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FIFTH CHAPITRE

Chassez la conscience professionnelle d’un zig comme moi et elle radine au triple galop, mes amis. Lorsqu’un bon chien de chasse est chargé de dépister un lièvre, s’il rencontre un perdreau sur sa route, il le lèvera parce que c’est plus fort que lui.

San-A., il lui advient un truc gonflant : on lui ordonne de s’assurer seulement de la nationalité du type que devait rencontrer le ministre des Affaires étrangères malotrusien : et il tombe sur un gus pas ordinaire, qui roule Bentley et dont les potes possèdent un yacht sur le Léman. Le bonhomme en question fournit je ne sais quoi de rarissime (donc de coûteux) à la reine Kelbobaba. La camelote en question ne doit pas être très catholique puisque le ministre de la souveraine s’affublait d’un pseudonyme pour entreprendre ce voyage. Alors comment réagit-il, San-A ? Comme un épagneul, mes frères, ou un setter, ou un griffon. Il prend le pied de l’animal, dare-dare. Il veut découvrir le pourquoi du comment du truc. Pourquoi ? Parce que tout ce qui est louche le met en transes, et aussi parce qu’il se dit, ce rusé garçon (c’est toujours de moi que je cause) que si on découvre un pastaba pas réglo dans lequel la reine Kelbobaba aurait trempé, le gouvernement français aura barre sur elle pour lui forcer la paluche au cas où elle hésiterait à signer.

Le chauve William me dépose devant l’entrée de l’hôtel, répond à mes remerciements d’un branlement de tête et repart pour le lac aussitôt.

Je file un coup de périscope sur ma montre. Nous avons mis quatorze minutes pour aller du môle à l’Intermondial. Donc, je dispose au moins de vingt-huit minutes pour agir. C’est largement suffisant.

Il y a un nouveau préposé à la réception.

Je fonce sur lui, l’air très affairé.

— Sir Harry Dezange, dis-je d’une voix haletante, c’est bien le 528, n’est-ce pas ?

Dans la foulée il regarde promptement son livre des entrées.

— Pas du tout, c’est le 842 !

— Alors je me trompe, déclaré-je en tournant bride avant qu’il n’ait eu la présence d’esprit de me poser la moindre question.

Je prends ma clé à la conciergerie et je grimpe dans mes propres appartements. Je ne sais pas quel pressentiment m’a poussé à me munir de tout un tas de petits gadgets du style James Bond, moi qui, habituellement, travaille sans filoche. Je déballe de mon sac de voyage une petite boîte carrée à peine plus grande qu’une grosse boîte d’allumettes. Il s’agît d’un petit appareil enregistreur qui ne fonctionne que lorsqu’on parle dans un rayon de moins de trois mètres. Il est aimanté et se plaque sur n’importe quelle surface métallique.

Nanti de ce précieux collaborateur, je mets le cap sur le 842, l’ouvre sans difficulté aucune, grâce à mou proverbial sésame, et pénètre dans la chambre de sir Dezange. Elle ressemble à la mienne comme une sœur Kœssler à l’autre sœur Kœssler. Je fonce jusqu’au téléphone et me mets en devoir d’examiner le mur dans cette région. Hélas ! rien de métallique ne me permet de caser ma plaquette enregistreuse. Perplexe, je mate la pièce et mon regard défricheur se pose comme un oiseau sur la suspension ultra moderne, composée de cubes assemblés en une grappe savante. Trois faces de chacun de ces cubes sont en verre, la dernière étant en fer forgé afin de donner à l’ensemble la curieuse apparence d’une grille de mots croisés en relief.

Comme ma plaquette est noire, je la loge dans l’angle d’un carré noir, et je suis prêt à vous parier une douzaine de momies contre une bande Velpeau que personne ne s’apercevra jamais de sa présence.

Je me paierais bien une petite perquise, mais je crains, ce faisant, d’éveiller l’attention du vieux sir. M’est avis qu’il doit être fine mouche et repérer les objets déplacés, le rosbif ! Je me retire donc promptement et vais fumer quelques cigarettes dans un fauteuil du hall en attendant le retour du Gros.

Mon vaillant compagnon réapparaît une heure plus tard. Je ne sais pas s’il a encore éclusé, toujours est-il qu’il a la démarche vachement flottante, le pèlerin. On dirait que ses jambes sont à coulisse et qu’à chaque enjambée elles rentrent un peu plus en elles-mêmes.

Ses yeux sont fanés et rouges, ses bras ballants, son chapeau de travers, sa cravate dans sa poche, ses souliers intervertis ; son pan de chemise avant passé par-dessus son futal comme un tablier maçonnique. Il est pâle sous la trame de veinules violettes de ses joues. William qui l’escorte prend congé de lui. J’attends que le pelé du promontoire ait disparu avant d’émettre ce léger sifflement que les tympans béruréens connaissent bien.

