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— Mais sans autorisation de fouille.

— Exact, lieutenant, on ne l’obtiendra jamais.

Il marcha encore vingt minutes pour atteindre l’entrée du chemin de Bonneval, l’esprit occupé et embrouillé par la subite coupe de cheveux de Christian Clermont-Brasseur. Mais ce n’était pas lui qui avait reconduit son père dans la Mercedes. Lui était parti plus tôt, éméché, et s’était arrêté chez une femme dont on ne saurait jamais le nom. Et, après la nouvelle, il avait peut-être souhaité une coupe plus austère pour porter le deuil de son père.

Peut-être. Mais il y avait Mo, dont les cheveux grillaient parfois sous la chaleur de ses incendies. Si Christian avait mis le feu à la voiture, s’il y avait roussi quelques mèches, il avait dû les masquer en hâte en coupant le tout au plus court. Mais Christian n’était pas sur place, on en revenait toujours là, et rien ne lassait plus Adamsberg que de tourner dans le même manège, tout au contraire de Danglard qui pouvait s’y obstiner jusqu’au vertige, s’enfonçant dans ses propres empreintes.

Il s’obligea à négliger les mûres pour concentrer son attention sur le chemin de Bonneval, dans les traces de la vieille Léo. Il passa près du gros tronc où il s’était assis près d’elle, lui adressa une pensée intense, s’attarda longtemps autour de la chapelle Saint-Antoine, qui fait retrouver tout ce qu’on a perdu. Sa mère psalmodiait le nom de ce saint en une rengaine irritante sitôt qu’elle avait égaré la moindre babiole. « Saint Antoine de Padoue, vous qui faites trouver tout. » Enfant, Adamsberg était assez choqué que sa mère sollicite sans gêne saint Antoine pour mettre la main sur un dé à coudre. En attendant, le saint ne l’aidait pas et il ne trouvait rien sur le chemin. Il le refit consciencieusement dans l’autre sens et s’assit à mi-chemin sur le tronc abattu, cette fois avec une réserve de mûres qu’il déposa sur l’écorce. Il repassait sur l’écran de son téléphone les photos que lui avait adressées Retancourt, les comparait à celles données par Valleray. Il y eut un fracas dans son dos et Flem déboula du bois, avec la gueule béate du gars qui vient de rendre une visite fructueuse à la fille de la ferme. Flem posa sa tête baveuse sur son genou et le regarda de cet air suppliant qu’aucun humain ne reproduit avec une telle détermination. Adamsberg lui tapota le front.

— Et maintenant, tu veux ton sucre ? Mais je n’en ai pas, mon vieux. Je ne suis pas Léo.

Flem insista, posa ses pattes terreuses sur sa jambe de pantalon, accroissant sa supplique.

— Pas de sucre, Flem, répéta lentement Adamsberg. Le brigadier t’en donnera un à 6 heures. Tu veux une mûre ?

Adamsberg lui présenta un fruit, que l’animal bouda. Semblant comprendre la vanité de sa demande ou la stupidité de ce type, il entreprit de gratter le sol aux pieds d’Adamsberg, faisant voler des quantités de feuilles mortes.

— Flem, tu détruis le microcosme vital des feuilles pourries.

Le chien se mit à l’arrêt et posa sur lui un regard soutenu, sa gueule allant du sol au visage d’Adamsberg. L’une de ses griffes était posée sur un petit papier blanc.

— Je vois, Flem, c’est un papier d’emballage de sucre. Mais il est vide. Il est vieux.

Adamsberg avala une poignée de mûres et Flem insista, déplaçant sa patte, guidant cet homme qui mettait tant de temps à le comprendre. En une minute, Adamsberg récolta dans le sol six vieux emballages de sucre.

— Tous vides, mon vieux. Je sais ce que tu me racontes : c’est une mine de sucres ici. Je sais que c’est là que Léo te donnait ton morceau après tes exploits à la ferme. Je comprends ta déception. Mais moi, je n’ai pas de sucre.

