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Au bout d’un moment, on frappa sur la cloche en plastique et Chaney se tourna péniblement ; il vit Arthur Saltus qui lui faisait signe de sortir. Il ouvrit l’écoutille et s’assit. Dans cette position plus confortable, il constata qu’il pouvait poser le menton sur le rebord de l’écoutille et regarder autour de lui.

Saltus lui faisait un large sourire.

— Alors, M’sieur, qu’est-ce que vous en dites ?

— Il y a plus de place dans un cercueil syrien, répondit Chaney. Je suis tout meurtri.

— Oui, bien sûr, civil, on est à l’étroit, c’est entendu, mais qu’est-ce que vous dites de ça ?

— De quoi ?

— Eh bien, de…

Saltus s’interrompit et regarda Chaney, bouche bée.

— Dites donc, civil, est-ce que vous vous foutez de moi ? Vous n’allez pas me dire que vous n’avez pas regardé l’horloge ! Vous faites l’idiot.

— J’ai regardé les lumières ; ça me rappelait Noël.

— Vous avez fait votre test, M’sieur. Vous avez assisté au nôtre, n’est-ce pas ? Vous avez vérifié l’heure ?

— Oui, je vous ai regardés.

— Eh bien, vous avez fait un bond dans le futur. Un saut d’une heure !

— Formidable.

— Non, minable ! Qu’est-ce que vous foutiez là-dedans ? Un roupillon ? Mais vous étiez là pour regarder l’horloge. Vous avez fait un saut d’une heure, et puis vous êtes revenu d’un coup de pied. Ce vieux grincheux d’ingénieur était fou furieux – c’était à lui de faire cette manœuvre.

— Mais je n’ai rien entendu, rien senti.

— Bien entendu. On n’entend rien là-dedans. Dehors seulement. C’est réservé aux spectateurs. Et je vous garantis que nous, nous avons entendu ! Vous savez, le fameux marteau à air comprimé. Le type ne vous a pas dit qu’on n’avait aucune sensation de mouvement ? On grimpe dans l’engin, et on redescend. Un saut d’une heure. Civil, vous me décevez, dit Saltus en faisant une grimace.

— Parfois je suis déçu de moi-même, dit Chaney. J’ai raté l’heure la plus captivante de ma vie. Car ça devait être captivant. Je regardais les lumières et j’attendais les événements.

— Les événements ne vous ont pas attendu » dit Saltus, et il descendit de l’escabeau. « Sortez de là et habillez-vous. Le beau parleur doit nous faire un amphi au labo, et puis nous faire visiter les provisions du bord. Abri antiatomique, nourriture et boisson, matériel ; nous aurons peut-être besoin de ça pour vivre quand nous arriverons là-bas aux abords de l’an 2000. Qu’arrivera-t-il si tout est rationné et que nous n’ayons pas de cartes de rationnement ?

— Nous pourrons toujours nous adresser à Katrina.

— Oui, mais Katrina sera vieille, avez-vous pensé à ça ? Elle aura dans les quarante-cinq ou cinquante ans, peut-être… je ne sais pas quel âge elle a maintenant. Une vieille femme… flûte alors !

Une telle conception de la vieillesse fit sourire Chaney.

— Vous n’aurez pas de temps pour les rendez-vous. Nous devrons faire la chasse aux Républicains.

— Ni le temps, ni l’occasion. Nous ne devons rechercher personne, une fois là-bas : ni elle, ni Seabrooke, ni nous-mêmes. Ils ont peur que nous nous trouvions face à face avec nous-mêmes ! Enfilez votre pantalon, dit Saltus avec un geste las. Encore un amphi. Je déteste ça. Je m’endors toujours.

Le cours fut fait par un tandem d’ingénieurs. Le commandant Moresby suivait attentivement. Chaney écoutait à moitié, d’une oreille, se laissant distraire par la présence de Kathryn van Hise, qui était assise d’un côté de la pièce. Arthur Saltus dormait.

