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— Dans ce cas, dit Saltus avec une suprême désinvolture, nous vous céderions, William et moi, nos droits d’ancienneté. C’est vous qui feriez le premier voyage pour enquêter sur leurs doléances, pour voir ce qui cloche. Il faut bien, de temps en temps, accorder un privilège aux contribuables.

— Une fois de plus, je vous prie de m’écouter, dit Kathryn van Hise.

— D’accord, Katrina, dit Saltus tranquillement.

Mais je trouve que vous devriez apprendre à ce civil ce qui l’attend.

Moresby comprit ce qu’il voulait dire et se mit à rire.

— Qu’est-ce qui m’attend ? dit Chaney avec méfiance.

— Vous partirez tout nu, dit Saltus en relevant sa chemise pour se frapper la poitrine. Oui, tout nu. Comme nous, d’ailleurs.

Chaney le regarda avec des yeux ronds, se demandant où était l’astuce. Il comprit, un peu tard, qu’il n’y avait pas d’astuce. Il se tourna vers la jeune femme et, de nouveau, vit le rouge lui monter au visage.

— C’est une question de poids, dit-elle. L’engin doit se propulser jusque dans l’avenir, et c’est une opération qui exige une quantité formidable d’énergie électrique. Les ingénieurs nous ont informé que le poids total est un élément décisif et que seul le corps du passager doit être lancé dans le temps et ramené au présent. Ils insistent sur cette nécessité de réduire le poids au minimum.

— Tout nu ? Jusque là-bas ?

— Nu comme un ver, monsieur le pékin, dit Saltus. Pour réduire le poids de dix, quinze ou vingt livres. Ils y tiennent. Vous ne voudriez pas contrarier ces ingénieurs, tout de même ? Alors que votre vie sera entre leurs mains ? Ils sont susceptibles, ces gars-là, vous savez… il faut leur passer tous leurs caprices.

Chaney luttait pour conserver son sens de l’humour.

Encore une fois la jeune femme allait répondre, mais Saltus lui coupa la parole.

— Oh, Katrina a pensé à tout. Votre bon vieux rapport de l’Indic dit que dans l’avenir les gens seront moins habillés, alors elle va nous fournir les papiers nécessaires. Nous irons là-bas comme nudistes patentés.

III

— J’aimerais tout de même comprendre ce qui se passe ici, dit Brian Chaney. Il y avait dans sa voix une nuance de récrimination.

— Je m’évertue à vous l’expliquer depuis une heure. M. Chaney.

— Recommencez, vous seriez gentille.

Kathryn van Hise l’observa attentivement. Elle reprit :

— Je vous ai dit sur la plage que les ingénieurs de Westinghouse ont mis au point un TDV. Il a été construit ici, dans ce bâtiment, aux termes d’un contrat qui fait au Bureau des Poids et mesures une obligation de conduire les recherches dans le plus grand secret – bien entendu. Les fonds nous sont alloués directement par l’entremise d’un sous-comité du Congrès, qui exerce sur ce projet une étroite surveillance. La Maison-Blanche est tenue pleinement informée des opérations, et nous sommes responsables devant elle. C’est du Président que dépendra le choix final des objectifs.

— Du Président ? Allons donc, c’est un comité qui décidera pour lui.

Le visage de Miss van Hise exprima une désapprobation très marquée. Il comprit qu’il avait touché un point sensible, et que si elle était dévouée à cet homme, c’était autant par conviction politique que parce qu’elle travaillait présentement à son service.

— Le président ne cesse d’être informé de la poursuite quotidienne de nos travaux. Tout comme son prédécesseur. » La jeune femme paraissait belliqueuse. « Le président sortant, continua-t-elle, a créé le projet par décret il y a trois ans, et si nous poursuivons l’opération, ce ne peut être qu’avec le consentement et l’approbation du nouveau président. Je suis bien persuadée que vous n’êtes pas un innocent en matière politique.

