoncé par une pression brutale dans un bloc d’air comprimé. Un bruit d’impact suivi d’un soupir comme si le marteau rebondissait au ralenti dans un fluide épais. Ce bruit faisait mal. Trois visages se tournèrent d’un même mouvement vers la pendule.

Chaney se contenta d’observer les visages plutôt que la pendule. Encore un singe, pensa-t-il, dans le véhicule, en route vers un point quelconque du temps. Peut-être l’animal portait-il une étiquette avec ces mots : Diffusion limitée ; et peut-être avait-il l’ordre de ne pas parler. Le Président avait décidé que la divulgation de son voyage était contraire à l’intérêt public.

IV

Brian Chaney se réveilla avec un sentiment de culpabilité : il était encore en retard. Le commandant ne le lui pardonnerait jamais.

Assis sur le bord de son lit, il était à l’écoute de bruits révélateurs, mais le bâtiment était silencieux. Un calme inhabituel semblait régner dans le Centre. Sa chambre, petite et sommairement meublée, se situait dans une double rangée de pièces identiques installées dans une ancienne caserne, et séparées par des cloisons minces et hâtivement construites ; le plafond ne dépassait guère sa tête que de quatre-vingts centimètres – et il était grand. À chaque extrémité de l’unique corridor, des salles plus spacieuses contenaient les douches et toilettes collectives. Tout, en ces lieux, portait l’inimitable empreinte militaire, tout comme si des troupes avaient quitté l’endroit la veille seulement de l’arrivée de Chaney.