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En sortant du véhicule chaque chronaute devra fermer l’écoutille et noter soigneusement l’heure et la date. Il devra comparer l’heure donnée par l’horloge avec celle de sa montre pour régler cette dernière et pour déterminer l’avance ou le retard du véhicule. Avant de quitter le sous-sol pour exécuter sa mission, il devra s’équiper et s’approvisionner, et noter, éventuellement, tout indice d’une récente utilisation de l’abri. Il lui sera interdit d’ouvrir aucune autre porte ou d’entrer dans aucune autre pièce du bâtiment ; en particulier, défense de pénétrer dans le laboratoire où les ingénieurs prépareront sa rétrogression, et défense d’entrer dans la salle de conférences, où pourrait se trouver une personne attendant une arrivée ou un départ.

Il devra suivre le couloir du sous-sol vers l’arrière du bâtiment, monter quelques marches et ouvrir la porte de sortie. Il recevra les instructions nécessaires pour trouver les deux clefs des serrures jumelles de cette issue, qui ne sera empruntée que par les trois chronautes.

— Pourquoi ? demanda Chaney.

— Cette porte a été désignée « porte des opérations ». Elle est interdite à tout autre membre du personnel : Accès interdit sauf aux chronautes.

Au-dehors, un parking. Des voitures s’y trouveront en permanence pour leur usage exclusif ; elles seront alimentées en essence et prêtes à fonctionner à n’importe quelle date choisie comme objectif. Une mise en garde : ne pas conduire un modèle nouveau avant de s’être familiarisé avec ses commandes et son fonctionnement. Chacun des trois hommes sera muni des papiers nécessaires, convenablement datés, pour franchir la grille du Centre, et d’une somme d’argent suffisante pour subvenir à ses besoins.

Saltus était réveillé. Il donna un coup de coude à Chaney :

— Vous pourrez aller en Floride par avion, nager un peu et revenir ici, le tout en moins de cinquante heures. Une occasion à saisir, civil.

— En cinquante heures, je pourrai aller à Chicago à pied, riposta Chaney.

Mission des chronautes : observer, filmer, enregistrer, vérifier ; réunir le maximum d’éléments d’information sur chacune des dates choisies. Chacun devra s’efforcer de renseigner utilement son successeur par des observations dont un enregistrement permanent sera conservé dans l’abri. À part cela il faudra ramener tous les films et toutes les bandes impressionnés, mais les appareils seront remisés dans l’abri à l’intention du prochain utilisateur. Un certain nombre de petits disques de métal pesant chacun trente grammes seront placés dans le véhicule avant le lancement pour faire office de lest – la quantité de ces disques à jeter par-dessus bord au retour correspondra au poids des films et des cassettes.

— Avez-vous des questions à poser ? demanda l’ingénieur.

Arthur Saltus le fixa avec des yeux somnolents.

— Pas pour l’instant, merci, dit le commandant Moresby.

Chaney secoua la tête.

Kathryn van Hise intervint.

— M. Chaney, vous devez subir un nouvel examen médical dans une demi-heure. Lorsque vous en aurez terminé, veuillez vous rendre au champ de tir ; il est grand temps de vous entraîner au maniement des armes à feu.

— Je ne vais pas terroriser Chicago en lâchant partout des coups de feu – ils en sont saturés, ces malheureux.

— Il s’agit d’assurer votre propre protection, Monsieur.

Chaney ouvrit la bouche pour continuer à protester, mais un bruit lui cloua le bec. C’était comme si une bande compacte de caoutchouc lui claquait sur le tympan, ou comme un marteau ou un maillet écrasant un bloc d’air comprimé. Un bruit d’impact suivi d’un soupir de regret : le marteau rebondissant au ralenti dans un fluide huileux. Ce bruit faisait mal.

Chaney se tourna vers les ingénieurs, une question aux lèvres.

Ils se regardaient, abasourdis. D’un seul élan ils sortirent de la salle en courant.

