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— Quand l’avalanche s’est produite, vous étiez assis ou debout ?

— Debout.

— Où ?

— Juste contre la porte. J’en avais assez et je me préparais à m’en aller. Et c’est là qu’il a voulu à tout prix me passer au cou son collier de perles…

— Quand il vous a repoussée, vous êtes bien sûre que c’est vers la fenêtre qu’il s’est dirigé ?

— Eh bien, euh… comment vous expliquer… Il s’est pris la tête entre les mains, il m’a tourné le dos, il a fait un pas ou deux avant de rebrousser chemin… c’était la direction de la fenêtre… je ne sais pas, enfin… peut-être ne se dirigeait-il pas vers la fenêtre, bien sûr. Mais c’était la seule chose que je distinguais dans l’obscurité, cette ouverture claire au fond de la chambre…

— Vous ne pensez pas qu’en dehors de vous, une autre personne aurait pu se trouver dans la pièce ? Peut-être pouvez-vous vous rappeler des bruits, je ne sais pas, des froissements, des craquements inexplicables auxquels vous n’avez pas prêté attention sur le moment ?…»

Brunn réfléchit.

« Non… non. Tout était silencieux… Il y a eu un peu de bruit, de l’autre côté du mur. Olaf a plaisanté, il a évoqué Simonet en train de s’exercer à l’alpinisme dans sa chambre… Maie c’est tout.

— Vous êtes certaine que le bruit venait de la chambre de Simonet ?

— Oui, dit Brunn avec conviction. À ce moment-là, nous étions déjà debout, le bruit venait de ma gauche. Quelque chose de très ordinaire, rien de spécial. Des pas, l’eau du robinet…

— Est-ce qu’en votre présence Olaf a déplacé un meuble ?

— Un meuble ?… Attendez. Oui, effectivement. Il avait déclaré qu’il m’empêcherait de sortir, et il a poussé le fauteuil devant la porte… Mais ensuite, bien sûr, il l’a enlevé. »

Je me redressai.

« Ce sera tout pour aujourd’hui, dis-je. Vous pouvez aller au lit. Je ne vous dérangerai plus cette nuit. »

Du Barnstokr se leva à son tour et avança vers moi, les mains tendues.

« Mon cher inspecteur ! Vous comprenez bien que je n’avais aucune idée sur ce que…

— Oui, dis-je. Les enfants grandissent. Tous les enfants, du Barnstokr. Je vous conseille de lui interdire dorénavant de se cacher derrière des lunettes noires. Voyez-vous, du Barnstokr, les yeux sont le miroir de l’âme. »

Je l’abandonnai sur ces mots, trésor de la sagesse policière qu’il n’avait qu’à approfondir. Et je redescendis dans le hall.

« Vous êtes réhabilité, Alek, déclarai-je au patron de l’hôtel.

— Je ne savais pas que j’avais été condamné », s’étonna-t-il, en détachant les yeux de son arithmomètre.

« Je voulais dire par là qu’il ne pèse plus sur vous le moindre soupçon. Vous disposez à présent d’un alibi valable à cent pour cent. N’en concluez pas que cela va vous donner le droit de me casser à nouveau la tête avec vos momies et vos zombis… Et ne m’interrompez pas. Maintenant, vous allez demeurer ici jusqu’à ce que je vous autorise à vous lever. N’oubliez pas que j’ai l’intention d’être le premier à discuter avec le type au bras coupé.

— Et s’il se réveille avant vous ?

— Je n’ai pas l’intention de dormir, annonçai-je. Je veux fouiller la maison. Si ce malheureux se réveille et demande quelqu’un, faites-moi venir immédiatement. Même si c’est sa mère qu’il appelle.

— À vos ordres, dit le patron. Une question. L’emploi du temps de l’hôtel n’est pas modifié ? »

Je réfléchis deux secondes.

« Non, je pense. À neuf heures, petit déjeuner. On verra pour la suite… Au fait, Alek, à votre avis, quand pouvons-nous espérer voir arriver quelqu’un de Mursbruck ?

