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Pendant ce temps, l’eau continuait à couler dans la douche. Le chant avait cessé, remplacé par un grommellement indéchiffrable. Sur l’escalier venaient d’apparaître M. Moses et l’idole du jour dont le chien avait quelque peu terni la gloire. Ils descendirent à pas lourds, bras dessus, bras dessous, puis se séparèrent. Tout en marchant, M. Moses trempait les lèvres dans sa chope ; il franchit les portières du couloir qui menait à sa chambre et disparut ; sans un mot, le Viking prit place dans la queue. Je consultai ma montre. Il y avait déjà plus de dix minutes que nous attendions.

La porte d’entrée claqua. L’ange motocycliste passa à côté de nous, et escalada à toute vitesse les marches conduisant au premier étage. Il progressait par bonds silencieux et laissait flotter à sa suite des odeurs d’essence, de sueur et de parfum. J’eus alors conscience que j’étais en train de percevoir les voix de Kaïssa et du patron dans la cuisine, et un étrange soupçon me traversa l’esprit. Quelque chose à quoi je n’avais pas pensé jusque-là. Indécis, je fixai la porte de la salle de douche.

« Il y a longtemps que vous faites la queue ? se renseigna Olaf.

— Oui, assez longtemps », répondit du Barnstokr.

Heenkus bredouilla soudain une phrase que personne ne comprit, heurta Olaf de l’épaule et se précipita dans le hall.

« Écoutez, dis-je. Quelqu’un est-il arrivé à l’hôtel ce matin ?

— Seulement ces messieurs, dit du Barnstokr. M. Andvaravors et monsieur… euh… ce petit monsieur qui vient de partir…

— Nous sommes arrivés hier soir », précisa Olaf.

Mais cela, je le savais déjà. J’eus brusquement devant les yeux la vision d’un squelette en train de pousser la chansonnette au milieu de jets d’eau brûlante, et mettant un certain enthousiasme à se récurer les aisselles. La rage me prit ; je secouai la porte. Comme il fallait s’y attendre, la porte s’ouvrit. Et, bien entendu, il n’y avait personne dans la salle de douche. Le robinet d’eau chaude avait été ouvert à fond, l’eau dégringolait à grand fracas, la vapeur emplissait la pièce, à la patère pendait le fameux blouson de toile de l’Alpiniste mort, et juste en dessous, sur le banc de chêne, sifflait et crachotait un vieux transistor.

« Que diable

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 ! s’exclama du Barnstokr. Monsieur Snevar ! » 

Un brouhaha s’éleva dans l’hôtel. Le patron arriva en courant, entouré du vacarme que provoquaient ses chaussures de montagne. Comme s’il était sorti de terre, Simonet fut soudain à côté de nous. L’ange motocycliste se pencha par-dessus la rampe ; il avait un mégot collé à la lèvre inférieure. Heenkus introduisit à l’entrée du couloir sa tête craintive. 

« Voilà qui est invraisemblable ! » disait du Barnstokr, saisi par une vive agitation. « Nous sommes là devant la porte depuis un bon quart d’heure, n’est-ce pas, inspecteur ?

— Quelqu’un s’est à nouveau vautré sur mon lit », communiqua la jeune créature depuis son perchoir. « Et ma serviette de bain est toute mouillée. »

Dans les pupilles de Simonet dansait une joie diabolique.

« Messieurs, messieurs…», répétait le patron. Il faisait des gestes nous invitant au calme. Il regarda à l’intérieur de la douche et prit une première initiative : il coupa l’arrivée d’eau. Puis il décrocha le blouson, souleva le transistor et fit passer sur sa physionomie une expression solennelle. « Messieurs ! » prononça-t-il, en adoptant la variante sourde de sa voix. « Je me bornerai à témoigner sur les faits matériels. Ceci est SON poste de radio, messieurs. Et ceci est SON blouson.

— J’aimerais bien savoir à qui…, commença tranquillement Olaf.

— À LUI. Au disparu.

— Je veux dire, à qui est le tour ? » continua Olaf, tout aussi tranquillement.

Sans parole superflue, j’écartai le patron de l’hôtel, entrai dans la salle de douche et fermai le verrou derrière moi. J’avais déjà arraché mes vêtements quand je me rendis compte que, finalement, le tour ne me revenait pas, et que Simonet aurait dû me précéder. Cependant je n’éprouvai aucun remords. J’étais furieux, et persuadé qu’il fallait chercher l’origine de ces manigances dans l’esprit de l’illustre savant. Qu’il attende un peu maintenant ! Une belle gloire scientifique, oui ! Avoir laissé perdre toute cette eau… Non, cette fois-ci, la chasse aux plaisantins était ouverte. On allait voir ce qu’on allait voir. On allait leur mettre la main au collet. Pas la peine d’essayer de jouer au plus malin avec moi !…

Quand je sortis de la douche, le public était toujours dans le hall et continuait à commenter l’événement. Sans rien y ajouter de neuf ; je ne m’attardai pas. Sur l’escalier je frôlai l’âme innocente. Elle n’avait pas modifié sa position et restait en équilibre au-dessus de la rampe. « Jamais vu une maison de fous pareille ! » s’exclama-t-elle à mon adresse, l’air provocant. Je poursuivis mon chemin sans répondre et me dirigeai droit vers ma chambre.

Sous l’influence de la douche et d’une douce fatigue, ma rage s’était totalement dissipée. Je poussai le fauteuil jusqu’à la fenêtre, choisis le livre le plus épais et le plus sérieux de ma collection et m’installai, les pieds posés sur le rebord de la table. À la fin de la première page, j’étais déjà assoupi. Je me réveillai quelque chose comme une heure et demie plus tard. Le soleil avait effectué un parcours considérable ; à présent l’ombre du bâtiment s’étendait sous ma fenêtre. J’en examinai les contours : un homme devait être assis sur le toit. Entre deux rêves, je supposai que ce devait être le grand physicien Simonet en personne, occupé là-haut à sauter de cheminée en cheminée et à se tordre de rire. Je me rendormis. Puis le livre tomba sur le plancher et je me réveillai pour de bon. Il y avait à présent deux ombres très nettes sur le toit : un homme manifestement assis, un autre debout. Se font bronzer, pensai-je. J’allai me passer de l’eau sur la figure… Alors que j’étais incliné au-dessus du lavabo, l’idée me vint qu’une petite tasse de café serait excellente pour me donner du cœur au ventre, et que grignoter un petit morceau ne serait pas de refus. J’allumai une cigarette et sortis dans le couloir. Il devait être aux alentours de trois heures de l’après-midi. 

Sur le palier, je me heurtai à Heenkus qui finissait de descendre l’escalier du grenier. Il avait un aspect plutôt étrange. Nu jusqu’à la ceinture, il luisait de sueur ; son visage avait une pâleur qui touchait au verdâtre, ses yeux ne cillaient pas, et contre sa poitrine il pressait à deux mains ses vêtements roulés en boule, chiffonnés.