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« Faut vous apporter quelque chose ? demanda Kaïssa. Ça ira ? »

Je me retournai vers elle, et à nouveau elle haussa les épaules et se cacha la figure derrière la main. Elle portait une robe bariolée, moulante, qui était en accordéon sur son ventre et ses fesses. À sa taille était noué un minuscule tablier de dentelle, et autour de son cou pendait un collier de grosses perles en bois. Ses chaussettes montaient à mi-jambe sous sa robe. Je n’avais jamais eu personne de semblable parmi mes connaissances ; et c’était très bien ainsi.

« Qui est-ce qui loge chez vous en ce moment ? m’informai-je.

— Où donc ?

— Ici. À l’auberge.

— Ah ! à l’auberge ? Chez nous ? Eh bien… Qui est-ce qui loge ici ?…

— Oui, qui sont les pensionnaires de l’auberge ?

— Oui… Eh bien, il y a M. Moses avec sa femme. Dans la chambre un et la chambre deux. Dans la chambre trois, aussi. Mais là, sans l’occuper. C’est peut-être bien sa fille ? Pas facile de deviner. Une beauté, elle regarde tout, avec les yeux…

— Bien, oui…, fis-je, afin de l’encourager.

— Il y a aussi M. Simonet. Juste là, en face. Un savant. Toujours à jouer au billard ou à ramper sur les murs. Un sacré farceur, seulement il est mélancolique. C’est pour raison psychique. »

Elle se mit une fois de plus à rougir, esquissant en prime l’inévitable haussement d’épaules.

« Et qui encore ? demandai-je.

— M. du Barnstokr, qui est hypnotiseur dans un cirque…

— Barnstokr ? Le fameux Barnstokr ?

— Je ne sais pas, peut-être que c’est lui en personne. Un hypnotiseur… Et puis il y a Brunn…

— Brunn ? Qui est-ce ?

— Eh bien, avec la moto, et toujours en pantalon. Et pas en retard pour coquiner, malgré son jeune âge !

— Parfait, dis-je. Personne d’autre ?

— Si, il y a encore quelqu’un… Pas depuis très longtemps, j’ai l’impression. Il est là, simplement… Il reste juste par là. Il ne dort pas, il ne mange pas, il est là, simplement, il séjourne…

— Je ne comprends pas, dus-je admettre.

— Personne ne comprend. Il reste et c’est tout. Il lit le journal. Il a chipé tantôt les pantoufles de M. du Barnstokr. On cherche, on cherche dans tous les sens, mais pas de pantoufles. Et vous savez où il les avait emportées ? Au musée. Il les avait abandonnées là. Et je ne parle pas des traces qu’il laisse derrière lui…

— Quelles traces ? » Je faisais tous mes efforts pour saisir ce qu’elle me racontait.

« Des traces mouillées. Il marche comme ça tout le long du couloir. Et cette manie qu’il a de sonner pour m’appeler. Quand c’est pas d’une chambre, c’est d’une autre. Je me précipite, et il n’y a personne. »

Je soupirai : « Bon, tant pis ! Je n’arrive pas à comprendre de quoi tu parles, Kaïssa. Mais ce n’est pas grave. Je vais plutôt aller prendre une douche. »

J’écrasai ma cigarette dans la porcelaine immaculée du cendrier du vestibule et allai chercher du linge dans la pièce voisine. Je posai une pile de livres sur la table de chevet ; au passage, je me fis la réflexion que j’aurais vraisemblablement pu m’abstenir de les avoir trimbalés jusqu’ici. J’ôtai mes chaussures, enfilai mes pieds à l’intérieur d’une paire de mules, m’emparai d’une serviette de bain et me dirigeai vers la douche. Kaïssa était partie, sur la table de l’entrée le cendrier irradiait à nouveau de pureté vierge. Le couloir était désert. D’on ne sait où arrivaient les claquements secs de boules de billard ; sans doute le farceur mélancolique pour raison psychique devait-il être en train de se distraire. Comment s’appelait-il, déjà ?… Simonet ? Quelque chose dans ce genre.

Après de rapides recherches, je finis par découvrir la porte de la douche, sur le palier où s’arrêtaient les escaliers ; je découvris par la même occasion qu’elle était fermée à clef. Je restai un certain temps sur place, à tourner doucement la poignée de plastique. Quelqu’un traversa le couloir sans se presser, d’un pas lourd. Bon, je pouvais descendre prendre une douche au rez-de-chaussée. Je pouvais aussi choisir de ne pas descendre. Je pouvais aussi aller me dégourdir les jambes sur les skis, pour commencer. Distraitement, mon regard suivit l’étroit escalier de bois qui devait mener sur le toit. Ou encore, par exemple, pensai-je, je pouvais monter sur le toit pour y admirer le paysage. On racontait qu’ici levers et couchers de soleil étaient d’une beauté indescriptible. Une belle vacherie, tout de même, que cette douche fermée à double tour. Mais peut-être quelqu’un était-il à l’intérieur ? Non, pas un bruit… Je secouai la poignée une dernière fois. Allez, inutile de m’obstiner. Qu’elle aille au diable, cette douche ! Je disposais de tout mon temps. Je fis volte-face et repris le chemin de ma chambre.

Je sentis tout de suite que quelque chose s’était modifié dans l’entrée. Il ne me fallut guère plus d’une seconde pour définir de quoi il s’agissait : autour de moi flottait un odeur de tabac de pipe, la même que celle de la chambre-musée. Je jetai aussitôt un coup d’œil au cendrier. Pas de pipe auréolée de fumée, mais une montagne de cendres entremêlées de brins de tabac. Les paroles de Kaïssa me revinrent en mémoire. Il est là, simplement, il séjourne. Il ne boit pas, il ne mange pas, il laisse des traces derrière lui…

À ce moment quelqu’un bâilla tout à côté, longuement et sans discrétion. Puis il y eut un cliquetis de griffes, et Lel le saint-bernard sortit de la chambre, avec une lenteur paresseuse. Il me dévisagea d’un air malicieux et s’étira. 

« Ah ! alors c’est toi le fumeur ? » dis-je.

Lel cligna les paupières et dodelina du chef. On aurait parfaitement pu croire qu’il chassait une mouche importune.