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— Quoi encore ?

— J’ai lu votre bouquin hier soir.

— Faut-il que je coure me mettre à l’abri, ou que je bombe le torse pour me faire médailler ?

— Non, non, pas ce livre-là. Ces vieux textes ne m’intéressent pas. Je parle de l’autre livre, celui que vous m’avez prêté, sur les tribus du désert – le vieil Abraham et tout ça. Bon sang de bon Dieu, quelles belles photos il a faites, ce type-là. Vous vous rappelez celle du puits ou de la citerne, appelez ça comme vous voudrez ? Vous savez, au pied de cette forteresse nabatéenne.

— Je m’en souviens. Du beau travail, et qui a servi plus d’une fois à la forteresse assiégée.

— Pour sûr. Le type a fait cette photo à la lumière naturelle. Sans flash. Sans réflecteurs. Rien. La lumière naturelle, et c’est tout ; on voit le détail de la maçonnerie et le niveau de l’eau. Et ç’a été fait sur film – pas sur nylon.

— Vous pouvez voir la différence ?

— Naturellement ! Moi, oui. Mais je vous garantis que c’est de la belle photo. Ce type est fort.

— Merci. Je lui transmettrai le compliment quand je le verrai.

— Je lirai peut-être votre livre un de ces jours. Rien que pour savoir pourquoi on vous prend à partie.

— Il n’a pas de photos.

— Oh, je comprends tous les mots faciles.

Il étendit les jambes et fixa le dessous du parasol criard. Une araignée commençait à tisser sa toile entre les tiges métalliques.

— C’est mort ici ce matin.

— Que faire ? Une partie passionnante avec le commandant ? Une nouvelle séance de tir ? À part ça, je ne vois pas…

— Mal à l’épaule ? dit Saltus en riant. Ça passera. Dites donc, si je pouvais mettre la main sur Katrina, je la jetterais dans la piscine et ensuite j’y plongerais pour la retrouver – voilà ce qui s’appelle agir !

Chaney jugea plus sage de ne pas répondre. Son regard se fixa de nouveau sur les eaux ensoleillées de la piscine qui, débarrassées de sa présence, retrouvaient lentement leur sérénité. Il se rappelait comment Saltus avait folâtré dans ce bassin avec Katrina, souvenir rien moins que plaisant. Il ne s’était pas mêlé à leurs ébats parce que, pour la première fois de sa vie, il se sentait mal dans sa peau, parce que la jeune femme semblait préférer à sa compagnie celle de son cadet. Aveu bien mortifiant.

Chaney vit entrer un homme en coup de vent.

— Le commandant nous a dénichés, dit-il.

Le commandant Moresby se hâtait vers la piscine. Il les cherchait. Lorsqu’il les eut trouvés sous le parasol, il vira brusquement. Il respirait péniblement, surexcité, le visage cramoisi.

— Debout ! dit-il à Saltus d’un ton cassant.

Puis se tournant vers Chaney :

— Habillez-vous, c’est urgent. On nous attend à la salle de conférences immédiatement. J’ai une voiture pour vous.

— Hé là, qu’est-ce qui se passe ? demanda Saltus, bondissant de son fauteuil.

— Nous partons. La grande décision est prise. Bon sang, remuez-vous, Chaney !

— Essais sur le terrain ? dit Saltus. Ce matin ? Maintenant ?

— Ce matin, maintenant. Gilbert Seabrooke vient de l’annoncer. On m’a fait sauter du lit. On va là-bas. Pas trop tôt !

Il se tourna de nouveau vers Chaney.

— Allez-vous extraire votre derrière de ce fauteuil, vous le civil ? Maniez-vous ! Je vous attends, tout le monde attend, le véhicule est prêt à démarrer.

Chaney sauta de son fauteuil. Son cœur battait la chamade.

Moresby : – Katrina dit qu’il faut y aller en voiture. Il est interdit de perdre son temps à faire le chemin à pied. C’est un ordre.