Adamsberg se leva et fit quelques mètres dans l’idée d’arracher Flem à son obsession vaine. Le chien le suivit avec un petit gémissement et Adamsberg revint brusquement sur ses pas, se rassit dans l’exacte position où il avait été avec Léo, rappelant cette scène à sa mémoire, les premiers mots, l’arrivée du chien. Si l’esprit d’Adamsberg était calamiteux pour stocker les mots, il était d’une précision extrême en ce qui touchait aux images. Le geste de Léo était à présent sous ses yeux, net comme un trait de plume. Léo n’avait pas ôté le papier du sucre, parce qu’il n’y avait pas de papier. Elle avait donné le morceau directement à Flem. Léo n’était pas femme à transporter des sucres emballés, elle se foutait bien de salir ses poches, ses doigts ou le sucre.

Il ramassa avec soin les six papiers salis exhumés par Flem. Quelqu’un d’autre avait mangé des sucres ici. Cela devait bien faire deux semaines que ces papiers étaient là, les uns à côté des autres, comme s’ils avaient tous été jetés au même moment. Et après, et alors ? Hormis le fait qu’on était sur le chemin de Bonneval ? Justement. Un adolescent avait pu s’asseoir sur ce tronc pendant la nuit, attendant de voir passer l’Armée — puisque tel était le défi que certains se donnaient — et avait pu avaler ces sucres pour reprendre des forces. Ou stationner pendant la nuit du meurtre ? Voir passer l’assassin ?

— Flem, dit-il au chien, est-ce que tu as montré ces papiers à Léo ? Dans l’espoir d’avoir un petit supplément ?

Adamsberg se reporta au lit d’hôpital et considéra autrement les trois seuls mots que lui avait soufflés la vieille femme : Hello, Flem, sucre.

— Flem, répéta-t-il, Léo a vu ces papiers, c’est cela ? Elle les a vus ? Et je vais même te dire quand elle les a vus. Le jour où elle a découvert le corps d’Herbier. Autrement, elle n’en aurait pas parlé à l’hôpital, avec le peu de force qu’elle avait. Mais pourquoi n’a-t-elle rien dit le soir ? Tu penses qu’elle a compris plus tard ? Comme moi ? À retardement ? Le lendemain ? Qu’elle a compris quoi, Flem ?

Adamsberg glissa délicatement les papiers dans la pochette à photos.

— Quoi, Flem ? reprit-il en descendant le sentier par le même raccourci qu’avait emprunté Léo. Elle a compris quoi ? Qu’il y avait eu un témoin au meurtre ? Comment savait-elle que les papiers avaient été jetés ce soir-là ? Parce qu’elle était venue avec toi la veille du meurtre ? Et qu’ils n’y étaient pas ?

Le chien descendait le sentier avec entrain, pissant sur les mêmes arbres que la première fois, s’approchant de l’auberge de Léo.

— Ce ne peut être que cela, Flem. Un témoin qui bouffait du sucre. Qui n’a compris l’importance de ce qu’il avait vu que lorsqu’il a appris, plus tard, le meurtre et la date du meurtre. Mais un témoin qui ne dit rien parce qu’il a peur. Léo savait peut-être quel jeune gars avait été faire ses preuves sur le chemin cette nuit-là.

À cinquante pas de l’auberge, Flem partit en courant vers une voiture arrêtée sur le bas-côté. Le brigadier Blériot vint à la rencontre du commissaire. Adamsberg accéléra le pas, espérant qu’il était passé à l’hôpital et qu’il apportait des nouvelles.

— Il n’y a rien à faire, on ne peut pas trouver ce qu’elle a, dit-il à Adamsberg sans le saluer, écartant ses bras courts dans un gros soupir.

— Merde, Blériot. Que se passe-t-il ?

— Elle a un cliquetis dans les côtes.

— Un cliquetis ?

— Oui, pas de résistance à l’effort, elle s’essouffle tout de suite. En revanche, normale en descente ou sur du plat.

— Mais de qui parlez-vous, Blériot ?

— Ben, de la voiture, commissaire. Et avant que la préfecture nous la remplace, on a le temps de voir tomber les pommes cinq fois.

— OK, brigadier. Comment s’est passé l’interrogatoire de Mortembot ?

— Il ne sait rien, vraiment. Une chiffe, dit Blériot avec un peu de tristesse, tout en caressant Flem qui s’était dressé contre lui. Sans Glayeux, ce type ne tient pas debout.