Chaney regrettait une chose : que la matière des exposés n’ait pas été imprimée sur les habituels feuillets ronéotés. On aurait pu ainsi les faire circuler autour d’une table pour que chacun les étudie à loisir. C’était pour lui la manière la plus efficace d’assimiler quoi que ce soit : lire un texte et pouvoir se reporter à la phrase précédente ou au paragraphe antérieur pour y souligner un point quelconque. Il était plus difficile de revenir en arrière dans le cas d’un exposé oral : il fallait alors poser des questions au conférencier, ce qui lui faisait perdre le fil de ses explications et en rompait le débit monotone, qui assurait à Saltus un sommeil paisible. L’idéal eût été un cours écrit en araméen ou en hébreu : il l’aurait traduit, ce qui était pour lui le meilleur moyen de se concentrer sur un texte et d’en assimiler le message.

Il regarda le conférencier d’un œil et l’écouta d’une oreille.

Objectifs. On choisit une date comme objectif, on réunit les données appropriées sur cette date, les ordinateurs calculent la quantité exacte d’énergie nécessaire pour y parvenir, cette énergie alimente le générateur de tachyons en un flux colossal. La décharge ainsi provoquée sur le déflecteur fournit l’impulsion voulue en déplaçant des strates temporelles à l’avant du véhicule sur une trajectoire temporelle déterminée ; les strates déplacées créent un vide ou le véhicule se trouve aspiré vers son objectif, toujours sous le contrôle du gyroscope à protons de mercure.

Chaney pensa : mouvement perpétuel. L’ingénieur poursuivit :

— Si l’objectif est l’an 2000, la marge d’erreur ne peut être que de 88 minutes – quatre minutes par an, il faut prévoir cette marge. Autre donnée chronométrique qu’il est capital de garder présente à l’esprit sur le terrain : cinquante heures. Vous pouvez passer jusqu’à cinquante heures sur les lieux, quelle que soit la date choisie, mais pas davantage ; c’est impératif. Il est certain, Messieurs, que c’est la sécurité du chronaute qui doit primer jusqu’à un certain point. Jusqu’à un certain point, répéta le conférencier en fixant Saltus. Passée cette limite, c’est la récupération du véhicule qui l’emporte.

— Je vous ai compris, dit Chaney. Nous pouvons être sacrifiés, mais pas le rafiot.

— Je ne saurais accepter cette formule, M. Chaney. Je dirais plutôt qu’à l’expiration des cinquante heures le véhicule sera rappelé pour permettre à un second chronaute, si on le juge utile, d’aller récupérer son prédécesseur.

— S’il le trouve. Si ! ajouta Chaney.

Sèchement : – Vous ne devez pas rester sur l’objectif au-delà de la limite arbitraire de cinquante heures. Nous n’avons qu’un véhicule ; nous ne voulons pas le perdre.

— C’est largement suffisant, dit le commandant Moresby. Après tout, on peut faire le travail en deux fois moins de temps.

Une fois sa mission accomplie, chacun des chronautes retournera au laboratoire soixante et une secondes après le lancement initial, qu’il soit resté sur l’objectif une heure ou cinquante heures. Le temps passé sur les lieux n’a aucune incidence sur le moment du retour. C’est uniquement sur le terrain que l’on est affecté par le temps écoulé ; on vieillit de quelques heures selon un processus naturel, irréversible bien entendu.

Tout ce qu’il faut pour vivre, avec un peu de superflu en plus du nécessaire est stocké dans l’abri : nourriture, médicaments, vêtements chauds, armes, argent liquide, appareils de photo-ciné, magnétophones, radios à ondes courtes, outils. Si, dans un proche avenir, on met au point des batteries d’accumulateurs d’une durée de dix ou vingt ans, elles figureront dans le matériel. Les radios sont des émetteurs-récepteurs utilisant à la fois les bandes civiles et militaires. Ils seront alimentés par le courant disponible dans l’abri ou par batteries. L’abri est équipé de câbles permettant de brancher les radios sur une antenne extérieure, mais à l’extérieur, sur l’objectif, des mini-antennes incorporées donneront à ces appareils une portée approximative de quatre-vingts kilomètres. L’abri contient des lampes et des poêles à essence ; un réservoir de carburant est installé dans un mur extérieur.