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— En ce cas, le projet serait annulé et chacun d’entre vous retrouverait son ancienne affectation. En ce qui vous concerne vous seriez libre de retourner à l’Indiana, à votre gré.

— Jamais de la vie ! déclara Saltus. Retrouver ce rafiot dans la mer de Chine – la saumure et le mazout !

— Retrouver la plage de Floride, lui dit Chaney, et les belles demoiselles délicieusement dévoilées.

— Tu es un goujat, toi le civil. Tu as arraché ce voile…

— Les demoiselles rendent ce geste inutile.

— Messieurs, s’il vous plaît.

Mais Saltus était lancé.

— Et pensez à notre pauvre Katrina, qui se retrouverait dans la bureaucratie. Le Congrès nous couperait les vivres : finie la plaisanterie. Vous les connaissez.

— Durs à la détente sauf s’il s’agit de leurs rivières et de leurs ports favoris. Nous irons donc jusqu’au bout pour les beaux yeux de Katrina – nus et frissonnants jusqu’aux confins de l’an 2000. Que pensera de nous la nouvelle génération ?

— S’il vous plaît !

Chaney ne savait plus que penser. Il croisa les bras et regarda la jeune femme.

— Je persiste à croire qu’il y a là quelque chose qui cloche, dit-il. Je n’ai aucune aptitude militaire et c’est à peine si j’arrive à distinguer un écrou d’un boulon ; alors vous avez beau dire, je ne vois pas ce que je viens faire dans votre enquête ; mais je serai pour vous un conscrit assez docile si vous me promettez de ne plus me donner de chocs. Avez-vous encore une surprise en réserve ?

Chaney vit les yeux bruns de la jeune femme se fixer sur les siens avec une vague expression de colère. Pour tenter de l’effacer, il lui fit un large sourire. Miss van Hise baissa les yeux brusquement, et fit glisser sur la table, vers chacun des trois hommes, les volumineuses enveloppes.

— Maintenant ? demanda Saltus.

— Vous pouvez les ouvrir tout de suite. Vous y trouverez les renseignements relatifs à la zone de notre objectif numéro un, et toutes les données nécessaires pour y pénétrer.

Brian Chaney ouvrit son enveloppe et en sortit une liasse de papiers miméographiés et plusieurs cartes pliées. Puis il lut ce qui était inscrit à la machine sur l’enveloppe : un nom codé sous l’inévitable tampon Top Secret. Il le lut une seconde fois, et leva les yeux.

— Le projet Donaghadee ?

— Oui, Monsieur. M. Donaghadee est le directeur du Bureau des Poids et mesures.

— Bien entendu. Le monument, c’est l’homme.

Chaney déplia la première carte du paquet et l’orienta de façon à mettre le nord en haut. Le premier nom de ville qui attira son regard fut Joliet. C’était une carte du centre nord des États-Unis, et Chicago en occupait exactement le milieu ; tout autour on y voyait de gros tronçons des États limitrophes : Illinois, Indiana, Michigan, Wisconsin et la pointe de l’Iowa. Le centre de recherches d’Elwood était représenté par un signe rouge juste au sud. Il vit que c’était une carte de l’armée et remarqua le tampon Top Secret. Le signe rouge mis à part, la carte ne différait en rien de celles qu’on pouvait trouver dans les postes d’essence.

Sur la seconde, d’un grand format, ne figurait que l’Illinois, et son échelle supérieure permettait de voir que le centre d’Elwood était à une douzaine de kilomètres de Joliet, longé par une voie ancienne dénommée : itinéraire de remplacement 66. La troisième carte n’était pas moins grande : un plan détaillé du comté de Will, avec Joliet presque au centre. Et là Elwood était un important espace rouge d’environ huit kilomètres carrés, avec plusieurs bâtiments et maisons individuelles identifiés par un code numérique. Le Centre avait deux routes privées pour les besoins du service ; elles donnaient sur la grand-route. La ligne du Chicago & Mobile Southern Railroad passait à portée de voix du terrain militaire, avec un embranchement qui pénétrait dans son enceinte.