— Et maintenant, dit Saltus, qu’est-ce qui arrive encore ?

— Un resquilleur est monté dans l’engin pour faire une petite balade. Je leur conseillerais de compter les singes ; il pourrait bien en manquer un.

— Il n’y avait pas de test au programme, dit Katrina.

— L’engin peut-il partir tout seul ?

— Non, Monsieur. Ce véhicule ne peut être mû que par la main de l’homme.

Chaney eut un soupçon et regarda sa montre. Le soupçon s’épanouit en certitude, et il ne put, malgré ses efforts, réprimer un petit rire nerveux.

— C’était moi, à la fin de mon essai. J’ai appuyé accidentellement sur la barre-catapulte, il y a de cela une heure.

— Mon essai n’a pas fait un pareil boucan ; celui de William non plus, objecta Saltus.

Chaney désigna sa montre.

— Vous m’avez dit que j’avais fait un saut d’une heure. Donc un saut jusqu’à maintenant. Vous autres, comment êtes-vous revenus ? D’un coup de barre-catapulte ?

— Non… nous avons attendu que les ingénieurs nous rappellent.

— Mais moi, j’ai donné un coup de pied sur la barre, et ce coup de pied… il date d’une minute.

Chaney regarda la porte par laquelle les deux hommes étaient sortis.

— Si l’ordinateur a enregistré une perte d’énergie, j’en suis responsable. J’espère qu’ils ne vont pas retenir ça sur ma paie.

Ils étaient dehors, dans la bonne chaleur d’un après-midi d’été ensoleillé. Le ciel de l’Illinois était chargé de nuages sombres à l’horizon, vers l’ouest, prélude d’un orage nocturne.

Arthur Saltus regarda les nuages et fit part de ses doutes à Chaney.

— Ces ingénieurs, je me demande s’ils ne divaguent pas. À votre avis, savent-ils vraiment de quoi ils parlent ? Ces poussées d’énergie, ces trajectoires temporelles, ce liquide qui n’est pas liquide ?…

Chaney haussa les épaules.

— Un cheveu, peut-être, sépare le faux du vrai. Ils ont l’avantage sur nous.

Saltus lui lança un œil critique.

— Vous citez encore un bouquin. Et par-dessus le marché je vous soupçonne de l’estropier.

— J’ai changé un ou deux mots, reconnut Chaney. Vous vous rappelez la suite ? Les trois autres vers de la strophe.

— Non.

Chaney les récita, et Saltus approuva.

— Bien, Commandant. Cet engin, au sous-sol, c’est notre Alif ; le TDV est un Alif. Avec ça, nous pouvons rechercher la maison au trésor.

— Peut-être.

— Pas de peut-être : certainement. Nous pourrons faire l’inventaire de tous les trésors de l’histoire. Les archéologues et les historiens seront fous de joie.

Chaney suivit le regard de Saltus vers l’ouest, d’où semblait venir un sourd grondement de tonnerre.

— Si ce projet n’était pas conçu par des politiciens, on trouverait mieux que Chicago à explorer. La Smithsonian ferait un meilleur usage du véhicule.

— Ah ! Je vois votre idée, civil. Vous aimeriez aller dans le passé, et non dans l’avenir. Vous carapater jusqu’en l’an zéro ou quelque chose comme ça, et regarder les vieux scribes barbouiller leurs parchemins. C’est votre marotte, c’est tout ce qui vous intéresse.

— C’est faux, dit Chaney. Et il n’y a jamais eu d’année zéro. Mais vous avez raison sur un point : je ne choisirais pas l’avenir, alors que tous les trésors de l’histoire nous attendent, prêts à être découverts, explorés, catalogués. Non, je n’irais pas dans le futur.

— Alors, où iriez-vous, M’sieur ? Où donc dans le passé ?

— Eridou, Larsa, Nippour, Kish, Koufa, Ninive, Ourouk…

— Mais ce ne sont que de vieilles… de vieilles villes, non ?