— Nullement, répondit-il sur un ton lugubre. Le rapport de l’Indic n’avait pas prévu l’élection d’un homme faible à la présidence. Ce rapport a été rédigé lorsque le pays était gouverné par un homme fort, et à son intention. Et ses prévisions étaient fondées sur l’hypothèse que ce chef d’État bouclerait deux mandats présidentiels. Ce fut là notre erreur ; nous n’avions pas prévu sa mort. Mais le nouveau président, il faut lui tirer l’argent sou par sou, jour après jour. Il manque d’initiative, d’audace.

Regardant le commandant à la dérobée, Chaney vit qu’il était d’accord avec lui sur un point. Il opinait du bonnet machinalement.

Kathryn van Hise s’éclaircit la voix.

— Continuons. Un laboratoire de recherches expérimentales est logé dans une autre partie du bâtiment, en dessous de nous, et depuis un certain temps on y procède à des essais sur le véhicule. Lorsque ces essais ont atteint un point où l’on pouvait envisager le succès de l’opération, l’équipe chargée de l’enquête sur le terrain a été recrutée. Le commandant Moresby, le lieutenant de vaisseau Saltus et vous-même avez été désignés comme premier choix, chacun dans votre spécialité. Vous êtes les seuls à avoir été contactés et, jusqu’ici, il n’y a pas d’équipe de rechange.

— Ça ne leur ressemble pas, dit Chaney. Dans l’armée on achète tout par paire – au cas où.

— Justement, il ne s’agit pas d’une opération militaire, et les chefs hiérarchiques du commandant Moresby et du lieutenant de vaisseau Saltus n’ont pas été informés des raisons pour lesquelles ils ont été affectés à ce centre. Mais je suppose qu’une équipe de rechange sera recrutée en temps voulu, et que peut-être le Pentagone sera mis au courant de nos opérations.

Elle croisa les mains, retrouvant son assurance.

— Les ingénieurs vous décriront le fonctionnement du véhicule ; je ne suis pas assez bien informée pour en donner une explication claire. Tout ce que je sais, c’est qu’il se crée un vide intense lorsque le véhicule se met en marche ; le bruit que vous avez entendu est le résultat d’une implosion d’air dans ce vide.

— On fait des tests de soixante et une secondes ?

— Non, Monsieur. Il n’y a pas de limite à la durée des tests ; le plus long, jusqu’ici, a sondé un passé vieux de douze mois, et le plus court a effectué une rétrogression de vingt-quatre heures. Les soixante et une secondes représentent une marge de sécurité nécessaire pour le passager ; celui-ci ne revient pas au moment exact de son départ, mais soixante et une secondes plus tard, quel que soit le temps écoulé sur le terrain.

Mais elle semblait gênée. Brian était certain qu’elle n’avait pas tout dit.

— Pour le moment, le laboratoire utilise des singes et des souris pour ses essais. Une fois terminée cette phase de l’opération, chacun de vous fera l’essai du véhicule pour se familiariser avec lui. L’un après l’autre, évidemment, en raison de son exiguïté. Les ingénieurs vous expliqueront comment la masse et le volume sont propulsés par la création d’un vide.

— Compris, dit Chaney. Quand je reviendrai d’une exploration, ça ne me dirait rien d’atterrir en plein sur mon propre crâne. Mais pourquoi soixante et une secondes ?

— C’est un peu par accident qu’on en a décidé ainsi. Les ingénieurs voulaient un minimum de soixante secondes. Et deux fois de suite, l’engin est revenu au bout de soixante et une secondes. Alors, si vous voulez, on a fixé à cette valeur la durée de la marge.

— Tous les essais ont été réussis ?

— Oui, Monsieur, dit-elle après un moment d’hésitation.

— Vous n’avez pas perdu de singe ? Pas un seul ?

— Non, Monsieur.

Mais la méfiance de Chaney n’était pas apaisée.

— Qu’arriverait-il si les essais n’étaient pas réussis ? Si l’un d’entre eux venait à échouer, au stade actuel ?