Le commandant leva les yeux après avoir examiné les cartes.

— Katrina, les enquêtes sur les lieux se feront ici, dans le centre d’Elwood ?

— En partie seulement, Commandant. Si Elwood vous paraît normal quand vous ferez surface, vous vous rendrez à Joliet ; vous aurez un moyen de transport à votre disposition. Pensez toujours à votre sécurité.

Moresby semblait déçu.

— Joliet ?

— Le champ de nos essais sera limité à cette ville. Monsieur. Il ne faut pas sous-estimer les risques. Mais l’enquête proprement dite sera conduite à Chicago et dans ses faubourgs si les essais ont été concluants. Veuillez étudier les cartes et vous mettre en mémoire au moins deux itinéraires de dégagement. Vous pourrez être contraints d’aller à pied en cas de panne de voiture.

Saltus : – Aller à pied lorsqu’il y aura des voitures partout ?

— N’essayez surtout pas de voler une voiture, dit la jeune femme en se rembrunissant. Il pourrait se révéler difficile, sinon impossible, de vous faire sortir de prison. Ce ne serait pas une chose à faire.

— Nu et abandonné dans une geôle de Joliet, marmonna Chaney. Je crois qu’il y a une prison d’État dans ce patelin.

— Je trouve que cette petite plaisanterie a assez duré, dit Miss van Hise en fixant sur lui son regard. Sur le terrain vous serez habillé, bien entendu, qu’il s’agisse du test ou de l’enquête, mais vous devrez toujours vous dévêtir avant de réintégrer le véhicule. Vous trouverez tout le nécessaire en fait de vêtements, d’outils et d’instruments à chaque point d’arrivée. Et le laboratoire sera toujours en service, cela va sans dire, il y aura toujours des ingénieurs pour attendre votre arrivée et faciliter votre passage.

— Très joli, dit Chaney, mais ces vêtements, ces ingénieurs, comment ferez-vous pour nous les procurer ? Par quel miracle seront-ils là-bas, prêts à nous accueillir ?

— C’est déjà réglé, Monsieur. Il existe en dessous de nous, à côté du laboratoire, un abri antiatomique et une réserve où se trouve stocké tout ce qui pourrait vous être nécessaire en n’importe quelle saison, armes et provisions comprises. Notre programme exige que le laboratoire et le véhicule soient constamment en service pour un temps indéterminé – un siècle ou plus, si nécessaire. Les heures d’arrivée, bien évidemment, seront connues des ingénieurs futurs. Tout est prévu.

— À moins qu’ils ne soient en grève.

— Plaît-il ?

— Votre planification à long terme est sujette aux mêmes incertitudes que mes études de prospective. Un hasard malheureux, un événement inattendu peuvent tout remettre en question. Le rapport de l’Indic n’avait pas prévu le remplacement d’un gouvernement fort par un faible, et si l’on me présentait ce rapport aujourd’hui je ne voudrais plus le signer ; les facteurs variables nuisent à la crédibilité de l’ensemble. Tout ce qu’on peut espérer, c’est que les ingénieurs seront encore au travail demain et n’auront pas changé d’heure légale.

— M. Chaney, la planification à long terme du Bureau, c’est quelque chose de sérieux. Elle a des bases solides – et elle a été conçue pour durer. Je vous rappelle que le premier objectif se situe seulement à vingt-deux ans de distance.

— J’ai l’impression que j’en sortirai vieilli de mille ans.

— Je suis sûre que vous donnerez toute satisfaction, Monsieur. Notre équipe est remarquable par l’efficacité à toute épreuve de chacun de ses membres.

— Excellente façon de me remettre à ma place, Miss van Hise.

— Parlez-nous du stock de matériel, coupa Moresby.

— Oui, Monsieur. L’abri contient l’indispensable : caméras, magnétophones, radios, armes, détecteurs d’armes, radar portatif, etc. Et aussi de l’argent, des pierres précieuses et des médicaments. Nous avons prévu le remplacement échelonné d’une partie du matériel pour le renouveler et le moderniser : films, cassettes, munitions, vêtements.