Les réflexes de Chaney étaient plus lents, mais il courait maintenant vers les cabines pour se rhabiller, accompagné des deux militaires.

— Je ne vais pas au labo à pied, dit-il.

— Où allons-nous ? demanda Saltus, le souffle coupé. Je veux dire quand ? À Joliet, mais à quelle date ? Le savez-vous ?

— Oui, je le sais par Katrina. Ça ne va pas te plaire, Art.

Arthus Saltus s’arrêta pile à la sortie de la piscine, et Chaney se cogna sur lui.

— Pourquoi est-ce que ça ne me plaira pas ?

— Parce que c’est un truc politique. Oui, finalement, c’est une foutue histoire politique. Katrina dit que la décision est venue ce matin de bonne heure, droit de la Maison-Blanche – du Président en personne.

Lentement : – Pourquoi est-ce que ça ne me plaira pas ?

Moresby laissa tomber sa réponse dédaigneusement :

— Nous allons à deux ans d’ici. Objectif : le 6 novembre 1980, un jeudi. Le Président veut savoir s’il sera réélu.

Arthur Saltus, cloué par l’étonnement, restait bouche bée. Au bout d’un moment d’incrédulité, il se tourna vers Chaney.

— Rappelez-moi ce mot, M’sieur. Ce mot araméen.

Brian Chaney s’exécuta.

Brian Chaney

Joliet, Illinois

6 novembre 1980

Si nous ouvrons une querelle entre le passé et le présent, nous nous apercevrons que nous avons perdu le futur.

Winston Churchill

IX

Chaney n’avait aucun pressentiment inquiétant.

La lumière rouge clignotante s’éteignit. Il leva la main pour libérer l’écoutille et l’ouvrit d’un geste vif. La lumière verte disparut. Chaney saisit les deux barres d’appui et fit une traction pour se mettre sur son séant, sa tête et ses épaules dépassant de l’ouverture. Il était seul, comme prévu. Il se hissa hors du véhicule et se laissa glisser sur la paroi glaciale ; ses pieds se posèrent sur l’escabeau. Chaney se dressa pour refermer l’écoutille d’un coup sec, puis jeta un regard sur les caméras de télévision. Il espérait que les ingénieurs de l’avenir qui utilisaient ces caméras de contrôle approuvaient son observance du rituel.

Chaney consulta sa montre : 10 h 03. C’était prévu. Il avait été catapulté moins d’une minute auparavant, après ses deux coéquipiers. Il chercha des yeux le calendrier et l’horloge fixés sur le mur pour y lire la date et l’heure : 6 nov 80 – 7 h 55. Un thermomètre, nouveau raffinement, indiquait la température extérieure : +1°

Chaney hésita. Que faire maintenant ? L’horloge ne donnait pas la bonne heure ; elle aurait dû marquer dix heures, avec une marge de huit minutes, il se promit de dire aux ingénieurs ce qu’il pensait de leur système de guidage.

Le premier départ pour cet essai sur le terrain avait été lancé à neuf heures et quelques minutes : celui du commandant Moresby, fort de son droit de priorité. Trente minutes plus tard Arthur Saltus avait suivi le commandant, et au bout d’une demi-heure Chaney était monté à son tour dans le rafiot pour être catapulté vers l’avenir. L’arrivée sur l’objectif devait théoriquement coïncider avec l’heure du départ, avec une marge d’erreur de huit minutes. Chaney comptait faire surface vers dix heures et être accueilli par ses compagnons. Ils devaient, suivant le programme, se réunir dans l’abri antiatomique, s’équiper et se rendre à la ville qui constituait leur objectif, dans des voitures séparées, afin de prospecter une zone plus étendue.

Katrina avait donné à chacun d’eux des instructions explicites, puis leur avait souhaité bonne chance.

Saltus lui avait dit :

— Vous n’allez pas nous accompagner jusqu’au véhicule pour nous dire adieu ?

— Je vous attendrai dans la salle de conférences, Monsieur.

L’aiguille de la pendule sauta à 7 h 56.