Gras-du-bide se retourne et m’avise dans mon fauteuil-club. Il a un hochement de tête, ou plutôt un chancellement de tête, car sa hure paraît brusquement trop lourde pour le (pourtant robuste) cou qui la porte. Ce ne sont pas, cependant, les pensées du Gros qui lui donnent cette pesanteur !

— Eh bien mon yeux ! fait-il en s’approchant de moi. Eh ben mon yeux !…

Ayant proféré, il veut s’asseoir sur l’immense cendrier de métal, large comme des cymbales, le prenant vraisemblablement pour un moderne tabouret. Mais l’objet est monté sur un socle hémisphérique qui dérobe le siège improvisé au monumental fessier.

Le Mastar s’affale sur le tapis.

Compatissant de nature, je l’aide à retrouver son équilibre.

La bouche bourrée de cendres et de mégots, il suffoque, s’étouffe, expectore violemment.

— Je tiens plus sur mes fumerons, lamente-t-il en s’abattant dans le fauteuil que j’occupais.

— Que t’est-il arrivé, ô, homme invincible ?

Son lourd visage se fend comme un melon tombé d’une voiture de maraîcher.

— Si tu saurais, mon pote, c’est toi qu’aurais voulu interpréter le rôle du négus !

— Because ?

— Parle-moi z’en pas, ça me file des vertiges. Cette séance, mon neveu !

— Une séance de quoi, crème d’abrutissement ? Solidification de la pensée humaine ! Putréfaction de l’intelligence ! Avarie de la matière grise ! Malodorance permanente ! Éloge vivant de l’idiotie !

Ce déferlement de qualificatifs passe très au-dessus de sa tête.

— Une séance de radada, mon pote, si tellement formide qu’il va me falloir une pleine bonbonne de Quintonine pour me reconstituer.

La clique de Saint Boufzidontou interpréterait « Elle me fait pouett pouëtt » au moment de l’élévation pendant la grand-messe donnée en la cathédrale de Sartre que ça ne provoquerait pas une plus vive stupeur.

— Quoi ! coassé-je, car je n’ai même plus la force de rouler les « r » pour croasser.

Comme Béru parle couramment grenouille, il répond du talc au talc, comme on dit dans les pouponnières :

— T’aurais maté cette armada de pépées, mec, et par suroît tu les aurais utilisées, c’t’avec des béquilles que tu serais été te coucher. Blondes ! Toutes ! Allemandes et Scandinaves ! Des beautés magistrates ! Et cette technique, miséricorde (à nœuds !). Jamais vu une telle pothéose. Huit greluses qui t’entreprennent, ça énerve ! Cette précision, maâme la dusèche ! Chacune à son poste ! Un vrai petit équipage d’épongeuses. Pas un geste de trop ! Pas un mot (d’ailleurs ces demoiselles ne causent pas français). Jamais de toute ma vie essensuelle j’ai déniché des gonzesses pareillement expertises. À devenir dingue, mec ! À devenir dingue, positivement.

— Raconte !

— Raconter ! Mais qu’est-ce que je fais-je ? s’égosille le tonitruant. Ces nières, c’est des exclaves, San-A. Des exclaves blondes recrutées et dressées pour embellir les noyes de la reine Kelbobaba. Mine de rien, au retour, j’ai conversationné avec l’English et j’y ai estirpé les vers du naze. Paraît que ma pseudo-souveraine organise des grandes soirées animées à sa cour. Sa passion, c’est de mater ses seigneurs bougnouls en train de se farcir des jolies blondes. L’amour en noir et blanc, c’est son vice. Elle casque des fortunes pour se composer des cheptels bien salaces. C’t’une veuve, la reine. D’après la constitution de son pays, elle a pas le droit de reconvoler. Ni même de se faire batifoler dans la broussaille par ses champs bêlants. C’est braconnier comme mœurs, non ? Son seul luxe c’est de regarder. Le supplice de Chantal, en somme. V’là pourquoi la pauvrette organise des délices pour les autres. Elle se rabat sur le visuel. La reine guette-au-trou, quoi ! D’après selon ce que j’ai cru comprendre, les nanas qui partent dans les Malotrus n’en reviennent jamais. Sa Majesté les efface pour pas qu’elles racontent à Pleyel ou à Cinq Colonnes le comment on vit à la cour de Kelbobaba. D’où la difficulté de recrutasser les mômes. Faut toucher des bergères dégagées de toute obligation familiale et capables de disparaître sans que quéqu’un brame au charron !