— Difficile à prévoir. Il est possible qu’ils se mettent à déblayer la neige dès demain. Je me souviens de cas où les équipes ont été d’une efficacité remarquable… D’un autre côté, ils savent très bien qu’ici rien ne nous menace… Il est possible que dans deux ou trois jours nous ayons la visite en hélicoptère de l’inspecteur chargé de notre secteur, Zvierick… si rien de grave ne l’a retenu ailleurs. Le plus embêtant, c’est qu’ils doivent d’abord être informés qu’un éboulement s’est produit. Bref, je ne pense pas que l’on puisse compter que dès demain…

— Vous voulez dire aujourd’hui ?

— Oui, aujourd’hui… Mais demain, nous pouvons avoir la visite d’un hélicoptère. Peut-être.

— Vous ne possédez pas d’émetteur radio ?

— Non, rien de semblable. Pour quoi faire ? Je n’aurais pas tellement intérêt à en avoir un, Peter.

— Bon, dis-je. Demain, donc.

— Demain, je n’en mettrais pas ma tête à couper ! protesta Snevar.

— Enfin, dans les deux, trois jours… Bien. Maintenant écoutez-moi bien, Alek. Supposons que vous ayez à vous cacher à l’intérieur de ce bâtiment. Longtemps, plusieurs jours. Où vous cacheriez-vous ?

— Hum…, dit le patron d’un air de doute. Malgré tout, vous persistez à croire qu’un clandestin se dissimule dans l’hôtel ?

— Où vous cacheriez-vous ? » répétai-je.

Le patron hocha la tête.

« On vous trompe, dit-il. Je vous jure qu’on vous trompe. Il n’y a ici aucune cachette. Douze chambres, sur ces douze chambres seules deux sont inoccupées, mais Kaïssa y fait le ménage quotidiennement, et elle aurait remarqué quelque chose. On laisse toujours des saletés derrière soi, et elle a l’œil pour la propreté… La cave ? Elle est fermée de l’extérieur par un cadenas… Il n’y a pas de combles, entre le plafond et le toit on peut à peine glisser une main… Tous les locaux de service ferment de l’extérieur, et en outre nous y faisons des apparitions fréquentes, que ce soit moi ou Kaïssa. Je ne vois rien d’autre. 

— Et la douche du premier ? demandai-je.

— Exact. Il y a de la place dans la douche du premier étage, et il y a un moment que nous n’y avons pas fourré le nez. Il faudrait peut-être aussi jeter un coup d’œil dans le local du générateur, où je me rends assez peu souvent. Allez y faire un tour, Peter, vous y découvrirez peut-être des traces…

— Donnez-moi les clés », dis-je.

J’allai donc faire un tour dans ces différents endroits, avec l’espoir d’y découvrir des traces. Je me promenai dans la cave, jetai un coup d’œil à la douche du premier étage, inspectai le garage, la chaufferie la salle du générateur, et même allai ramper sous la cuve de mazout qui se trouvait au fond d’un réduit creusé dans le sol. Je ne découvris rien, nulle part. Naturellement, je m’y attendais. C’eût été trop facile. Mais ma maudite conscience professionnelle de petit fonctionnaire zélé m’interdisait de laisser sur mes arrières des territoires inexplorés. Vingt ans de service irréprochable sont vingt ans de service irréprochable : aux yeux de mes supérieurs comme aux yeux de mes subordonnés, il avait toujours mieux valu passer pour une andouille pétrie de conscience professionnelle que pour un génie brillant et superficiel. Et c’est pourquoi j’étais là à fureter, à me baisser, à me traîner à quatre pattes, à me cochonner, à respirer au milieu de la poussière et des toiles d’araignée, en agrémentant cette noble tâche de marmonnements, de phrases de commisération adressées à ma pauvre personne, et de jurons adressés au destin imbécile. 

Lorsque je me hissai hors du local souterrain, j’étais sale, avec une humeur de sanglier blessé, et l’aube se levait. La lune avait perdu de son éclat et terminait sa trajectoire vers l’ouest. L’amoncellement grisâtre des rochers commençait à se voiler d’une brume aux tons lilas. Et l’air ! Une pureté, une douceur !